AMMAFRICA WORLD

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RWANDA:LES TROIS RACES

 

 

 

 

Les trois races

Alexis KagameLes organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda, Bruxelles 1954 pp.6-27)

 

La population du Rwanda est constituée de trois races :

I. Abatwa

Mutwa

Type de Mutwa Céramiste Rwandais. (Photo ROSMANT in A. Kagame, Les organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda)

1. Les Batwa sont de deux catégories : les pygmées et les céramistes. Les Pygmées sont appelés Impunyu (Myrmidons). Ils vivent à l’écart des autres populations et se livrent à la chasse. Ils se divisent en trois groupes :

a) Les Myrmidons dits Ibijabura (les Pataugeurs) qui vivent dans les ilôts du Rugezi, vaste marée située au nord du Rwanda. Ils chassent surtout le situtunga (inzobe) et autres animaux à fourrure tels que les loutres (inzibyiet igihura), abondant dans ces parages.

b)Les Myrmidons sylvicoles, dont les groupements sont éparpillés dans la forêt de bambous (le rugano) accrochée au front des volcans qui bordent le nord-ouest du Rwanda. Leur aire est à cheval sur la frontière actuelle de notre pays. Ils chassent surtout l’éléphant et le buffle répandus en cette zone.

c)Les Myrmidons dits Ishabi, vivant dans la forêt du Mishahi au sud-ouest du pays, entre les territoires administratifs actuels de Cyangugu et d’Astrida. Ils chassent également l’éléphant, le buffle et le colobe à longs poils blancs. Ce groupe n’a pas encore été étudié ainsi d’ailleurs que les Pataugeurs du Rugezi.

2. Les Myrmidons ou Pygmées, à quelques groupes qu’ils appartiennent, sont reconnaissables à leur petite taille, dont la moyenne est de 1,59 m. Ils n’acceptent pas de s’installer en pays découvert. Ils sortent de la forêt pour vendre les peaux, fruit de leur chasse, aux cultivateurs. Ils en offrent également aux chefs qui, en retour, les gratifient de quelques têtes de petit ou de gros bétail, suivant les convenances de la coutume.

3. Les Céramistes forment une catégorie à part. On les appelle Batwa tout court, le terme de Myrmidons (Impunyu) étant réservé aux Pygmées, à cause de leur petite taille. Celle des Céramistes au contraire, ne diffère en rien de la moyenne générale des Bahutu (race bantu). Ils sont céramistes et vivent du fruit de leur industrie de poterie.

4. Certains d’entre eux se reconnaissent facilement au nez fortement aplati et à leurs grosses lèvres. D’autres présentent un type plus évolué aux traits moins rudes, se rapprochant beaucoup de métis Bantu-chaminitisés. Cette amélioration de la race Batwa semble être due à un véritable métissage. Les femmes Batwa, en effet, chantres, harpistes, artistes vanneuses, vivent à la cour en trop grande familiarité avec les Batutsi. C’est un fait très connu. On va parfois jusqu’à identifier parmi les grands Hamites du Royaume, les véritables pères de tels Batwa aux très brusquement transformés. Toutefois, métissés ou non, les Batwa peuvent facilement se reconnaître à leur parler un peu spécial. Ils sautent du ton haut au ton bas, sans s’occuper di ton moyen lorsqu’il le faut. Peu d’exceptions d’entre eux échappent à ce défaut.

5. Les Batwa céramistes constituent une race réellement différente de celle des Pygmées. Il serait superflu de rappeler combien les cultures des deux races sont disparates, l’une par rapport à l’autre. La tradition rattache l’origine de nos Céramistes à celle de l’actuelle Dynastie. Les prescriptions du Code Esotérique de la Dynastie (Ubwiru), confirment largement les dires de nos mémorialistes. L’intervention des représentants Batwa dans le cérémonial du Code ésotérique est d’une importance capitale. Lorsqu’on est à même d’apprécier, en connaissance de cause, l’irremplaçable valeur de pareils documents au point de vue culturel, on est obligé d’admettre qu’il existe un lien indiscutable entre la Dynastie rwandaise et une catégorie au moins de nos Céramistes.

6. On voudra bien remarquer la restriction qui s’imposait et que je dois souligner ici. Seule une catégorie de Céramistes est strictement liée au Code Esotérique de la Dynastie. Les autres familles n’y ont pas accès. Ce qui laisse supposer qu’à côté du groupe lié au Code, il peut y avoir eu d’autres clans existant au Rwanda indépendamment de l’actuelle Dynastie. La question de l’origine de nos Batwa céramistes et de leur présence en Afrique centrale, reste posée[1] .

