LA REPUBLIQUE ROMAINE DANS LA TOURMENTE:146 A 27 AVANT JC
146 à 27 avant JC
En l'an 146 avant JC, le consul Scipion Émilien, petit-fils de Scipion l'Africain, s'empare de Carthage et la détruit jusqu'aux fondations. L'Afrique est transformée en province romaine, de même que la péninsule ibérique.
La même année, la Macédoine devient province romaine et les légions s'emparent de Corinthe. L'ensemble de la Grèce se soumet... Elle se venge à sa manière en transmettant à Rome une part de sa culture, selon le mot du poète Horace (né en 65 avant JC, mort en 8 de notre ère) : «Graecia capta ferum victorem cepit» (La Grèce a soumis son vainqueur).
Rome domine désormais les péninsules italienne et ibérique, l'Afrique (l'actuelle Tunisie), la mer Égée et la mer Adriatique. Mais en dépit de sa puissance, la république continue d'être gouvernée comme aux premiers temps de son existence, quand elle n'était qu'une petite cité parmi d'autres. À la noblesse issue des anciennes familles patriciennes de Rome, qui accapare le pouvoir, s'oppose désormais la masse misérable des plébéiens issus de paysans chassés de leur terre ou d'esclaves affranchis.
Entre les deux figurent les chevaliers. Ce sont des hommes d'affaires enrichis dans le gouvernement des provinces ou l'affermage des impôts. Leur nom (en latinequites) vient de ce qu'à l'origine ils étaient assez riches pour s'offrir un cheval. Ils veulent être mieux considérés sans pour autant accéder aux fonctions sénatoriales (car celles-ci interdisent la pratique du commerce et de toute activité qui ne serait pas liée à la terre).
Les 600 sénateurs qui siègent à la Curie, sur le Forum, se montrent incapables de gérer un ensemble territorial qui domine désormais la Méditerranée.
Plusieurs hommes d'exception vont tenter de réformer les institutions romaines : les Gracques, Marius, Sylla, Pompée et pour finir César.
En 133 avant JC, Tiberius Sempronius Gracchus, élu tribun de la plèbe, tente de soulager le sort des citoyens sans ressources en leur allouant une partie du domaine public, l'ager publicus, constitué de terres enlevées aux peuples vaincus, voire aux alliés italiens ! C'est la lex Sempronia. Une dotation en capital puisée dans le trésor de Pergame est destinée à faciliter l'établissement de ces nouveaux paysans (selon un processus constant à Rome, les conquêtes sont mises à profit pour améliorer le sort des citoyens ; comme toutes les cités antiques, Rome ignore l'impôt sur les personnes physiques).
Les nantis, qui tirent d'énormes profits de l'exploitation de l'ager publicus par des esclaves, s'opposent à la loi agraire de Tiberius cependant que les Romains pauvres se soucient assez peu de reprendre le chemin des champs. Tiberius passe outre et promulgue sa loi au prix d'une entorse à la légalité. Cela lui vaut d'être assassiné en 129 avant JC.
Avec plus d'habileté, son frère Caïus tente à son tour, six ans plus tard, de relancer la réforme agraire. Il s'appuie sur les riches plébéiens et le parti populaire. Lespopolares sont des patriciens qui croient à la nécessité d'une réforme pour préserver la paix sociale. Ils s'opposent aux optimates (ou conservateurs) qui voient le salut de Rome dans le renforcement du pouvoir du Sénat et le retour aux institutions anciennes.
Élu tribun, Caïus fait d'abord passer une loi judiciaire qui substitue les chevaliers aux sénateurs dans les jurys des tribunaux criminels. Assuré du soutien des chevaliers, il inaugure par une loi frumentaire la distribution mensuelle de blé à bas prix, voire gratuit, aux citoyens pauvres de Rome. Il reprend enfin la loi agraire de son frère en organisant la création de colonies agricoles dans les territoires récemment soumis, notamment sur le site de Carthage.
