CRIMINALITE:Un enfant de 11 ans tue avec une arme à feu de sa Mère
Les enfants peuvent-ils tuer pour s'amuser?
Le 21 septembre 2009. REUTERS/Muhammad Hamed
Aux Etats-Unis, un enfant de 11 ans a abattu d'une balle dans la tête un supposé intrus, avec l'arme de sa mère. L'industrie de l'armement travaille dur pour séduire ce public grandissant. Sur la liste au Père Noël cette année, combien de «Mon premier fusil» jouxteront «Mon petit poney»?
A Saint-Louis, Missouri, un enfant de 11 ans tuait le 4 septembre un intrus d'une balle dans la tête. Resté seul à la maison en compagnie de sa petite sœur et effrayé par deux tentatives d'effraction cette même journée, il s'est emparé de l'arme que sa mère avait elle-même achetée à la suite d'une série de vols dans le voisinage.
Du moins est-ce la version donnée par l'enfant et celle officiellement reprise par la police, dans la foulée des événements.
Plusieurs voisins, témoins de la scène, la contredisent: une dispute aurait éclaté sur le porche entre la victime, âgée de seize ans, et l'enfant, qui lui aurait alors demandé d'approcher. Aussitôt franchi le pas de la porte d'entrée, ce dernier aurait abattu l'adolescent. De sang-froid, à bout portant.
L'enquête dévoilera si, en effet, le petit meurtrier a brandi l'excuse de la légitime défense pour se venger sans être puni de ce qui aurait pu rester une chamaillerie de cour d'école.
Sans être puni... En filigrane, une autre question se pose: réalise-t-il seulement la portée et la signification de son acte?
Des vertus récréatives des armes à feu pour les enfants
En 2011, le New York Times pointait du doigt un article du magazine Junior Shooters vantant les vertus «récréatives» du maniement des armes en famille, invitant les enfants et adolescents à partager l'article avec leurs parents. Le papier se terminait par cette joyeuse exclamation, emplie d'espoir: «Qui sait, peut-être trouverez-vous un Bushmaster AR-15 sous votre sapin au matin de Noël!». Quelques pages plus loin, un coupon de réduction tentait de séduire les parents récalcitrants.
La NRA n'hésite pas à dépenser des dizaines de millions de dollars annuels pour conquérir cette nouvelle clientèle. D'ailleurs, Wayne LaPierre, le vice-président exécutif de la National Rifle Association, n'hésite pas à déclarer que la violence des jeux vidéos fait bien plus de dégâts que les armes à feu. Ca tombe bien, le Crickett«My First Rifle», adorable fusil taille enfant (disponible en rose bonbon, en version camouflage, etc) mais utilisant de véritables balles de calibre .22, coûte en moyenne 129$, soit un peu moins que ces affreux jeux vidéos pour console qui rendent fou...
Qui plus est, précise le clip publicitaire de la marque, l'engin en question vous assure une vraie précision –un fait qui semble échapper à la mère de famille souriante qui tient entre ses mains le fusil rose qu'elle s'apprêt à donner à sa fille, tout en visant malencontreusement le front de son fils.
A ceux pour lesquels cela n'évoque rien, le journaliste Bob Cesca rappelle que c'est une balle de calibre .22 qui a tué Bobby Kennedy. Entre autres.
Pour la NRA, la solution est évidente: plus jeune on apprend à manier les armes, mieux c'est. Oui, parents, il est de votre responsabilité d'apprendre à vos enfants, dès le plus jeune âge, à jouer avec des armes à feu.
D'après Steve Sanetti, président de la National Shooting Sports Foundation, mieux vaut instruire son enfant en l'emmenant chasser et en tirant sur des cibles, afin «d'introduire de façon positive cette tradition américaine». Le vrai challenge, précise-t-il cependant, c'est qu'il s'agit de mettre en contact les enfants avec des produits qu'ils ne sont pas en âge d'acheter, et dont le maniement requiert un certain niveau de maturité. Mais, ajoute-t-il, c'est aux parents de dire si et quand leur enfant peut commencer à se familiariser avec une arme à feu: «C'est une décision importante, qui implique la responsabilité personnelle du parent comme celle de l'enfant».
