Lettre à Monsieur Mende
Pourquoi interdisez-vous le film sur le Dr Mukwege et les femmes violées à l’Est du Congo?
De Dali Mbala Lutama, une fille de ce pays qui ne peut pas se taire face à tant d’injustices subies par mes frères et sœurs
Monsieur Mende,
J’ai vu ce film, j’ai pleuré de colère, d’impuissance, de révolte face à ce que subissent nos mamans, nos grands-mères, nos sœurs, nos filles et même nos toutes petites filles, face à cette injustice subie, face à cette impunité, et cela perdure depuis 20 ans, oui 20 ans. Si vous aviez vu ce film, Mr Mende, ce dernier ne pourrait vous laisser indifférent. Nous sommes nombreux à l’avoir vu et nous ne pouvons rester indifférents, devant une réalité qui nous touche au plus haut point.
Monsieur Mende, je m’adresse ici en tout premier lieu à l’être humain que vous êtes, au fils que vous êtes, au frère que vous êtes, au père que vous êtes, sans doute, -vu votre âge -, au grand-père que vous êtes. Imaginez-vous que chacune de ces femmes ou filles de tout âge soient vos proches, trouverez-vous normal que le gouvernement, censé les protéger, bâillonne leurs paroles sous prétexte que le documentaire à leur sujet ternit ou salit l’image de l’armée congolaise ? N’est-ce pas là encore une forme de viol que vous leur infligez, cette fois, dans leur liberté d’expression durement reprise?
Le drame qui se poursuit à l’Est de la RDC depuis tant de temps ne pouvait faire l’objet d’une censure au pays de votre part ? Cela est incompréhensible.
Si vous pensez que l’image de l’armée congolaise est salie, au lieu d’interdire le film, pourquoi ne vous demandez-vous pas pourquoi certains éléments de cette armée (dont la mission première est de protéger les populations) ont-ils pu commettre ce type d’actes odieux ?
Pourquoi ne vous demandez-vous pas qu’est-ce que le gouvernement congolais peut-il faire pour que ces femmes retrouvent toute leur dignité et leur confiance dans l’appareil étatique ?
Pourquoi ne vous demandez-vous pas pourquoi le viol comme arme de guerre sévit de la sorte dont mon pays alors qu’on dit de lui qu’il est « en paix » ?
Pourquoi ne vous demandez-vous pas comment tant de souffrances sont-elles encore possibles et qu’elles ont lieu dans le cadre du pillage des ressources minières, ressources qui devraient en premier bénéficier à ces populations victimes ?
Pourquoi votre gouvernement ne parvient-il pas à mettre un terme à toutes ces violences et à tous ces groupes armés ?
Comment comprendre qu’un Docteur se retrouve à réparer même les enfants issus du viol ? Comment même tout cela est-ce possible ? Pourquoi n’allez-vous pas rendre visite à ces femmes, à leurs familles ? Pourquoi n’allez-vous pas vous recueillir sur les nombreux lieux où tant de victimes sont tombées pour des guerres qui ne le concernent pas ? Pourquoi ne vous posez-vous pas la question de la protection de tous ceux et celles qui n’ont pas eu peur de témoigner ? …
Il est dommage de constater que vous ne vous donnez même pas la peine de vous poser ces questions ou même de tenter d’y répondre. Non, vous balayez d’un revers de la main ce documentaire poignant qui offre un regard sur l’ampleur de la souffrance faite à la femme à l’Est.
Avec ce type d’attitude, je me pose effectivement la même question que le Dr Mukwege : où sont les hommes congolais ? Où est Mr Mende ? Où êtes-vous quand tous ces drames humains se passent ? Que faites-vous pour y mettre un terme ?
Au lieu d’y répondre, vous optez pour la censure. Pensez-vous que cela élève votre gouvernement ou même votre personne ? Je crains que non. Cela ne contribue que davantage à vous isoler dans votre tour d’ivoire, bien loin, très loin même des préoccupations de congolais, et en l’occurrence ici des femmes à l’Est du pays.
Le fait d’être à la tête du Congo devrait vous encourager à protéger tout le monde et non à opprimer ou à persécuter dès lors qu’on ne pense pas comme vous. Vous en conviendrez, cela est incompatible avec une démocratie.
Vous devez sans doute vous demandez qui suis-je pour vos écrire. Je suis tout simplement une fille de ce pays qui ne peut pas se taire face à tant d’injustices subies par mes frères et sœurs et dont vous vous rendez complices par votre mépris et votre inaction. Nous aimons tous ce pays, nous voulons tous son bien-être et nous devons tous travailler la main dans la main vers l’avènement de l’Etat de droit dans notre pays. Cependant, votre façon de faire n’y contribue pas. En tant qu’enfant de ce pays et aimant ce pays et ses habitants, je me dois de vous le dire.
Bien évidemment, je ne m’attends pas de réponse de votre part. Tout au plus, j’ose espérer simplement une action. Permettez aux populations congolaises de savoir ce qui continue à se passer à l’Est du Congo. Le monde entier le sait, pourquoi alors priver les ressortissants du Congo de leur propre histoire ? Facilitez-même la diffusion de ce documentaire. Cela sera tout à votre honneur.
Si vous n’avez pas vu ce film, je me permets de vous copier le lien de ce film qui a été diffusé dernièrement sur la chaîne belge, la RTBF (je profite ici pour remercier les réalisateurs pour ce documentaire et la chaîne belge pour cette diffusion) Docteur Mukwege, la colère d’Hippocrate.
Si ce film vous a touché, vous accepterez également qu’il touche le plus grand nombre des congolais pour qu’ensemble on se lève pour dire : plus jamais ça.
Puisse notre Seigneur adoucir votre cœur afin de vous permettre de compatir avec tous ceux et celles qui souffrent dans leur chair, faute de protection adéquate de la part de leur pays.
La cause du Congo, et plus encore la paix à l’Est sera réelle si tous les enfants du Congo se mobilisent pour l’avènement de l’Etat de droit.
Mes salutations sincères et fraternelles,
Dali Mbala Lutama
Avec le soutien de Me Marie-Thérèse Nlandu, avocate
@vacradio.com
AMMAFRICA WORLD