Caïus entre en conflit avec le Sénat lorsqu'il projette d'élargir la citoyenneté romaine à l'ensemble des habitants du Latium, la province de Rome.
Un autre tribun, Livius Drusus, complice du Sénat, propose des réformes encore plus démagogiques. Le peuple se laisse prendre à son jeu. Il se détourne de Caïus et celui-ci échoue à se faire réélire pour un troisième tribunat... Il ne reste plus qu'à abroger ses réformes. Le consul Opimius en fait la proposition et comme les partisans de Caïus se révoltent, Opimius obtient du Sénat des pouvoirs dictatoriaux et marche contre eux.
3.000 partisans de Caïus Gracchus sont acculés sur l'Aventin et tués en 121 avant JC. Lui-même, à bout de course, n'a d'autre recours que de demander la mort à un esclave. Ses projets de colonies agricoles tombent rapidement en quenouille et, au lieu que l'exode rural se ralentisse, il est au contraire accéléré par les distributions de blé gratuites instaurées à Rome par Caïus Gracchus !
À la fin de la République, le Sénat se montre impuissant à abolir ou restreindre les lois frumentaires (de froment ou blé), mises en place par Caïus Gracchus et ses successeurs. En instaurant des distributions gratuites de blé aux citoyens pauvres de Rome, ces lois rendent ceux-ci très vite dépendants de l'assistance publique.
Au fil des ans, les distributions gratuites de blé aux citoyens de Rome (à l'exclusion des étrangers et des esclaves) s'amplifient jusqu'à concerner plus de 600.000 personnes sur une population d'un million d'habitants : «L'un des effets les plus pernicieux du système était d'inciter les patrons à émanciper leurs esclaves, non pour des raisons morales ou sociales, mais par pur calcul économique: se décharger sur l'État du fardeau de leur entretien» (*).
En l'an 106 avant JC survient Marius, un patricien de 51 ans qui s'est illustré dans la conquête de l'Afrique. Il est proche du parti populaire. A l'occasion de la guerre contre les Numides, il éprouve comme les autres généraux de la difficulté à recruter des citoyens pour ses légions.
Marius, qui bénéficie d'une fortune colossale, élargit le recrutement à l'ensemble des citoyens romains, y compris ceux qui ne possèdent rien, quitte à verser une solde à ces derniers en échange d'un engagement pour quinze ans.
Cette innovation se généralise très vite. Elle permet aux paysans des campagnes italiennes et aux citadins aisés de Rome d'échapper aux astreintes du service militaire. Mais elle débouche aussi sur une armée de métier, avec des soldats non plus dévoués à la République mais au général capable de leur assurer solde, butin, gloire et promotion !
Aux premiers temps de la République, les légionnaires reçoivent une partie de leur rémunération sous forme de sel (en latin, sal), car cet ingrédient coûteux est indispensable à leur nourriture comme à celle de tous les hommes. Avec le temps, la rémunération en nature se transforme en monnaie sonnante et trébuchante. C'est le salarium, autrement dit la monnaie pour acheter le sel (on n'en sort pas !). De ce mot, nous avons fait salaire.
La solde, qui désigne en français la rémunération habituelle d'un militaire ousoldat (celui qui reçoit une solde), nous vient du mot solidus, qui veut dire en latin solide ou massif. C'est le surnom élogieux donné dans l'Antiquité tardive à la monnaie en or créée par l'empereur Constantin. De ce mot, nous avons aussi tiré par simple déformation phonétique le mot... sou (un sou, c'est un sou, autrement dit du solide !).
Pendant le séjour de Marius en Afrique, Rome est affectée par une menace nouvelle autant qu'inattendue : deux peuplades venues de Germanie, les Cimbres et les Teutons, ravagent la Gaule romaine (la Provincia, actuelle Provence).
Fort heureusement, les Germains se retirent en Espagne pendant trois ans plutôt que de se diriger de suite vers Rome. Ce répit inespéré permet à Marius de préparer la contre-offensive.