7. Les Batwa Céramistes et Pygmées peuvent manger de la viande de n’importe quel animal, indistinctement, tandis que d’autres races sont soumises à la classification d’animaux en catégories pures et impures. Aussi une interdiction extrêmement sévère défend-elle aux Bahutu et aux Batutside communiquer, dans le boire et le manger, avec les Batwa de toutes nuances.

8. Le Roi peut anoblir tel Mutwa ou telle famille de la catégorie des Céramistes [2] . A partir du moment de son anoblissement, l’ex –Mutwapasse dans la catégorie sociale des Batutsi. Il lui est alors interdit de communiquer désormais avec les Batwa dans le boire et le manger. Il ne peut plus manger de n’importe quelle viande indistinctement comme il le faisait précédemment. Dans les relations sociales, il n’est plus limité, en principe, que par ses possessions bovines, ses commandements et son comportement général, éléments pouvant déterminer les cercles de la société où il peut avoir accès. [3]

II. Abahutu

Muhutu

Un vieux de raceMuhutu(Photo C. EEMAN in A. Kagame, Les organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda)

9.La race des Bahutu se ratache, en principe, au groupe ethnique dénommé Bantu[4]. Les Banturwandais présentent cependant une variété de types qui ne répondent pas uniformément aux définitions générales en cours parmi les ethnologues. Ce phénomène n'est pas propre au Rwanda seul: dans toutes les régions où la présence des Hamites immigrés est séculaire, le type des autochtons Bantu a dû subir des modifications plus ou moins accusées. Pour ne nous limiter qu'au seul cas du Rwanda, certainsBahutu descendent de Hamites appauvris et déchus de leur rang social. D'autres, - aspect différent du même cas, - ont pour ancêtres desBahutu enrichis à une époque donnée,et qui purent épouser des femmes hamites. Puis il y a le cas des relations extra-matrimoniales entre les deux races. Toutes ces considérations peuvent aisément expliquer cette gamme de samg mêlé, s'étageant entre le type hamite et le type bantu pur.

10.On ne peut pas minimiser non plus les facteurs d'ordre écologique et les conséquences des comportements divers qui en découlent. Le climat du Rwanda n'est pas homogène. Cette différence climatique conditionne celle de l'habillement, du travail, de l'alimentation et de l'idéal social. telle famille dont la vie se déroule, depuis quelques dizaines de générations, en régions chaudes (où prédomine dans certains milieux le régime lacté), ne manquerait pas de se différencier de telle autre famille qui, dans le même laps de temps, se serait confinée en régions monagneuses et froides, où l'élevage du gros bétail est très limité, s'il n'y est pas entièrement inexistant. [5]

11.La taille moyenne des Bahutu atteint 1,67 m. On estime généralement qu'ils constituent 90% de la population totale du Rwanda. Ils sont en principe cultuvateurs et éleveurs de petit bétail, ou plus précisément de la race caprine. La brebis semble, en effet, se rattacher aux Pasteurs hamites. LesBahutu sont cependant éleveurs de gros bétail, mais dans le cadre hamitique que nous décrirons plus loin.

12.D'où viennent les Bahutu du Rwanda? - Cette question est posée pour rappeler tout d'abord que cet aspect de l'origine des Bantu ne doit pas être envisagé en cette monographie. Nous ne devons y décrire que le seul vieux Rwanda. Dévier de ce plan déterminé, pour se livrer à des esquisses relevant de l'ethnologie, serait une distraction et peut-être même une pure perte de temps. La question est posée, ensuite, pour rappeler que M. le Chanoine de LACGER a fait sienne une opinion qu'on ne peut plus soutenir. A savoir ques les Bantu de l'Afrique centrale en général et les Bahutu du Rwanda en particulier, seraient originaires d'Océanie. Que d'îles en îles, ils auraient atteint Madagascar, et finalement la côte du continent [6]. Or, si on se réfère aux découvertes archéologiques, on doit admettre que le point d'arrivée de cette race est plutôt l'Afrique nord-occidentale. Ils auraient envahi le continent, en émigrant de la zone sud-occidentale de l'Europe [7]. La préhistoire et l'archéologie se trouvent ici en leur domaine indiscutable, et les ressemblances pouvant exister entre Bantu et Australiens doivent être expliquées en partant d'un foyer commun initial en Asie. On comprend, du même coup, que les Bahutu du Rwanda deviennent, au sein de ce problème, un élément secondaire.

