François Hollande aux côtés d'Angela Merkel au Parlement européen, le 7 octobre 2015 (P. HERTZOG/AFP).
Ah, il a envoyé du bois, "Pépère" ! Depuis son combat de mercredi après-midi sur le ring du Parlement européen, le champion est partout. Journaux et télés sont encore sous le choc de la métamorphose à laquelle l’hémicycle de Strasbourg, la presse et le public des tribunes bondées ont assisté. Tous sidérés par le spectacle inédit.
Devant la représentation continentale, l’onctueux Docteur Queuille qui depuis trois ans évite soigneusement la castagne à coups d’esquives, de reculades et de compromis, s’est transformé en Musclor prêt à se jeter sur la tigresse blonde en furie (non, ce n’est pas un cliché, ni une caricature, voyez les images…) qui venait de l’agresser.
On a frôlé la voie de fait en réunion tant le premier des Français a semblé résister à une furieuse envie de se jeter physiquement sur la défenseure autoproclamée du peuple de France.
Un événement rarissime
J’étais assis en face du président, et du haut de l’espace réservé à la presse, j’ai pu observer le processus de ce formidable pétage de plombs présidentiel. Ce jeudi matin, dans les couloirs du "PE", chacun s’interrogeait encore et dans toutes les langues, sur le diagnostic : survoltage prémédité ou spontané ?
Une nette majorité s’est dégagée en faveur du syndrome éruptif irrépressible bien connu des psychologues conjugaux sous le nom "d’explosion de la cocotte-minute". La pression monte, monte et monte encore avant de tout pulvériser. Devant les députés du groupe socialiste, le camarade François a d’ailleurs mis du temps avant de faire retomber l’adrénaline.
L’événement est rarissime, chez lui, mais aussi dans ce lieu hors du temps réel. Au fil de la lourde diatribe de Marine Le Pen contre "Monsieur le vice-chancelier ['de Madame Merkel'] administrateur de la province France", on avait vu, vraiment vu, le chef de l’État se crisper, encaisser (il sait faire) et préparer déjà le fight back avant même la fin de l’intervention minutée à la seconde près de son adversaire.
La cheffe vociférante du Front national se croyait députée au Palais Bourbon en le prenant, lui, pour un vulgaire chef de gouvernement programmé pour être livré à une brutalité ordinaire ? Elle allait voir…
Bon pour Hollande et bon pour l'Europe
Et elle a vu. Tout à coup, Hollande s’est lâché, enchaînant directs et uppercuts, comme il l’avait fait en avril 2012 pour mettre Nicolas Sarkozy dans les cordes jusqu’à ce qu’il s’écroule.
"La seule voie possible pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus de l’Europe, c’est de sortir de l’Europe tout simplement. Il n’y a pas d’autre voie. Celle-là est terrible, mais elle est celle de la logique. Sortir de l’Europe, sortir de l’euro, sortir de Schengen et même, si vous pouvez, sortir de la démocratie, parce que parfois, en vous entendant, je me pose cette question."
Une colère salvatrice et une violence presque… réparatrice, ressentie comme une espèce de délivrance pour une partie importante de l’assemblée européenne qui venait de visualiser le rêve européen mis en pièces sans le moindre état d’âme par des europhobes totalement désinhibés.
C’est une acclamation venue de presque toutes les travées qui l’a exprimée. De nombreux députés PPE (Les Républicains) ont applaudi sans retenue celui qu’ils combattent sur le sol politique français mais qui reste le président de tous les Français…
Quel moment de sincérité ! Quelle démonstration de force pour le Parlement européen, si négligé par les médias hexagonaux qui ne réservent aux sujets européens que la portion congrue : trois fois moins d’espace, au moins, que dans la presse des grands pays européens. Quand on ne voit derrière "Bruxelles" et "Strasbourg" que des monstres froids et castrateurs, cette séance a donné de l’humeur, de la chair, de l’émotion – un souffle de vie – à l’institution.
C’était bien, comme dirait d’Ormesson. C’était bien, donc, et c’est bon pour Hollande, totalement pasteurisé par une fonction présidentielle qui lui a retiré toute originalité. En ce mercredi, il a retrouvé dans l’espace supranational une liberté séduisante, et des ailes pour s’en servir. Mais c’est bon aussi pour l’Europe.
L’étincelle pour rallumer son moteur dans la course vers 2017 ?
Au moment où son visage est défiguré par les caricatures et par les lourdeurs disgracieuses que son corps trop pesant lui inflige, elle a apporté la preuve qu’elle bougeait encore. Qu’elle était enfin capable de se révolter contre elle-même et contre ceux et celles qu’il faut bien appeler des ennemis, et plus seulement des adversaires, tant ils (et elles) ont juré sa perte.
À deux voix, le couple Merkel-Hollande a su parler sans fard et afficher un désespoir positif. Une posture dynamique et contradictoire à laquelle, hélas, il a manqué le mouvement : on fait quoi maintenant, concrètement, là, tout de suite, pour transformer la colère en action ? Pour capitaliser sur cette énergie rentrée, trop domestiquée pour ne pas faire peur aux peuples transis ?
L’histoire reprochera peut-être au duo de ne pas avoir profité de ce 7 octobre historique où, 26 ans après Helmut Kohl et François Mitterrand, les deux chefs de la France et de l’Allemagne étaient là au pied de l’Europe réunie devant eux, pour écouter la parole – toujours attendue quand elle est forte – des fondateurs d’une union européenne qui n’est plus "franco-allemande" depuis longtemps.
À la fin, François Hollande a donné l’image d’un homme groggy mais heureux. Peut-il, qui sait, trouver dans les missions impossibles de l’Union l’étincelle pour rallumer son moteur dans la course vers 2017 ? .
Ce sport mécanique et incertain où il faut de toute façon prendre des risques si on veut espérer gagner.
Vidéo Clash Hollande-Le Pen au parlement Européen:
@Par Olivier Picard
Chroniqueur politique
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