Réélu consul plusieurs années de suite en dépit des usages, Marius écrase les Teutons près d'Aix en 102 avant JC et l'année suivante les Cimbres dans la plaine de Verceil, sur les bords du Pô. Immensément populaire, il est qualifié de «troisième fondateur de Rome» (après Romulus et Camille, un général et dictateur du IVe siècle avant JC qui chassa les Gaulois de Rome).
Marius est réélu une sixième fois consul en l'an 100 avant JC. Il s'allie aux chefs du parti populaire, dont le tribun de la plèbe Saturninus. Mais celui-ci se rend coupable de menées factieuses et sème la terreur à Rome. Le général doit alors se retourner contre lui et le tuer.
Désireux de se faire oublier après ce faux-pas, Marius part en mission en Asie. Il projette secrètement de susciter une guerre contre le roi du Pont, Mithridate, pour s'offrir de nouvelles victoires et retrouver sa popularité d'antan...
Cependant, en Italie, les alliés de Rome, au premier rang desquels les Samnites, réclament un statut d'égalité avec les citoyens romains.
Les habitants de ces cités italiennes ne tolèrent plus d'être soumis aux mêmes obligations que les Romains en matière militaire et de ne pas bénéficier des mêmes avantages, en matière de droits civils (droit de se marier selon la loi, droit de passer des actes commerciaux) et de droits civiques (droit de vote, droit de se faire élire, exemption d'impôts).
Ils se plaignent d'être assujettis à des obligations variables en fonction des traités conclus par Rome avec chaque cité. Ils s'inquiètent surtout des projets agraires, comme celui de Tiberius Gracchus, qui promettent aux citoyens romains des terres prélevées sur les domaines des... alliés !
Le tribun Livius Drusus tente bien de convaincre le Sénat d'accorder la citoyenneté aux alliés en 92 avant JC mais il est assassiné.
Faute d'être entendues, les cités italiennes préparent en secret un soulèvement. Elles échangent des otages les unes avec les autres pour consolider leur alliance. Elles se donnent aussi un gouvernement et des institutions communes calquées sur celles de Rome et même une capitale, Italica (ex-Corfinium) !
Le soulèvement éclate en 90 avant JC. Pris de court, le Sénat engage la guerre contre ses alliés (en latin, socii) et rappelle Marius mais celui-ci s'engage mollement dans cette guerre dite sociale. Après quelques premiers succès, les alliés, cantonnés dans les montagnes des Apennins, éprouvent de plus en plus de mal à coordonner leurs opérations.
Mais les Étrusques, les Grecs du sud et même les Latins, jusque-là restés à l'écart, menacent de se joindre à la révolte. Celle-ci prend un caractère impitoyable : exactions et massacres se multiplient dans les deux camps, la péninsule est dévastée...
Le Sénat se résout à accorder le droit de cité aux alliés restés fidèles puis aux insurgés sous réserve qu'ils se fassent enregistrer à Rome dans les soixante jours.
L'honneur de la victoire revient en définitive à Sylla en 89 avant JC . Aussitôt après, c'est à lui que le Sénat confie le soin de mener la guerre contre le roi du Pont. Mais cette décision contrarie Marius (69 ans), représentant du parti populaire...
La rivalité entre Marius et Sylla va entraîner Rome dans sa première guerre civile, brutale, tissée de proscriptions et d'assassinats. Sylla rétablit l'ordre et abdique volontairement mais les institutions sénatoriales ne sont pas pour autant sorties d'affaire. Un ancien lieutenant de Sylla, Pompée, se voit confier par le Sénat le soin de rétablir à nouveau l'ordre civil.
Indécis et au demeurant peu compétent, Pompée ne trouve rien de mieux que de conclure un accord avec deux autres hommes forts, le riche Crassus et un nouveau-venu sur la scène politique, Jules César. Ce triumvirat se défait rapidement.