13.Que signifie le terme Muhutu, au pluriel Bahutu? Le mot se rapporterait-il au même radical que Muntu, au pluriel Bantu (c'est-à-dire hommes)? - Nous allons tenter d'y répondre tantôt, lorsque nous nous poserons la même question au sujet du terme Batutsi (Hamites), car les deux mots sont corrélatifs. Déclarons cependant dès maintenant que, du moins en la langue du Rwanda, les deux mots: Bahutu et Bantu ne se rapportent pas au même radical: 

dans Bantu, le radical est nt (abantu)
dans Bahutu, le radical est hut (abahutu) .


Il n'y a dès lors pas moyen d'identifier la signification etymologique des deux mots[8]

 

III. Abatutsi

A. Peut-on identifier leur zone d'origine?

Mututsi

Un vieux Mututsi(Photo R. BOURGROIS in A. Kagame,Les organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda)

14.Cette race vient de l'Afrique nord-orientale. Ces Hamites [9] se reconnaissent à leur type apparenté aux Abyssins, aux Galla, aux Somali et tant d'autres races de la civilisation chamitique [10]. La moyenne de leur taille atteint 1,80 m. Ils sont éleveurs de gros bétail. Celui d'entre eux qui en est dépourvu, déchoit par le fait même et retombe dans la classe sociale des simples terriens.

15.De quelle partie de l'Afrique nord-orientale viennent les Batutsi du Rwanda? Serait-ce de la haute Egypte, ou bie du plateau Abyssin? La réponse à cette question n'est pas si facile, contrairement à ce que certains seraient tentés de croire. Lorsqu'on se rend compte des éléments constituant la culture du Rwanda hamite, et que d'autre part on considère attentivement et consciencieusememnt ce qui nous est connu de l'ancienne Egypte [11], ainsi que la culture de l'aire éthiopienne, on constate que les Batutsi pourraient indifféremment se rattacher à l'une ou à l'autre zone [12]. Et rien de plus compréhensible, puisque la civilisation du plateau éthiopien fut largement influencée par l'empire des Pharaons. Ce qui veut dire que si même lesBatutsi viennent du plateau abyssin, leur culture dépend, en dernière analyse, de la civilisation égyptienne.

16.Pour rechercher la zone qui fut le berceau initial des Batutsi, certains points sont à retenir, si on veut aboutir à quelque conclusion de substantielle consistance. Tout d'abord, on ne peut plus espérer retrouver la zone en question. Prétendre au contraire, au point où en sont nos moyens actuels d'investigation, serait faire preuve d'un manque évident de préparation adéquate pour l'examen du problème. Prenons nos Batutsi dans les circonstances concrètes où nous les voyons vivre.Ils étaient initialement pasteurs et nomades. Ils quittèrent, à une époque donnée, la zone qu'ils occupaient en Afrique nord-orientale. C'est-à-dire qu'ils changèrent très probablement d'altitude, et très certainement de latitude. Ce seul fait de changer d'hémisphère obligeait nos émigrés à s'acclimater, à s'adapter aux conditions nouvelles de saisons inconnues jusque là. Ils ont transformé leur économie purement pastorale en une autre nomade pour adopter la vie sédentaire. Voilà une série de faits qu'on ne peut ni ignorer ni négliger, sans exposer à émettre des opinions erronées sur l origine de nos Hamites.

17.Par surcoît, ils ne se sont pas installés dans une aire inhabitée: ils y ont trouvé des populations antérieurement établies, ayant leur langue,leurs coutumes et leurs conceptions de tout ordre. Nos Batutsi se sont indigénisés; ils se sont intégrés dans la société autochtone. Mais en s'indigénisant, ils ont aussi influencé la culture des autochtones. Les idées des nouveaux venus, sur le monde visible et invisible, leurs organisations familiales, politiques et autres, ont fatalement modifié les éléments correspondants des Bantu établis dans nos régions. D'où l'inter-influence des deux groupes a créé une culture mixte, ou mieux nouvelle, qui est ni bantu pure, ni hamite pure, mais bantu-hamitisée; en d'autres mots, la culture du Rwanda précolonial. Cette culture ne peut se rencontrer nulle part ailleurs telle quelle, ni chez les hamites non rwandais, ni chez les Bantu non rwandais[13].

18.Mais, ce n'est pas tout. Supposons que la zone dont les Batutsi sont orignaires, soit identifiée grâce à des moyens indépendants de leur culture actuelle. Les habitants actuels de ladite zone sont-ils les descendants purs de ceux qu'y laissèrent jadis nos émigrés? Sont-ils encore au stade d'évolution qui y était en vigueur à l'époque où pris place l'exode des Batutsi? La réponse aux deux questions est évidemment négative.Toute l'Afrique nord-orientale a été le théâtre de mouvements incessant d'immigration, à la suite desquels les civilisations locales ont subi le même phénomène d'acculturation constaté au Rwanda hamitisé.

