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LE CONGO, LES COBALTS ET LES GRANDES MULTINATIONALES

 

Le Congo, le cobalt et les grandes multinationales minières

La part du secteur minier dans l'économie congolaise est très élevée. (Photo Raf Custers)

Le Congo semble pris dans une spirale sans fin de violence et de pauvreté. Personne ne peut prédire comment se dérouleront les élections, prévues pour le 23 décembre. Une chose est toutefois sûre : le Congo est un des pays les plus riches au monde en matières premières, et cette richesse est le véritable enjeu de toutes les luttes dans ce pays.

Le grand paradoxe du Congo est sa richesse énorme en minerais et en même temps la grande pauvreté du peuple congolais. En 2015, la Banque mondiale constatait que la part du secteur minier dans l’économie congolaise est particulièrement haute en comparaison avec d’autres pays ayant une importante industrie minière. Elle observait aussi que les revenus qui restent dans le pays sont exceptionnellement bas. La Banque mondiale qualifiait cela d’« atypique ».

Au cours des prochaines années, le marché des voitures hybrides et électriques va connaître un large développement. Cela fait du Congo un pays encore plus crucial pour l’économie mondiale. En effet, le cobalt est un minerai indispensable dans la construction des batteries des voitures électriques, et le Congo possède 60% des réserves mondiales de cobalt (voir graphique).

Source : Mineral commodity summaries 2018, US government, page 51. Voir aussi Le Monde diplomatique du mois d’août 2018, dossier sur les voitures électriques.

Depuis la fin des années 1980, la production minière congolaise tournait à très bas régime. Dans les décennies qui ont suivi, les entreprises occidentales ont acheté des concessions principalement dans un but de spéculation. En 2002 – alors que le pays était affaibli par la guerre à l’est du pays  –, le Congo a, sous la pression de la Banque mondiale, accepté un code minier qui était extrêmement désavantageux pour le pays (voir encadré). Tout cela a fait en sorte que les immenses réserves congolaises de matières premières n’ont presque rien rapporté aux Congolais.

Ce n’est qu’en 2009 que la production minière a fortement redémarré suite à la pression du gouvernement congolais, à l’intérêt croissant de la Chine et à une remontée des prix des minerais. Mais le peuple congolais n’en ressent pas encore le bénéfice.

Cette cité, située à côté de la société Chemaf à Lubumbashi, est une propriété de la multinationale Glencore. Les travailleurs congolais (et leurs familles) vivent grâce à une multinationale dont le chiffre d’affaires annuel est de 200 milliards de dollars. (Photo Raf Custers)

Un « modèle économique néocolonial »

Les principaux responsables de ce paradoxe congolais sont clairement les grandes multinationales. En 2015, le Pr Stefaan Marysse, qui suit de près l’économie congolaise depuis trois décennies, constatait que le raisonnement des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) ne tenait pas la route. Les investissements étaient censés créer de l’emploi et combattre ainsi la pauvreté. Marysse note cependant qu’après douze ans, l’emploi créé est quasiment nul et quela pauvreté continue d’augmenter.

Marysse met en garde contre « l’hémorragie causée par la logique économique des multinationales ». Il fait référence aux nombreux milliards de dollars que les multinationales minières, après quelques années d’investissements, ont retirés du pays à partir de 2013.

Le 10 juin 2015, lors d’une conférence, il évoquait un « modèle économique néocolonial » dans lequel le rôle du Congo reste limité à fournir des matières premières bon marché aux multinationales étrangères pendant que le peuple congolais reste dans la pauvreté. Ce modèle économique néocolonial reposait entre autres sur le très inéquitable code minier de 2002.

En 2009, les autorités congolaises, dont on sait qu’elles sont traversées par différents intérêts, ont commencé à négocier un nouveau code minier avec les multinationales. Toutefois, celles-ci n’étaient pas du tout disposées à diminuer ne fût-ce que d’un peu leurs énormes profits. Le nouveau code minier présenté fin de l’an dernier prévoit entre autres une augmentation des taxes sur le cobalt de 2 % à 10 % et 50 % sur les superprofits.

Les multinationales défendent leurs profits

Les sept plus grandes multinationales, qui selon leurs propres dires représentent 85 % de la production minière congolaise, ne décolèrent pas et exigent d’être exemptées des nouveaux tarifs jusqu’au moins 2028.

En novembre 2017, après plus de cinq années de négociations, Albert Yuma, le patron de l’entreprise d’État congolaise Gécamines, a déclaré : « On nous a trompés en 2000, a-t-il déclaré. On nous a dit que le Congo était incapable d’exploiter seul ses matières premières et on nous a dit que nous avions besoin de partenaires. » Selon Yuma, en 2016, même avec les très bas tarifs fiscaux du code minier de 2002, “l’État aurait dû recevoir 768 millions de dollars d’impôts des grandes entreprises minières et “nous avons reçu zéro ; nos partenaires se sont arrangés pour, chaque année, soi-disant réaliser moins de bénéfices ». Yuma évoquait là le fait que, même avec les bas tarifs du code minier, les grandes entreprises minières pratiquent encore l’évasion fiscale.