César, fort de sa popularité, qu'il cultive avec soin, et de la gloire militaire qu'il s'est acquise en conquérant les Gaules, défie Pompée et le Sénat romain en entrant, avec ses légions, à Rome même.
Il s'ensuit une deuxième guerre civile qui voit le triomphe total de César. Sans toucher aux institutions sénatoriales, il s'octroie différentes fonctions dont le cumul fait de lui le maître tout-puissant de Rome. Il entame de profondes réformes administratives mais n'a pas le temps de les mener à bien. Il est assassiné en 44 avant JC par des partisans de Pompée et des sénateurs nostalgiques de l'ordre ancien qui le soupçonnent de vouloir rétablir la monarchie.
Son lieutenant Marc Antoine et son petit-neveu Octave se disputent sa succession. Contraints et forcés, ils forment avec Lépide, le maître de la cavalerie, un deuxième triumvirat en vue de traquer les assassins de César. Cela fait, ils en viennent à se battre entre eux. C'est la troisième guerre civile. Lépide mis hors jeu, restent face à face Octave et Marc Antoine, devenu l'amant de la reine d'Égypte Cléopâtre. La bataille navale d'Actium offre à Octave une victoire totale et définitive.
C'en est fini des guerres civiles et de la crise de régime. Comme César, Octave s'approprie à son tour les fonctions essentielles du pouvoir sans toucher à la forme républicaine du régime. Il reçoit du Sénat en 27 avant JC le titre honorifique d'Auguste sous lequel il sera désormais connu.
Rome entre alors dans sa plus grande gloire.
1er novembre 82 avant JC:
SYLLA SEUL MAITRE A ROME
Le 1er novembre de l'an 82 avant JC, deux armées romaines s'affrontent sous les murs de Rome, près de la porte Colline.
Le vainqueur est un général de 56 ans, Lucius Cornelius Sulla, plus connu sous le nom de Sylla. Sa victoire met un terme à la première guerre civile qui déchire la république romaine à son agonie. Lui-même va porter un coup fatal à cette république en croyant la restaurer. Ses réformes vont ouvrir la voie à Jules César et à l'empire.
Sylla est l'un des personnages les plus méconnus et les plus fascinants de l'Histoire romaine. Issu d'une famille pauvre de l'aristocratie, il dissipe sa jeunesse dans l'étude et la fréquentation des prostituées et des gens de mauvaise vie.
A 31 ans, en 107 avant JC, il est néanmoins élu questeur et rejoint l'armée du consul Marius en Afrique. Son habileté lui permet de mettre la main sur Jugurtha, l'ennemi juré de Rome. Il participe ensuite aux côtés de Marius à la guerre contre les Cimbres et les Teutons, des Germains qui ont envahi la Gaule et menacent Rome.
Indifférent à sa popularité naissante, il retourne à sa vie de débauche et ne revient qu'en 93 avant JC à la vie publique avec les fonctions de préteur puis propréteur en Cilicie.
Il conclut un premier traité avec les Parthes et s'enrichit au passage. A son retour à Rome, il divorce de sa troisième femme et se remarie avec Caecilia Metella, fille du chef du Sénat. Cette union lui vaut d'être désormais regardé par les sénateurs et l'aristocratie comme une possible alternative face au parti populaire qu'anime... Marius..
La guerre sociale amène Sylla à reprendre du service dans l'armée... toujours sous les ordres de Marius. Son talent tactique et son habileté font une nouvelle fois leurs preuves. Sylla s'empare de Stabies et réduit les derniers îlots de résistance du Samnium en 89 avant JC.
Ce nouveau succès lui vaut d'être nommé consul l'année suivante et de recevoir du Sénat le soin de mener la guerre contre le roi du Pont, Mithridate VI, coupable d'avoir repris les hostilités et massacré des milliers de Romains et d'Italiens en Orient. Cette décision contrarie Marius (69 ans), représentant du parti populaire, qui comptait sur cette guerre pour redresser son prestige.