19.Le problème se complique, en plus, par le fait que les Batutsi n'arrivèrent pas au Rwanda à la même époque, en un seul groupe. Ils s'y installèrent par vagues successives et y créèrent des royaumes que devaient annexer la dynastie actuelle. Citons ici spécialement les Barenge, représentants d'une culture très avancée, dont la technique était notablement supérieure à celle de nos Batutsi [14].Ces Hamites appartenant à des clans différents, créant des dynasties indépendantes et hostiles les unes aux autres, ne peuvent se rattacher à un même chef patriarcal de groupe. Les ancêtres de la lignée régnante arrivèrent en nos régions à une époque ultérieure. D'autres groupes, dont des familles occupent une place de choix dans notre société, firent leur apparition à des dates plus récentes encore.

20.Le fait de ces arrivages successifs de Hamites ne se pose évidemment pas pour le Rwanda seul. Il en fut de même pour les régions limitrophes que cette étude de concerne pas. En ce qui regarde le Rwanda, on s'explique mieux la superposition de certains éléments de notre culture, dont il sera en partie question plus loin. Posons-nous seulement ici la question:les Batutsi du Rwanda, arrivant dans l'aire qu'ils occupent, non pas en un seul groupe, mais par vagues successives, provenaient-ils d'une seule et même zone de l'Afrique nord-orientale? C'est ici un autre problème qu'il est nécessaire d'envisager.

B. La signification étymologique de leur nom

Mututsi Pur

Type de Mututsi de race pure selon les termes de A. Kagame.(Photo EEMAN in A. Kagame, Les organisations socio-familiales de l’ancien Rwanda)

21.Que signifie le terme Mututsi, au plurielBatutsi? Au sujet d'un nom donné, on peut envisager, rechercher la signification étymologique et la signification réelle. La signification réelle du nom Mututsi nous est familière: nous savons qu'il s'agit d'un homme, appartenant à une race déterminée du centre africain, et répondant à tous les éléments d'ordre racial et culturel qui n'existent pas simultanément en dehors de son milieu propre.

22.S'il faut maintenant aller à la recherche du sens étymologique du nom Mututsi, il y a un principe qui semble s'imposer au point de départ. A savoir celui-ci: lorsqu'une race fait son apparition dans une zone donnée où elle était inconnue, les aborigènes la désignent par une dénomination de leur propre invention. Ainsi, lorsque les Européens arrivèrent en Afrique centrale, on leur imposa, - dans la zone orientale, - l'appelation de Bazungu, c'est-à-dire: ceux qui ont contourné. Les premiers explorateurs portugais atteignirent la côte du Zanguebar après avoir contourné l'Afrique, doublé le Cap de Bonne-Esperance. Les indigènes de la côte orientale qui parlent le Swahiliimposèrent donc aux Blancs d'Europe l'appelation dont le sens étymologique est un monument élevé en l'honneur des pionniers qui avaient fait le tour de l'Afrique.

23. a) Les Batutsi qui n'ont même pas conservé leur propre langue, n'ont pas retenu la dénomination de leur pays d'origine. celle sous laquelle ils sont désignés appartient donc à la langue indigène du Rwanda et du Burundi. Mais avant de rechercher le terme dont on s'est servi pour former le substantifMututsi( Batutsi), rappelons préalablement l'une des règles fondamentales de notre langue, concernant la dérivation de noms communs.

b)Tout verbe dont la syllabe finale est - ka forme ses temps parfaits en changeant le -ka en tse et ses substantifs en transposant le tse en tsi.

Exemples:

gutuka = insulter - natutse = j'ai insulté.

guteka = cuire - natetse = j'ai cuit.

gutegeka = commander -nategetse = j'ai commandé.

guheka = porter en litière -nahetse = j'ai porté en litière.

igitutsi = une insulte

umutetsi = cuisinier

umutegetsi = celui qui commande

umuhetsi = porteur de litière

24. a)Cette règle nous suggère que le substantif Mututsi( Batutsi), dérive d'un verbe dont la forme primaire se termine en -ka. C'est ce verbe qu'il faut rechercher et identifier. Un verbe existe dans la langue ancienne sous sa forme primaire. Nous disposons, toujours dans la vielle langue, d'un autre verbe dérivé, dont la signification est légèrement différente. Les deux verbes ont été heureusememnt consignés dans des poèmes, sans lesquels ils nous auraient été impossible même d'y penser.

b)Le premier verbe est gutuka. Nous pouvons le relever dans le vers 34 du poème consacré à la faim, intitulé Rwanyiranjaja (la Concassante).Ici le verbe est à sa forme primaire, et il donne par conséquent le concept direct. Le vert est: 

Nzamutuka insaro n'indira
Je lui ferai présent de bouteilles et de perles.

