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CES FANTÔMES QUI HANTENT LA FONCTION PUBLIQUE EN AFRIQUE

Ces fantômes qui hantent la fonction publique en Afrique

Du Nord au Sud, les Etats rémunèrent des milliers de fonctionnaires fictifs. Les autoproclamés «bon gouvernants» veulent prendre le taureau par les cornes.

 Le serpent de mer des politiques publiques africaines vient de refaire surface au Burkina Faso.

A l’issue d’un recensement biométrique des agents de la fonction publique, mené en parallèle de l’enrôlement biométrique des inscrits sur les listes électorales, les chiffres sont édifiants. A l’effectif de 113.819 fonctionnaires «réels», s’ajoutent 6.250 identités suspectes, suspectées dedissimuler des agents inexistants.

 

Fictifs, ces «fantômes» qui hantent l’administration auraient bel et bien siphonné près de trois milliards de francs CFA (4,5 millions d'euros) dans les caisses du Trésor public burkinabè, entre janvier et septembre 2012.

 

Dans le dédale des fonctions publiques africaines, en particulier francophones, le Burkina Faso n’est pas une exception.


En septembre 2012, le ministre ivoirien de la Fonction publique et de la Réforme administrative annonçait qu'environ 3.000 fonctionnaires fictifs avaient été démasqués lors d’une opération de recensement.

 

Cette même année, ce sont 4.909 agents «virtuels» percevant illégalement plus de 8 milliards de francs CFA par an (12 millions d'euros) qui ont été décelés dans la fonction publique congolaise.

 

Au Tchad, en mars 2012, le ministre de la Fonction publique et du Travail annonçait avoir identifié 8.499 fonctionnaires fictifs.

 

En Guinée, ce sont près de 5.000 fonctionnaires qui ont été jugés «imaginaires» et se retrouvent en instance de radiation du fichier de la fonction publique.

 

En 2010, un recensement effectué dans la fonction publique camerounaise permettait de détecter 15.000 agents et fonctionnaires fictifs qui sirotaient chaque mois 8 milliards de francs CFA dans les caisses de l’Etat.

 

Selon une estimation du député PJD (Parti Justice et démocratie) Mohamed Najib Boulif, 90.000 fonctionnaires seraient fantômes dans l’administration marocaine, soit 12% de l’effectif!

Les chiffres donnent le tournis. A l’échelle du continent, le total de tous ces employés virtuels vaut la population de certains pays…

 

Pour des Etats qui se débattent dans des budgets structurellement déficitaires, une dette accablante et une dépendance à l’égard des structures de coopération occidentales, maîtriser les effectifs et la masse salariale du personnel civil et militaire public est d’une importance vitale.

Comment parler d’émergence avec une gestion si peu rigoureuse des employés de l’Etat?

 

Confrontées à un chômage endémique, les jeunes générations se plaignent du difficile accès à la fonction publique.

 

Pourquoi ne se révolteraient-elles pas, quand elles apprennent que leurs perspectives d’embauches sont obstruées par… personne?

Salaires effectifs pour travailleurs imaginaires

Mais quelles réalités ces fonctionnaires virtuels recouvrent-ils? Il y a les agents décédés dont la famille continue de percevoir les émoluments, la culture de l’absentéisme et la répugnance à la délation permettant cette prolongation de vie juteuse.


Dans le même esprit, les nouvelles politiques d’assainissement cernent ceux qui ont atteint l’âge de la retraite, tout en continuant de percevoir leur salaire à la fonction publique.

Ceux-là, s’ils ont le tort de ne pas laisser leur place aux jeunes, constituent-ils pour autant des postes budgétaires fictifs?

 

Indéniablement quand certains de ces usurpateurs perçoivent à la fois leur pension de retraite et leur salaire. Les fichiers des fonctions publiques regorgeraient ainsi de doublons.

Ni décédés ni retraités, certains ont simplement abandonné leur poste pour vaquer à quelque «deal» plus rentable, parfois à l’étranger. Mis à la disposition des départements ministériels, ils n'exercent pas, mais touchent leur salaire.

 

Cette incongruité est rendue possible par la combinaison des défaillances communicationnelles entre les provinces et la complicité des responsables hiérarchiques. Lors des opérations de contrôles, les vrais-faux déserteurs réapparaissent comme par miracle…

La corruption huile le système et la paperasse le bétonne. Les mastodontes publics mal informatisés regorgent de faux documents: bulletins de solde fictifs, justificatifs de primes indûment perçues, certificats d'intégration fantaisistes, fausses décisions d'engagement ou encore attestations mensongères de grades de militaires et policiers.


Les faux fonctionnaires constituent d’autant plus une perte pour l’Etat qu’ils ne manquent pas d’imagination…

 

Résorber ce phlegmon suppose un travail de fourmi et donc une volonté politique. Si l’on s’en tient aux discours, la chasse aux agents fictifs est ouverte.

 

La dernière croisade en date est l’audit entrepris par le nouveau régime sénégalais, procédure qui doit se dérouler jusqu’en avril prochain.

 

Dans le collimateur du ministère de la Fonction publique se trouverait le secteur de l'éducation qui mobilise 40% du budget national. Certaines voix autorisées estiment que le contrôle pourrait rencontrer la résistance des influentes confréries religieuses qui détourneraient certains enseignants —parfois d’anciens talibés— de la craie publique.

 

Au Sénégal, au Burkina ou encore en République démocratique du Congo, on use de différentes techniques pour confondre les agents de l’Etat faussaires. Ponctuellement, des «opération billetage» exigent des fonctionnaires qu’ils se présentent pour toucher leur salaire.


Dans d’autres cas, un recensement —exhaustif par nature— est entrepris par des équipes volantes. L’usage de plus en plus fréquent de la biométrie permet l’utilisation de photographies et d’empreintes digitales infalsifiables.

La corruption n'est jamais loin

Absolument fiable ou pas, la compilation électronique des données est un élément dissuasif pour les petits fraudeurs qui ne se connaissent pas de talents de hackers.

Autre élément dissuasif:

 

la menace de suspension des salaires, au cas où certains fonctionnaires et agents de l'Etat tarderaient à s’identifier spontanément. De nouvelles techniques d’inscription en ligne facilitent cette stratégie de recensement volontaire, tout autant qu’elles annoncent, pour l’avenir, une gestion personnelle confortable de la carrière de chacun, la mise à jour du fichier des personnels de l'Etat pouvant être permanente sur Internet.

 

Et puisque des formulaires ont été conçus pour l’identification des fonctionnaires, pourquoi ne pas inviter certains à en remplir pour d’autres. Pas pour usurper leur salaire, cette fois, mais pour dénoncer les contrevenants. Certains pays africains, comme la Côte d’Ivoire, ont en effet inscrit l’appel aux dénonciations dans leur politique de gestion du personnel public…

 

A l’issue des recensements, des décès sont donc constatés et des retraites officialisées. Pour le reste, demeurent les cartes de la répression et du redéploiement. Faut-il croire à la sincérité de ces politiques d’assainissement nourries de tant de langue de bois au fil des décennies?


Sans doute les Etats pourront-ils échapper de moins en moins facilement aux critères de la bonne gouvernance. Peut-être ont-ils également compris que l’enjeu budgétaire de ces gouffres financiers vaut bien la brimade de ces complicités qu’engendre parfois le sacro-saint culte de la solidarité de proximité.

 

 

Damien Glez

Slateafrique



26/10/2012
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