Marius manigance avec un tribun de la plèbe, P. Sulpicius Rufus, un arrangement qui lui confie le commandement de la campagne du Pont.
Sylla, qui s'était déjà mis en route pour l'Asie, ne l'entend pas de cette oreille. Avec son armée, il revient à Rome en violation de toutes les règles et fait mettre Marius, Rufus et leurs partisans hors la loi. Il fait exposer la tête du tribun félon sur les rostres (une galerie qui domine les Forums romains et est décorée avec des figures de proue - les rostres - de navires ennemis). Marius préfère s'enfuir en Afrique.
Là-dessus, Sylla s'en va combattre Mithridate qui a profité des troubles pour occuper la Grèce. Le général romain occupe Athènes après un long siège avant de poursuivre Mithridate sur ses terres. Mithridate VI est bientôt battu. Sylla, pressé d'en finir, lui accorde un traité favorable, qui lui conserve son royaume en échange d'un tribut de 2000 talents... et de 80 navires pour le retour de l'armée romaine en Italie. Avant de s'en retourner, il tire encore 20.000 talents de la province d'Asie.
Mais à Rome, pendant ce temps, un consul, Cinna, se révolte contre le Sénat. Marius en profite et revient prestement d'Afrique où il s'était réfugié. Il fait mettre à mort de nombreux sénateurs et se fait réélire consul une septième fois. Il meurt l'année suivante, en 86 avant JC, mais ses partisans, les marianistes, restent au pouvoir sous l'autorité de Cinna.
Quand Sylla débarque à Brindes (aujourd'hui Brindisi, à la pointe de la péninsule italienne), avec une armée aguerrie, c'est pour en finir avec ses opposants du parti de Marius et Cinna. Pour lui faire face, les marianistes lèvent pas moins de six armées, essentiellement composées d'alliés italiens. Sylla les bat l'une après l'autre. La dernière armée, composée de Samnites, est écrasée à la porte Colline. Impitoyable, Sylla ordonne le massacre des prisonniers (7.000, y compris treize généraux marianistes).
Il se fait élire par les comices «dictateur chargé de faire les lois et d'organiser la république» pour une durée indéfinie ! C'est la lex Valeria de 82 avant JC, qui consacre de fait la ruine de la république sénatoriale.
Comme ses soldats commencent à tuer sans discrimination tous ceux qu'ils suspectent d'être des opposants, Sylla fait publier (autrement dit proscrire en latin) la liste de ceux qui peuvent être tués par quiconque. Les délateurs et les tueurs s'en donnent à coeur joie car une prime récompense leur geste. On évalue à 5.000 le nombre de leurs victimes.
Beaucoup de partisans de Sylla - comme le futur triumvir Marcus Licianus Crassus - s'enrichissent inconsidérément en s'appropriant la fortune des proscrits. Le jeune Caius Julius Caesar, né en 100 et neveu par alliance de Marius, figure parmi les proscrits et doit s'enfuir de Rome.
Assuré de son pouvoir, Sylla, qui se soucie peu d'ambition personnelle, tente aussitôt de restaurer le Sénat dans son ancienne puissance.
– Il porte de 300 à 600 le nombre de sénateurs et leur restitue le droit exclusif de siéger dans les jurys criminels.
– Il enlève aux tribuns de la plèbe le droit de proposer une loi aux comices et de briguer un deuxième mandat, réservant aux sénateurs l'initiative des lois.
– Il abolit la censure et confère aux magistrats sortant de charge la dignité de sénateur, limite les droits des consuls et des préteurs à des fonctions civiles en Italie et leur permet en sortie de charge de devenir proconsul ou propréteur en province sur désignation du Sénat...
– Il distribue des terres à 100.000 vétérans et supprime les distributions gratuites de blé aux citoyens pauvres dans l'espoir de mettre fin à l'exode rural !
