Contrairement à Jaz et à la plupart de vos textes de théâtre, la femme semble tenir une place secondaire dans Kalakuta Dream et Ezéchiel et les bruits de l'ombre.
Si elle est en effet moins centrale que dans bon nombre de mes pièces, la femme est loin d'être anecdotique dans ces deux textes. Parmi les éléments de la vie de Fela Kuti que je développe dans Kalakuta Dream, il y a sa relation avec deux femmes importantes dans son parcours qui en a compté tant : sa mère, militante politique féministe qui a notamment lutté pour le droit de vote des femmes, et Sandra Smith, membre des Black Panthers qu'il rencontre aux États-Unis en 1969. Quant à Ezéchiel et les bruits de l'ombre, court monologue d'un père à la recherche de son fils, la mère absente est sans cesse évoquée.
Dans cette pièce créée pour les Sujets à vif du Festival, vous travaillez avec un autre type de musique que le jazz, auquel vous êtes attaché. Cela a-t-il transformé la musicalité de votre écriture ?
Si la musique de Michel Risse est en effet très loin du jazz, sa démarche en est assez proche. Compositeur pour l'espace public, il développe ainsi avec sa compagnie Décor sonore une forme d'improvisation à partir des sons du quotidien. Ceux de la ville, surtout. La nouveauté pour moi dans ce projet, c'est surtout le partage de l'acte de création. Au théâtre, la musique comme simple accompagnement ne m'intéresse pas. Je voulais que Michel porte aussi une forme de narration. Qu'il y ait un véritable échange entre nous. Résultat : pour la première fois, je me retrouve à assumer sur scène une forme de partition musicale, alors que, contrairement à ce que beaucoup de personnes croient, je ne sais jouer d'aucun instrument. Heureusement, avec Michel Risse, tout le monde peut être musicien !
Vous avez souvent exprimé la nécessité pour le théâtre africain de sortir de ses frontières. Comment cela s'exprime-t-il dans les trois pièces dont nous avons parlé ici ?
Comme dans toutes mes pièces, j'évite tout ce qui peut faire « africain ». La couleur de peau, par exemple. Mes personnages ne sont ni noirs ni blancs : ils sont animés d'une énergie noire, ce qui n'a rien à voir. C'est ma manière de prétendre à des récits universellement valables. D'éviter de faire des questions noires des questions aliénantes. De les mettre en récit comme des questions humaines et non pas seulement africaines ou afro-descendantes. Le théâtre africain doit prendre part à la fiction du monde. Il doit sortir du huis clos franco-africain dans lequel il s'est enfermé et dont il peine aujourd'hui rarement à s'extirper.
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