Yuma a menacé de revoir unilatéralement les contrats avec les entreprises minières étrangères. « Je dis revoir, pas renégocier, c’est nous qui fixerons les critères. » Le langage ferme de Yuma a apparemment eu de l’effet. Durant les six premiers mois de 2018, les rentrées de l’État provenant du secteur minier ont triplé par rapport à la même période en 2017 (passant de 295 millions à 864 millions de dollars). En même temps, le gouvernement congolais a continué dans l’élaboration d’un nouveau code minier qui a finalement été voté en mars de cette année et a été appliqué à partir de juillet. Mais les grandes entreprises minières ne l’entendent pas de cette oreille: fin août, les sept plus grandes entreprises minières ont fondé la « Mining Promotion Initiative », une organisation qui affirme vouloir empêcher l’application du nouveau code.

L’exploitation du Congo s’apparente à un véritable pillage. L’un des premiers à piller, fut l’Etat belge. (Photo Raf Custers)

« Aucun gouvernement étranger ne peut mener la lutte des classes à la place des opprimés »

Si, dans son rapport de 2015, la Banque mondiale qualifie la situation du secteur minier congolais d’« atypique », on peut traduire cela par « un cas de pillage extrême ». Il n’est guère étonnant que l’on soit très peu informé de la responsabilité des multinationales. Lorsqu’il s’agit du pillage du Congo, c’est en effet surtout la corruption souvent réelle des dirigeants congolais eux-mêmes qui est mise en avant. Alexander De Croo, le ministre belge de la Coopération au développement, déclarait l’an dernier dans une interview :« Le Congo n’est pas un État mais un instrument d’enrichissement personnel. » Dans la même interview, il affirmait aussi ouvertement que « la communauté internationale devait prendre les choses en main ».

Elikia M’Bokolo, un historien congolais internationalement réputé pour sa critique du colonialisme, a rappelé que c’était le gouvernement belge lui-même qui avait porté au pouvoir les plus grands voleurs parmi les dirigeants congolais – une référence à des dirigeants comme Tshombe et Mobutu qui, avec le soutien de la Belgique, ont assassiné le leader anti colonial Patrice Lumumba dont la coalition avait remporté les élections en 1960. M’Bokolo compare aussi les déclarations de De Croo à celles de Léopold II, qui en son temps parlait de « trafiquants d’esclaves et chefs de tribus malhonnêtes » et utilisait ces qualificatifs pour justifier la conquête coloniale du Congo. M’Bokolo concluait :« Il est vrai qu’il y a un problème d’»écrémage», pas par des individus, mais par un groupe social. » Pour M’Bokolo, tant la majorité des dirigeants actuels que celle des opposants congolais appartiennent à ce groupe social parce que tous ceux-là ont à certaines périodes participé au pouvoir et se sont enrichis. « Mais ce problème ne sera pas résolu par la communauté internationale. C’est nous, les Congolais, qui le résoudrons. Cela s’appelle la lutte des classes et aucun gouvernement étranger ne peut mener cette lutte des classes à la place des opprimés. »

Le Congo est-il « notre arrière-cour » ?

La raison pour laquelle les politiciens occidentaux veulent garder la main au Congo est évidente. Le 13 avril 2018, Alexander De Croo déclarait :« La dernière chose que nous devons faire en Europe, c’est tourner le dos à l’Afrique. Parce que d’autres partenaires prendront notre place. On parle depuis longtemps de la Chine, mais la Russie joue aujourd’hui aussi un rôle en Afrique. Ils disent :nous avons d’autres solutions que l’Europe pour vos problèmes. » Un peu plus tard, il justifie l’ingérence permanente de la Belgique et de l’Europe au Congo et en Afrique :« C’est notre arrière-cour. Si cela va mal là-bas, nous serons les premiers à en être les victimes. » À cela, M’Bokolo répond :« C’est à nous, Congolais, et certainement pas aux gouvernements occidentaux, de décider de ce que nous faisons de nos matières premières et à qui nous les vendons. »

 

Le code minier


Le code minier est un texte de loi qui fixe les droits et les obligations de l’État congolais et des entreprises minières. Le premier code minier, rédigé par des experts de la Banque mondiale, a été établi en 2002 à un moment où la guerre faisait rage au Congo depuis cinq années. Les rapports entre l’État congolais et les entreprises minières étaient alors très inégaux et le code minier de 2002 avait pour but d’attirer les grandes entreprises minières par de bas tarifs d’impôts et plusieurs années d’exonération fiscale. Il avait été conclu que ce code minier serait valide jusqu’en 2012, mais la résistance des entreprises minières a fait qu’il a fallu attendre jusque mars 2018 pour qu’un nouveau code minier puisse être voté.

 

Article publié par Tony Busselen

(Auteur du livre, le congo une histoire populaire)



22/11/2018
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