Honoré du surnom de «Felix» (heureux) et jugeant son travail accompli, Sylla démissionne de toutes ses fonctions en 79 avant JC. Il se retire dans sa maison de Cumes où il file le parfait amour avec une jeune femme de 25 ans, Valeria, dont il fait sa cinquième épouse. Sa félicité sera de courte durée... Il meurt l'année suivante ! Les Romains confèrent à sa dépouille le privilège d'une inhumation sur le Champ de Mars, lieu de sépulture des anciens rois.
Cependant, contrairement à ce que Sylla a pu croire, ses réformes n'ont en rien réglé les tensions au sein de Rome... elles ont seulement inspiré à nombre d'ambitieux le désir d'exercer à leur tour la dictature.
Sur la République romaine et plus précisément Sylla, nous recommandons la lecture des historiens romains eux-mêmes, tels Tite-Live et Salluste, réunis dans un beau livre de La Pléiade (Gallimard).
Le 7 novembre de l'an 63 avant notre ère, Cicéron (Marcus Tullius Cicero) convoque le Sénat dans le temple de Jupiter Capitolin. En sa qualité de consul du peuple romain, il veut dénoncer solennellement les menées d'une bande de stipendiés à la solde de son adversaire politique, le dénommé Catilina.
Ancien agent du dictateur Sylla, celui-ci a déjà tenté de renverser les institutions républicaines en se servant du parti populaire et s'apprête à récidiver.
Cicéron est l'un des rares sénateurs issus de l'ordre équestre et non d'une famille patricienne. Il est ce qu'on appelle un «homme nouveau».
À 43 ans, il s'est déjà acquis dans le milieu politique romain une réputation de fervent républicain en dénonçant les prévarications de Verrès, propréteur de Sicile, dont la vénalité avait dépassé les bornes. Trois ans plus tôt, il a aussi plaidé pour que Pompée obtienne des pouvoirs exceptionnels en vue de combattre en Orient Mithridate, roi du Pont.
Quand Cicéron prend une nouvelle fois la parole devant le Sénat, Catilina n'hésite pas à s'asseoir au premier rang de l'auditoire, ce qui offre à l'orateur l'occasion de le prendre à partie dès les premiers mots sans autre préambule :
«– Mais enfin jusqu'où, Catilina, prétends-tu abuser de notre patience ?
– Jusques à quand auras-tu l'insolence de nous narguer ?
– Jusqu'à quelle extrémité l'audace effrénée dont tu fais preuve va-t-elle t'entraîner?»
Le consul dénonce en termes explicites les détails de la conjuration et la menace qu'elle fait peser sur la sécurité de l'État. Il fait une telle impression sur les sénateurs que Catilina ne peut rétorquer. Il ne trouve rien de mieux à faire que de s'enfuir et de susciter une rébellion armée.
Antonius, collègue de Cicéron, rassemble une armée et en vient à bout au cours de l'année suivante. Catilina perd la vie au combat et ses complices sont exécutés.
Cicéron poursuit son enquête et en expose les résultats dans quatre fameux discours, les Catilinaires. Le mot catilinaire est devenu nom commun au XIXe siècle pour désigner une harangue violente.
L'orateur refuse toute gratification pour sa conduite mais le Sénat lui témoigne néanmoins sa reconnaissance en lui décernant le titre de Pater patriæ (Père de la patrie). Cicéron apparaît désormais comme l'un des chefs du parti des optimates, qui regroupe les partisans de l'ordre traditionnel et s'oppose au parti des popolaresou parti populaire.
En 60, quand César, Crassus et Pompée forment une association de circonstance qu'on appellera plus tard le premier triumvirat, Cicéron dénonce les menaces qui pèsent sur les institutions républicaines.