A ce sens se rattachent les noms propres, sous forme passive deGitukwandira (L'Enrichi de perles), Bitukwa (l'Enrichi)- Bitukwihene(Enrichi de chèvres). En nous basant sur ce verbe, nous dirions que le termeMututsi signifie: celui qui reçoit les présents (de soumission).La signification véritable de ce verbe est, en effet, de faire des présents à son supérieur.Dans le langage actuel, il a été remplacé par le verbe gutura, qui a cette même signification.

25. Au verbe gutuka se rattache le dérivé: gutukura. Il se rencontre dans le premier vers du poème humoristique, chantant les affamés de la garde de Kigeli IV Rwabugili. Le vers est celui-ci: 

Nyamuberwa no gutukura
L'homme auquel il sied d'être privé de tout!

 

Remarquons la désinence de ce verbe: gutukura.Lorsque le verbe primaire perd sa désinence -a (par exemple gutuka) et la remplace par la désinence -ura (par exemple gutuk-ura), cette dernière désinence, soit entièrement conservée, soit réduite à la seule voyelle -u, introduit un sens contraire à celui qu'exprimait le radical sous la forme primaire.

Exemples:

gutega = piéger

kubumba = joindre (mains, fermer livre)

gutinda = faire un pont.

guhuga = oublier, être distrait.

gutegura = défaire le piège

kubumbura = ouvrir, etc.

gutindura = défaire, détruire un pont.

guhugura = rappeler; remettre sur la bonne voie.

26. Cette règle est générale comme la précédente, mais il faut grouper les verbes suivant qu'ils sont à la forme primaire, ou à la forme déjà dérivée. Par exemple le verbe kwanika = étendre au soleil; il est déjà sous la forme dérivée. C'est pour cela que le dérivé quiexprime le concept contraire ne sera pas kwanikura, mais bien kwanura. C'est-à-dire que la forme primairekwana (qui n'existe plus)joue le même rôle vis-à-vis des deux dérivés:

 

Kwan-a = kwanika
Kwan-a = kwanura

Ainsi donc:une résinence dérivée ne respecte pas une autre désinence dérivée, mais elle la supplante complètement. Lorsqu'on connaît une règle générale en ce domaine, il faut savoir également les principes de son application.

27.En conclusion: la forme dérivée de gutukura signifie: être privé de tout. Or, cette désinence exprime le contraire du même verbe à la forme primaire. Donc le verbe gutuka, à la forme primaire, voulait dire également: être dans l'abondance. Il n'y a vraiment pas une grande distance entre le verbe gutuka(faire des présents au supérieur) et gutuka (être dans l'bondance). C'est pourquoi les deux sens peuvent être considérés commes des nuances d'un même mot.

28.Mais il y aurait un autre verbe gutuka, dont le sens différait notablement du précédent. Et c'est ce verbe disparu qui apportera l'explication complémentaire la plus naturelle. Il existe encore dans le dialecte parlé auGisaka, région sud-orientale du Rwanda. En plus, nous retrouvons ce même verbe dans la langue du Buganda:

gutuka en dialecte du Gisaka= arriver d'ailleurs.
gutuka en langue du Buganda = arriver de l'étranger.

D'où les formes suivantes:

gutuka = arriver de l'étranger.
natutse= je suis arrivé de l'étranger.
umututsi= un arrivé de l'étranger; en d'autres mots, un immigré.

On aura remarqué que les verbes passés en revue sont strictement respectés, au point de vue de la tonalité. Que ce soit à l'infinitif, aux temps parfaits ou aux substantifs qui en dérivent, aucune forme arbitraire n'a été admise.

29.En conclusion: le terme Mututsi signifie un immigré. Il peut signifier également: un riche, ou un suzerain.Les trois sens applicables à ce nom se complètent harmonieusement, car il s'agit d'un immigré, propriétaire de troupeaux et conquérant. Ainsi les deux verbes aboutiraient, non pas à une juxtaposition, mais à une définition complète, réelle du substantif dont nous ne cherchions que la signification étymologique.

