Qu'est-ce qui explique donc ce véritable culte qu'une minorité activiste de Congolais de la diaspora et de politiciens belges peu au fait des réalités historiques semblent vouer à Patrice Lumumba ? Et, cette vénération, est-elle justifiée ?
Le discours offensant envers les Belges que Lumumba prononça le 30 juin 1960 au Parlement congolais, lors des cérémonies de l'Indépendance et surtout son assassinat en ont fait un martyr, un héros et un mythe. C'est à ce titre seulement qu'il est vénéré.
Ceci dit, rien ne peut justifier le sort effroyable que lui fut réservé, ainsi qu'à ses compagnons d'infortune. Toute personne, quels que soient les crimes commis, a droit à un procès équitable. Et si tel avait pu être le cas, Lumumba aurait sans nul doute été condamné à mort pour le massacre de milliers de Congolais au Kasaï et au Katanga.
Du point de vue légal et politique, son assassinat fut une erreur monumentale.
Même s'il n'avait pas commis les crimes passibles de la peine de mort, il aurait été éliminé démocratiquement bien avant la fin de son mandat pour son incompétence.
Ironie du sort, ce sont les responsables directs de sa mort qui en ont fait, pour s'en dédouaner, un mythe et, comme tous les mythes, celui-ci est bien plus tenace que l'Histoire...
Comment celui qui de prime abord semblait être destiné à devenir un homme d'Etat d' envergure, et pas seulement sur le plan national, mais aussi au niveau régional, a-t-il pu devenir le principal artisan du chaos dans lequel se trouve encore actuellement le Congo, près de soixante ans après l'indépendance ?
Lumumba était employé à la poste de Stanleyville, où il fut condamné en 1956 pour détournement de fonds. On aurait pu y voir un acte de résistance à l'"oppresseur" colonial, si ce n'est que ceux qui en ont fait les frais étaient surtout des épargnants congolais. Plus tard, par la falsification d'une déclaration de son rival Kasavubu, il incitera les électeurs de l'Abako à rejoindre massivement le MNC.
Son attitude dictatoriale et ses promesses démagogiques délirantes, qui lui furent à juste titre reprochées par la plupart des membres fondateurs du Congo indépendant, précipiteront le pays dans le chaos. Désinvolte et dénué de scrupules, il sera même rapidement abandonné par les plus éminents de ses amis.
Son soutien politique dans le pays était loin d'être massif. Aux élections législatives de 1959, le MNC n'obtenait, non sans irrégularités, que 41 sièges sur 137.
De par sa gestion chaotique, son improvisation au jour le jour, il perd rapidement le contrôle du pays. A peine est-il au pouvoir que les mouvements opposants, les syndicats et l'Eglise dénonçaient son incompétence. Plus des deux tiers des parlementaires de son parti finiront par publiquement se désolidariser de lui.
Ses réels talents d'orateur sont mal utilisés. Ses harangues varient radicalement selon le public. Bien que proclamant la non-violence, ses discours incendiaires et les folles espérances qu'il avait ainsi suscitées entraîneront des atrocités inouïes et la mort de centaines de Belges. Les discours dans lesquels il s'en prend à ses ennemis politiques provoquent des incidents partout dans le pays et entraîneront la mort de milliers de Congolais. Avec son charisme et son pouvoir de persuasion, il aurait pu faire cesser les exactions contre les Belges et contre ses concitoyens, mais il n'en fit rien.
Quand en août 1960, Albert Kalonji proclame la sécession du Sud-Kasaï, il ordonne une offensive contre Bakwanga. L'opération coûtera la vie à des milliers d'hommes, femmes et enfants, massacre qui sera qualifié de tentative de génocide par le Secrétaire général des Nations Unies. Le principal responsable en était le chef d'état-major, le colonel Mobutu. Mais Lumumba, en tant que Premier ministre et ministre de la Défense, en portait au moins la responsabilité politique. Il ne fit rien pour les faire cesser, ni même les condamner. Politiquement, l'homme fut très rapidement dépassé par l'enjeu qu'il représentait alors dans la rivalité est-ouest. Mais très objectivement, quand on passe en revue tous les événements qui marquèrent sa carrière météorique, on ne peut qu'être consterné par l'immaturité du personnage, son impulsivité, son absence totale de sens politique, les erreurs monumentales qu'il commit en quelques jours et par sa vocation à jouer au brûlot dans un baril de poudre.
Même après son décès, Lumumba doit être tenu responsable de la mort de milliers de Congolais et de centaines de Blancs lors des rébellions des années soixante (Simba...). C'est en se revendiquant de lui et de son discours que ses partisans se livrent alors aux tortures les plus odieuses dans les territoires qu'ils contrôlent et exterminent systématiquement les intellectuels et tous ceux dont le niveau de vie dépassait tant soit peu celui de la population.