En 58, Clodius est élu tribun de la plèbe. Comme il en veut à Cicéron de l'avoir dénoncé dans l'affaire de la Bonne Déesse, il se venge en l'accusant d'avoir poursuivi Catilina sans mandat et l'envoie en exil. Mais l'opinion publique se retourne en sa faveur et, l'année suivante, les Romains accueillent le sénateur en héros.
En 52, Milon est accusé du meurtre de Clodius et Cicéron rédige un discours pour sa défense : Pro Milone - Mais il n'aura pas le courage de le prononcer.
Lors de la rupture entre César et Pompée, Cicéron fait le mauvais choix en se ralliant au second. Mais César, sensible à ses qualités et à son entregent, ne lui en garde pas rancune. L'orateur se retire alors de la vie publique et se consacre à ses travaux littéraires et philosophiques.
Après l'assassinat de César, il croit possible la restauration de la République et prend le parti du jeune Octave. Il tente de le manipuler, contre Marc-Antoine. Mais les deux candidats à la succession de César se réconcilient dans son dos et Marc-Antoine inscrit Cicéron sur la liste des proscrits. L'infortuné Cicéron est rejoint à Gaète par une troupe de spadassins et meurt courageusement le 7 décembre 43 avant JC.
Il nous reste de lui ses discours, autant de chefs-d'oeuvre de l'art oratoire et de la littérature latine.
En 60 avant JC, à Rome, trois ambitieux, Pompée le Grand, le riche Crassus et le dandy César, concluent un pacte secret. Ils ont en vue de se partager le pouvoir sur le dos du Sénat républicain.
Cet accord est connu dans l'Histoire comme le premier triumvirat (un second triumvirat sera conclu en 43 avant JC par les successeurs et héritiers). Chacun des trois hommes aspire à conquérir le pouvoir sous couvert de réformer un régime républicain en crise.
Avant eux, le dictateur Sylla, de 82 à 79 avant Jésus-Christ, a tenté de mettre de l'ordre dans les institutions républicaines. Celles-ci se caractérisent par la prépondérance du Sénat, une assemblée qui regroupe les représentants des familles patriciennes.
Après l'abdication et la mort de Sylla, les troubles civils reprennent. Le Sénat fait appel à Pompée pour y mettre un terme.
Né en 106 avant JC, cet ancien lieutenant de Sylla a combattu Marius, un rival de son maître, puis participé à la guerre contre le roi du Pont (la région du Pont-Euxin, ancien nom du détroit du Bosphore). En récompense, Sylla lui a offert un premier triomphe à Rome avec en prime le titre de Grand, quelque peu exagéré.
Là-dessus, Pompée poursuivit en Espagne Sertorius et Perpenna, deux anciens partisans de Marius. Les combats s'éternisèrent pendant quatre ans sans que Pompée arrive à emporter la décision. C'est seulement l'assassinat de Sertorius par Perpenna qui lui permit d'en finir.
Pendant que Pompée rétablissait la souveraineté de Rome en Espagne, les choses se gâtaient en Italie avec la révolte des esclaves à l'appel d'un gladiateur charismatique originaire de Thrace, Spartacus.
Revenant en Italie avec ses troupes, Pompée, servi par la chance, détruit les dernières bandes d'esclaves après que Crassus eut défait le gros de leurs troupes.
Pompée obtient un deuxième triomphe pour son expédition d'Espagne et s'attribue qui plus est la victoire sur les gladiateurs révoltés. Crassus doit se contenter d'une ovation.
Malgré cette indélicatesse, Pompée et Crassus s'entendent pour obtenir l'un et l'autre le consulat en l'an 70 avant JC. Issus tous les deux de la mouvance de Sylla, ils gagnent la confiance du parti populaire en annulant les réformes de l'ancien dictateur favorables au parti aristocratique.
Ils sont aidés en cela par les exactions de Verrès, ancien gouverneur de la Sicile, qui jettent le discrédit sur la noblesse et affaiblissent le parti aristocratique.