C. La signification étymologique du nom Muhutu.

30.Que signifie le terme Muhutu, au pluriel Bahutu? On a tantôt abordé ce sujet, et on s'est promis d'y revenir à cet endroit de l'exposé. Je dois avouer que la langue du Rwanda ne peut nous venir en aide, de quelque façon que l'on sache. Il faut donc recourir aux langues étrangères, pour tâcher d'obtenir une réponse au moins plausible! On sait, en effet, que les langues dites Bantuont un fond commun de mots à portée plus générale (cfr. L.B. DE BOECK,Premières applications de la géographie linguistique aux langues Bantoues, Bruxelles, 1942);elles peuvent ainsi s'éclairer mutuellement dans un cas comme celui qui nous occupe. on sait, par exemple, que certains mots de nos vieux poèmes dynastiques, ont disparu de la langue actuelle du Rwanda. Leur signification est connue par les commentaires des aèdes qui se la transmettent de génération en génération. Or il suffit de trouver quelque lexiques bien faits de la langue bantu pour y trouver confirmation du sens traditionnellement attaché à ces termes rwandais.

31.Pouvons-nous dès lors rapprocher notre mot Muhutu ( Bahutu), deMputu en usage par exemple dans le Kikongo? Ce mot Mputu signifie: manant, roturier.La question serait alors de découvrir la règle linguistique suivant laquelle la lettre -h- de Muhutu a été transformée en lettre -p-

de Mputu. Il s'agit, en effet, de découvrir une règle générale, applicable à tous les termes rwandais comportant la lettre -h-. Procéder autrement serait un jeu fantaisiste. Or, en comparant nos termes avec quelques autres languesbantu, on constate que notre parler rwandais adopte le -h- à la place du -p-! Nous devons donner ici quelques exemples [15]

 

KISWAHILI KINYARWANDA FRANCAIS
kupa guha donner
kupita guhita passer
kuponda guhonda broyer
kulipa kuliha rembourser
kupeta guheta plier
pembe, etc. ihembe, etc. corne, etc.
CILUBA KINYARWANDA FRANCAIS
kupela guhera moudre
kupola guhora être tranquille, se taire
apa aha ici
kubipisha kubihisha rendre aigre
bupole ubuhoro la paix
mapasa amahasha jumeaux
panshi hasi à terre, à bas
nsapo, etc. isaho, etc. gibecière, etc.
KIBEMBA KINYARWANDA FRANCAIS
mupini umuhini manche (de houe)
mpali amahali polygamie
mpepo imbeho froid
kupanga guhanga faire (invention)
kukalipila gukalihira réprmender
kulipila kulihira payer pour une autre
kupusa guhusha manquer le but (flèche)
kupala guhara écorcher, éplucher
pakati hagati au milieu de; entre
panse, etc. hanze, etc. dehors, etc.
KISANGA KINYARWANDA FRANCAIS
kwapa ukwaha aisselle
kuapa kwaha cueillir
kupela guhera aboutir
kubipa, etc. kubiha, etc. être mauvais (au goût), etc.

32.Ces exemples sont pris dans les langues parlées en zones très distantes du Rwanda. Il s'agit d'une règle vraiment générale, en ce qui concerne les langues consultées. personne n'hésitera dès lors de mettre en étroitte relation les deux termes Muhutu-Mputu. La lettre p du dernier terme ayant été, par euphonie, transformée en h dans la langue du Rwanda. Pour exprimer le concept en substantif, le Kinyarwanda exige que pour les êtres de la 1ère Classe, le radical (en ce cas hutu) soit précédé de Mu-; tandis que si la formerMputu ( mhutu demeure, alors ce n'est plus une substantif, mais adjectif:

Mputu Mhutu = propre aux Bahutu, provenant deBahutu
Muhutu= un homme appartenant à la race desBahutu.

33.Concluons: grâce à une étude comparative de langues bantu et la langue du Rwanda, il nous est possible de trouver une signification étymologique, linguistiquement établie jusqu'à un certain point,applicable au terme Muhutu(Bahutu). Or cette signification (manant, roturier), fait pendant à celle que nous avons déjà attribuée au terme Mututsi (Batutsi):

Mututsi = riche; suzerain; immigré
Muhutu=manant (paysan, roturier).

D'où il appert que les deux dénominations expriment une idée de différence sociale, et indirectement celle de races. On explique dès lors les dispositions du Droit politique traditionnel, qui considère comme Mututsi toute personne détenant un grand nombre de vaches, sans faire attention au fait qu'il serait de race Muhutu. Du moment qu'il a accédé à la richesse bovine, il est politiquement Mututsi, tout en restant racialement Muhutu[16].