Oui, et cela fait partie des «leçons de vie» qu'il vous incombe de lui donner, renchérit Andy Fink, rédacteur en chef du magazine Junior Shooters:
«Les armes semi-automatiques ne sont en réalité pas des armes, à moins que quelqu'un décide de l'utiliser pour blesser une autre personne. C'est la presse qui en a donné une mauvaise image. Il n'existe aucune raison légitime pour qu'un enfant ne puisse apprendre à utiliser en toute sécurité un Bushmaster AR-15 pour s'amuser. C'est un outil, un objet pas très différent d'une voiture ou d'une casquette de baseball. Pas très différent qu'un calibre .22 ou d'un pistolet. La différence, c'est la perception que vous en avez.»
Les proches des victimes de Sandy Hook, l'école où Adam Lanza a utilisé le Bushmaster AR-15 de sa mère pour massacrer 20 enfants et 6 adultes en 2013, auront certainement une perception différente de celle d'Andy Fink.
Un fusil pour tuer dinosaures, zombies et loup-garous
Le docteur Jess P. Shatkin, directeur du département des «child and adolescent mental health studies» à la New York University, assure que les jeunes enfants et adolescents sont d'une nature impulsive et que leur cerveau «est conçu pour prendre des risques», ce qui en fait de bien mauvais candidats au maniement d'armes. «Il existe bien des façons d'apprendre la responsabilité à un enfant. Et vous n'avez pas besoin d'une arme pour ce faire.»
Encore faut-il ne pas prendre les enfants pour de doux imbéciles. L'émission «Young guns - what really happens when parents are not in the room» de Diane Sawyer sur la chaîne ABC en janvier 2014 montraient des parents sidérés de voir leurs jeunes bambins leur montrer avec fierté où les armes à feu étaient «cachées», suivant des père de famille entraînant leurs enfants à tirer dès l'âge de 3 ou 4 ans, allant parfois jusqu'à organiser des «gun parties» en guise de fête d'anniversaire. Au passage, on y rappelait aussi qu'un Américain de moins de 18 ans est blessé ou tué par balle quasiment toutes les heures. Et qu'il 'agirait de la 2e cause de mortalité des mineurs aux Etats-Unis.
De quoi, entre deux tueries, entraîner une véritable psychose. Une aubaine pour les fabricants de vêtements pare-balles pour enfant, un marché en plein boom –comme en témoigne ce mini gilet dessiné par Kanye West himself pour sa fille. Si les Kardashian portent des gilets pare-balles, c'est forcément branché.
Mais, au fait, quelqu'un a-t-il pensé à interroger les enfants?
En 2013, un garçonnet tuait dans une petite ville du Kentucky sa sœur de 2 ans avec sa «First Rifle», carabine flambant neuve qu'il avait reçue en cadeau d'anniversaire pour ses 5 ans.
La photographe belge An-Sofie Kesteleyn, frappée par l'incongruité de l'accident («Chez nous, seule la Police est armée. Nous n'avons pas cette culture des armes à feu»), s'embarque dans un road trip qui la mène de l'Ohio au Texas, en passant par le Tennessee, l'Alabama, le Mississippi et la Louisiane. Rares sont les parents qui acceptent, mais la jeune femme parvient à faire poser une quinzaine d'enfants avec leur bien-aimée Crickett en mains. On éprouve un choc visuel devant ces fillettes à nattes et bambins joufflus, agés de 5 à 9 ans, arborant fusil et regard de défi; mais le coup de génie de Kesteleyn réside sans doute dans la réaction spontanée de chaque enfant lorsque la photographe leur demande de dessiner la source de leurs plus profondes peurs.
Pourquoi s'arment-ils? Pour tuer zombies, loup-garous, requins, géants et ours.
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