De par son impétuosité, il perd même son soutien international. Son mentor, Kwame Nkrumah, le Président du Ghana, le mettait en garde : "Si vous essuyez un échec, vous n'aurez à blâmer que vous-même .... Votre échec portera un coup terrible au mouvement de libération africaine... Votre politique qui vise à vous débarrasser de vos adversaires dès maintenant échouera...".Par ignorance, ou sous la coupe d'idées tiers-mondistes et communistes, il sous-estimait l'importance de l'appartenance clanique.
C'est peut-être là la raison principale de sa perte. Alors qu'il croyait être vu comme un Congolais, un nationaliste, il était en fait vu comme un Tetela. Moins d'une semaine après l'indépendance, c'est d'ailleurs lui que les mutins de la Force Publique, composée de fortes ethnies traditionalistes, veulent tuer.
Que certains Congolais veuillent ériger des monuments à sa mémoire ou rebaptiser des rues en lui donnant son nom, pour honorer un des pères de leur indépendance est encore compréhensible. Bien qu'on puisse se demander ce qu'en pensent les descendants de ses milliers de victimes...
Il n'est pas non plus exclu qu'en commémorant Lumumba, les Congolais essaient d'occulter leur responsabilité pour sa mort. Car ce sont bien des Congolais qui, délibérément, ont envoyé Lumumba dans un lieu où l'attendait une mort certaine.
On aura beau dire qu'il y eut des pressions extérieures, les Congolais étant alors indépendants, ils étaient seuls responsables de leurs actes.
Pour beaucoup de Congolais, son seul mérite est d'avoir été le "premier Premier ministre". Une primature qui aura été de fort courte durée (moins de 3 mois !), mais néanmoins avec des conséquences dramatiques pour le pays.
Honorer Patrice Lumumba de quelque façon que soit en Belgique serait méconnaître sa responsabilité indirecte, mais indéniable pour la mort et la maltraitance de centaines de Belges.
Certes, la Belgique est responsable d'avoir accordé l'indépendance à la hâte, sans tenir compte de l'avis informé des autorités coloniales. Un processus de désengagement échelonné sur plusieurs années (comme le préconisait le plan Van Bilsen) aurait permis de ne pas abandonner la gestion du Congo aux mains d'une classe politique sans la moindre formation ni expérience.
Patrice Lumumba a été une victime de cet empressement totalement irresponsable. Mais il était également la victime de la guerre froide. Le mythe Lumumba était le symbole rêvé de la lutte des Tiers-mondistes contre l'impérialisme occidental. D'aucuns présentent encore aujourd'hui comme un héros du tiers-monde celui qui ne fut, hélas ! qu'un déséquilibré irresponsable, d'obédience marxiste-léniniste.
Pendant ce temps, on songe à déboulonner les statues de Léopold II. Au futur nouveau Musée de Tervueren, elle a été renvoyée à la cave...
En réalité, la décision du bourgmestre de Bruxelles est purement électoraliste à l'approche des élections communales, voire communautariste.
A chacun donc ses héros, Monsieur le Bourgmestre de Bruxelles-Ville !
(Avec Robert Devriese, administrateur-délégué de l'UROME et Mémoires du Congo)
Par Baudouin PETEERS
(Managing Director Dynamedia, société de conseils active en Belgique et au Congo)
LIEN DE LA SOURCE (Cliquez le lien ci-dessous):
LUMUMBA L'IMPOSTURE PAR BAUDOUIN PETEERS
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REPLIQUE DU PARTI TRAVAILLISTE BELGE:
Place Lumumba : un premier pas vers la reconnaissance du peuple congolais et de son combat pour l'indépendance
Le 23 avril, la ville de Bruxelles a voté à l'unanimité pour l'instauration d'un square au nom de Patrice Lumumba. Le PTB soutient cette décision.
Patrice Lumumba (à dr.) n'a jamais adhéré aux idéaux marxistes, mais a néanmoins été trahi par Mobutu, qui joua à fond la carte de l'anticommunisme. © BELGAIMAGE
Mais malheureusement, le gouvernement belge ne comptait pas se séparer des richesses du Congo. La Belgique acceptait une indépendance politique de façade mais certainement pas de perdre ses intérêts économiques sur place. C'est l'invention du néo-colonialisme. Et pour y arriver, à peine 10 jours après l'indépendance, elle va non seulement s'ingérer dans les affaires du pays en soutenant la tentative d'indépendance du Katanga, la province la plus riche du pays, mais elle va également envoyer jusqu'à 11.000 militaires au Congo.