Notes

  1.  Rappelons qu’en Ethiopie on a relevé la présence d’une espèce de Pygmées, d’antique souche dans le pays. Voir CARLO CONTI ROSSINI, Etiopia e genti di Etiopia, Florence, 1937, p. 25 sq. – R. ALMAGIÀ, dans l’Afrique Centrale , Bologne, 1935, p. 199 sq. Si nos Chamites rwandais viennent d’Ethiopie, il ne serait pas étonnant qu’ils aient pu émigrer avec des familles de cette race. Il resterait évidemment à vérifier et à savoir de quelle race il s’agit en Ethiopie, et s’il y aurait moyen d’établir une comparaison concluante entre ses représentants et nos Céramistes du Rwanda.

  2. Voir Aléxis Kagame, Le code des Institutions Politiques du Rwanda, art. 335, p. 117-118. Il faut distinguer le cas de l’anoblissement et le fait d’obtenir un commandement territorial ou autre, conférant au Céramiste bénéficier, quelque autorité sur des représentants des deux races qui le traitent en paria. Il pouvait obtenir ses fiefs, sans avoir été anobli.

  3. Les nombreux Batwa (dont Busyete, fils de Sumirana) qu’avait anoblis Kigeli IV Rwabugili, préférèrent reprendre leur état antérieur de simples Céramistes à la mort de ce monarque, en 1895. Ces nouveaux « nobles » redoutaient les factions toutes puissantes de grands Batutsiqui faisaient la pluie et le beau temps à la nouvelle Cour.

  4. Voir principalement Prof. G. VAN BULCK, Manuel de linguistique bantoue,Bruxelles, 1949, pp. 9-22, où l'on retrouvera l'indication précise des tribus et langues constituant l'aire Bantu - BAUMANN et WESTERMANN, Les peuples et les civilisations de l'Afrique, Paris, 1948, p. 123 sq..

  5. Voir surtout P. VIDAL DE LA BLACHE, Principes de la géographie humaine, Paris, 1922, pp. 3-12; 103-115.- M. SORRE, Les fondements de la géographie humaine, tome I: Les fondements biologiques, essai d'une écologie de l'homme,Paris,1951, surtout pp.13-71; 247-287...

  6. L. DE LACGER,Le Ruanda ancien et moderne , Namur, 1939, p. 42. - A. KAGAME, Inganji Karinga, Vol. I, Chap. I, No 28.

  7. H. BREUIL et L. LANTIER, Les hommes de la pierre ancienne, Paris, 1951, p. 160...- E. GUERNIER L'apport de l'Afrique à la pensée humaine , Paris, 1952,chap. II et passim.L'auteur est malheureusement sous l'emprise d'un préjugé trop favorable à l'Afrique! Il voudrait que le continent noir ait été le berceau de l'humanité, ce qui le pousse à interpréter les documents archéologiques à l'encontre de la logique requise en ce domaine. Il cite évidemment des sources favorables à sa thèse, mais elles n'échappent pas au même reproche. Etant donnée le va-et-vient des races préhistoriques, il est prématuré de prendre position sans nuances. Les découvertes effectuées en Afrique ne sont pas définitives: le continent noir,l'Asie et l'Europe, sans aucun doute,recèlent encore d'autres documents qui peuvent bouleverser les données antérieures. Notons que le livre est rédigé en un style plutôt de reportage. Le préjugé, ou le parti pris, étalé sous toutes les formes possibles en faveur de l'Afrique, estompe, en quelque sorte, l'essentiel que l'auteur aurait dû mettre en vedette. Tout, absolument tout, doit trouver son origine en Afrique et le Christianisme lui même ne pourrait échapper à cette surprenante règle ! Jésus-Christ a dû emprunter sa doctrine au philosophe alexandrin Philon (p. 172)

  8. Dom GUILBERT,Civilisations occidentale et langage au Congo belge,dans Zaïre, Vol. VI, Nov. 1952, p. 901, a prétendu que Muhutuest une forme dérivée de muntu. Comme il ne connaît pas encore une seule langue du centre africain (son étude en témoigne à suffisance), il ne dispose pas d'éléments requis pour comprendre que le point de départ de son article, sous sa forme généralisée, portait à faux.

  9. Le terme Hamite vise en soi le teint clair de cesPasteurs. Toutefois, étant donné que cette race "au teint clair"appartient, à des degrés divers, au groupe dit chamitique, le terme Hamite est pratiquement synonyme de ce dernier. C'est dans ce sens qu'il a été et qu'il sera employé dans cette monographie.