Soucieux d'accroître sa popularité, Pompée obtient du Sénat des pouvoirs exceptionnels, comme celui de faire la paix et la guerre, ainsi qu'un commandement pour le pourtour de la Méditerranée, en vue de débarrasser celle-ci des pirates qui l'infectent. C'est chose faite en trois mois, en l'an 67 avant JC.
Voilà qu'en Orient, Mithridate IV, roi du Pont et de Bithynie, se fait à nouveau menaçant.
Le général Lucullus réduit la rébellion de Mithridate et de son beau-père, le roi d'Arménie Tigrane. A Rome, cependant, Pompée obtient un nouveau commandement en Asie. Il n'a que le temps d'intervenir pour cueillir la reddition de Tigrane et constater la mort de Mithridate.
En l'an 63 avant JC, le Pont, la Bithynie et la Syrie séleucide deviennent provinces romaines.
Fort de ses succès en Orient, Pompée le Grand (Cneius Pompeius Magnus) apparaît désormais comme l'homme fort de Rome.
Illusion. Pendant que Pompée se bat contre Mithridate, Catilina, un noble ruiné, fomente une conjuration à Rome et brigue le consulat. C'est en définitive l'orateur Cicéron qui emporte l'élection. Dans une séance fameuse au Sénat, il dénonce la conjuration et oblige Catilina à s'enfuir. Cicéron reçoit le titre de «Père de la Patrie».
La république sénatoriale paraît sauvée. Elle est en fait à la merci d'un général ambitieux. Sera-ce Pompée? Celui-ci débarque à Brindes, en Italie du sud, après des campagnes triomphales en Grèce et en Asie. Mais il commet l'imprudence de licencier ses légions, de sorte qu'à Rome, après avoir obtenu un troisième triomphe«de orbe terrarum» (sur le monde entier !), il est mis sur la touche par le Sénat sans pouvoir s'y opposer.
Pour conserver son autorité, Pompée n'a plus d'autre solution que de se rapprocher du richissime Crassus et de... César. Crassus , consul aux côtés de Pompée en 70 avant JC, s'était illustré en massacrant Spartacus et sa bande d'esclaves révoltés. César, quant à lui, revient d'Espagne où il a mené des campagnes de pacification en qualité de propréteur. Il est connu pour sa vie dissipée et ses frasques de dandy. Il a donné sa fille Julia en mariage à Pompée.
Les trois compères forment un premier triumvirat (ou gouvernement à trois, d'après l'expression latine tres viri reipublicae constituendae) en -60. Mais leur entente n'est que de façade. Chacun aspire à prendre le pas sur les autres et le meilleur moyen d'y parvenir est la gloire militaire.
Tandis que Crassus obtient le gouvernement de la Syrie et s'en va combattre les Parthes en Orient, Pompée reçoit le gouvernement de l'Espagne et César celui de la Gaule cisalpine ainsi que la charge de consul.
En butte à l'hostilité du Sénat, le nouveau consul n'hésite pas à en appeler au peuple et cultive avec soin sa popularité.
Jules César use ainsi de sa fortune acquise en Espagne pour organiser des jeux mémorables. Il obtient par ailleurs des terres pour les vétérans de Pompée. Sollicité par Ptolémée XI Neos Dionysos, roi d'Égypte, Jules César le fait confirmer sur son trône moyennant une grosse indemnité.
En 58 avant JC, le Sénat lui donne les pouvoirs militaires (imperium) en Gaules cisalpine, transalpine et Illyrie, avec quatre légions. Les sénateurs, qui craignent son ambition, veulent de cette façon l'éloigner de Rome. L'ambitieux politicien n'a cure de leurs intentions cachées. Il voit dans la mission qui lui est confiée l'occasion d'obtenir la gloire militaire qui lui fait défaut.
C'est ainsi qu'il va profiter de ses fonctions pour conquérir la Gaule insoumise et, fort de ce succès, va marcher sur Rome avec ses légions pour évincer définitivement Pompée et soumettre le Sénat à ses volontés.
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