Dans la situation difficile qui va en résulter, Patrice Lumumba tentera de se battre pour garantir l'indépendance de son pays tout en tentant de sauver des vies comme à Matadi en juillet 1960 où il interviendra sur place pour faire libérer des otages belges alors que dans le même temps l'armée belge bombardera la ville portuaire, et ce après que les otages ait été libérés.
Lumumba finira assassiné quelques mois plus tard avec l'aide des autorités belges. Il sera remplacé par le dictateur Mobutu, soutenu par les USA et la Belgique. Ce dernier mettra en place au service de l'Occident une dictature et un pillage qui plongeront la population congolaise dans la misère.
Cette ingérence et ces tentatives de pillages, émanant notamment de la Belgique, le Congo doit encore s'en défendre encore aujourd'hui, 20 après la chute de la dictature néocoloniale.
Depuis les années 1960, pour tous les peuples opprimés, Patrice Lumumba est devenu une icône. Aujourd'hui encore, il est un héros pour ceux et celles qui luttent contre le néocolonialisme. Une place Lumumba à Bruxelles est d'abord un moyen d'exprimer une vision internationaliste et de solidarité avec les combats de ceux qui s'opposent à l'injustice. Lumumba représente le droit à l'autodétermination de chaque peuple face à la domination coloniale ou néocoloniale.
Mais une place Lumumba c'est aussi une manière de reconsidérer notre passé.
Chez nous l'image de Lumumba qui était cultivée était celle d'un monstre, d'un sauvage, d'un homme violent et anti-blanc. Alors que le gouvernement belge se présentait comme un gouvernement agissant dans la mesure.
Il est donc important que nous abordions l'histoire de la Belgique au Congo avant et après 1960 en nous affranchissant de cette propagande coloniale. Non seulement nous devons rappeler que Lumumba était un militant dévoué à la cause de l'indépendance et de la justice sociale. Mais nous devons également rappeler les violences de l'Etat colonial et des interventions belges après l'indépendance. Par exemple, dans son dernier ouvrage[1], l'historien Ludo De Witte explique que le gouvernement belge a toujours fait passer les intérêts économiques de ses entreprises avant la sécurité des civils. En 1964-65, ce sont les bombardements des villes rebelles par l'armée congolaise, commandée par des officiers belges, qui provoqueront des violences vis-à-vis des Blancs habitant les villes bombardées. De manière générale, la violence et l'ingérence ont été chaque fois utilisées par le gouvernement belge pour garantir ses droits au Congo.
La place Lumumba participera ainsi de la remise en question des décennies de propagande coloniale. Avec d'autres initiatives, une telle place nous permettra de regarder notre histoire droit dans les yeux. Comment est-il encore possible qu'aujourd'hui en Belgique les seuls monuments historiques de la colonisation sont ceux qui glorifient l'oeuvre coloniale, comme la statue de Léopold II, la rue des colonies ou le buste d'Emile Storms.
Enfin, la place Lumumba pourra jouer un rôle dans la lutte contre le racisme qui divise notre société. Le racisme comme idéologie a été développé au 19e siècle pour justifier l'exploitation des pays du Sud. Il fallait considérer les Africains comme des sous-hommes pour justifier toute les violences nécessaires pour les voler. La mise à l'honneur d'un dirigeant de la lutte anticoloniale fait partie de notre combat pour faire disparaître ce racisme. Aujourd'hui, cette idéologie continue de gangrener notre société et de diviser les travailleurs et les communautés. Pourtant c'est ensemble que nous allons construire une société à la mesure des gens et pas à la mesure des multinationales et du 1% le plus riche.
Pour le PTB, le combat et la victoire obtenue pour la place Lumumba reflètent aussi notre vision de la démocratie. Depuis des années, plusieurs associations se battent pour la création de cette place Lumumba. Il y a déjà 10 ans, des rassemblements avaient eu lieu. Le conseil communal d'Ixelles a été interpellé en 2013. Et en 2015 des centaines de personnes sont venues écouter un sosie de Lumumba refaire son célèbre discours du 30 juin 1960. Rappelons également que chaque année, des rassemblements ont eu lieu pour revendiquer cette place Lumumba.
Pourtant, en décembre 2015, le collège de la ville de Bruxelles voulait organiser un hommage à Léopold II, hommage qui passait sous silence tous les morts de l'entreprise coloniale. C'est sous la pression des mêmes associations et de la population qu'ils ont dû faire marche arrière.
Ici aussi, on voit que la mobilisation paie :
PS et MR ont dû céder à la pression populaire. C'est la lutte des progressistes et le débat public au sein de la population qui ont fait bouger très concrètement les lignes. Cette place Lumumba est aussi une victoire démocratique.
[1]Ludo De Witte, L'Ascension de Mobutu Comment la Belgique et les USA ont fabriqué un dictateur, ed. investig'action, 2017
@Levif.be
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