  10. Civilisation chamitique; voir H. BAUMANN et WESTERMANN, op. cit., pp. 38 et passim.
    - C. G. SELIGMAN, Les races de l'Afrique, Paris, 1935,Chap. V à VII. L'auteur classe les Batutsi du Rwanda parmi les semi-chamites, mais arbitrairement, semble-t-il, car il est clair qu'il ne possédait pas d'information sur notre région. Pour lui, "le Ruanda où dominent lesBatoussi semi-kamites (planche 8, pp. 96-97) diffère de la tribu"Ouarouanda" ("Barouanda") établie à l'est du lac Kivou"

  11. Lorsqu'il s'agit de "cultures", il est incomplet de renvoyer à tel passage ou à tel passage determiné d'un ouvrage. D'une part, en effet, les indications auxquelles on se réfère sont ordinairement relevées tantôt ici, tantôt là, à travers tout le livre, au gré des sujets traités. tel chapitre revèle des ressemblances au point de vue de la littérature, lyrique ou populaire; tel autre sur la divination, les organisations sociales, les croyances, le culte des mânes, etc. D'autre part, la ressemblance qu'on y trouve n'est pas matérillement telle en tous les cas...En conséquence, les références que voici doivent être considérées comme de simples indications affectées de toutes les nuances. Les principaux auteurs à comparer avec le vieux Rwanda, sont:


    • A. ERMAN et RANKE, La civilisation égyptienne, Paris, 1952, Chap. XV.
    • A. ERMAN, L'Egypte des Pharaons, Paris 1952, Chap. VIII à XII et XVI
    • A. Du même, La religion des égyptiens, Paris 1952, Chap. XIV-XV et XVII
    • H. FRANKFORT, Ancient Egyptian religion, New York, 1949, Chap. V
    • Du même, La royauté et les dieux, Paris 1951, pp. 85-178
    • Etc.

    On relève également, par-delà l'Egypte, surtout au point de vue de la divination, des ressemblances très frappantes avec les cultures du bassin mésopotamien; voir spécialement les ouvrages du Dr. G. CONTENAU,

    • La divination chez les Assyriens et les Babyloniens, Paris, 1940,p.235 sq.
    • La magie chez les Assyriens et les Babyloniens, Paris, 1947, Chap. IV-V.
    • La civilisation des Hittites et des Hurrites du Mitanni, Paris, 1948, passim

    On y ajoutera l'ouvrage d'A. GUILLAUME, Prophécie et divination chez les sémites, Paris, 1950, Chap. I-V. Ons sera cependant choqué de l'usage que l'auteur fait de la Bible, dont les références sont mêlées à des textes d'ordre purement culturel.

  12. Voir D. P. DE PEDRALS, L'archéologie de l Afrique noire, Paris, 1950, pp. 14-39, où cette question d'influence, ou même d'inter-influence éthiopico-égyptienne est longuement exposée. On y relèvera également le rôle important de la Nubie, carréfour du monde égypto-hamitique et l'Afrique centrale.- Je dois cependant faire faire remarquer que le titre du livre ici cité ne couvre pas entièrement la matière traitée par l'auteur...

  13. Voir surtout: 

      • R. LOWIE, Manuel d'anthropologie culturelle, Paris, 1936, p. 11-16

         

      • M.J. HERSKOVITS,Les bases de l'anthropologie culturelle, Paris, 1952, Chap. XIV; mais tout l'ouvrage est d'une richesse incomparable au point de vue qui nous interesse ici.

         

      • Jacques MACQUET, Unité de l'anthropologie culturelle,dans leBulletin de l'Inst. de Recherches Econ. et Sociales, Louvain, 15 ème année, No 5, 1949.
      • Etc.

     

      • L. DELMAS, P. B., Les généalogie de la noblesse du Ruanda, Kabgayi, 1950, p. 150 sq.
      • A. D'ARIANOFF,Histoire des Bagesera, souverains du Gisaka, Bruxelles, 1952, p. 26 sq.
      • A. KAGAME,Inganji Karinga, Vol. I, Chap. II, No 6-19, où l'on trouvera les traditons ayant trait aux groupes hamitiques antérieurs à la dynastie actuelle.

     

  14. Cette question sera étudiée en détail dans une monographie consacrée à la langue du Rwanda. Voir aussi A. KAGAME, Le Code des Institutions Politiques du Rwanda colonial, pp. 12-13.

  15. Voir A. KAGAME, Le Code des Institutions Politiques, art. 254, p.96

     

     

    SOURCE:only.nl



11/07/2012
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