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ALBERT II,EN PLEURS,AU PALAIS

 

Albert II, en pleurs, au Palais

FRANCIS VAN DE WOESTYNE Publié le - Mis à jour le 

 

 

BELGIQUE 
 
Un porteur dépose une lettre en provenance du Belvédère au "16" rue de la Loi. Personne ne se doute de son contenu. 13h15, le Roi, ému, explique aux vice-Premiers qu'il n'en peut plus. 
Il est huit heures du matin, ce mercredi 3 juillet 2013. La rue de la Loi est détrempée par cette pluie qui est tombée toute la nuit. Les gens se rendent mollement à leur travail, fatigués sans doute de cet été qui n’arrive pas, de ces vacances encore lointaines. Une voiture noire se gare devant le "16", rue de la Loi. La personne qui en descend sait-elle qu’elle porte dans ses mains une enveloppe blanche dans laquelle est glissée une lettre d’une seule page, une lettre qui va changer le cours de l’Histoire de la Belgique, une lettre dont le contenu va bouleverser le déroulement de cette journée qui commence mais aussi de toutes les journées qui vont suivre ? Non, sans doute.

La lettre est adressée au secrétaire particulier du Premier ministre. C’est la procédure habituelle de transmission des documents du Palais royal. Le secrétaire particulier d’Elio Di Rupo, sait-il, quand il prend l’enveloppe, quand il l’ouvre, quand il extrait le document, qu’il va lire 11 phrases, 22 lignes, d’une portée politique considérable ? Non, sans doute.

Mais quand la lettre arrive entre les mains du destinataire, le Premier ministre, celui-ci ne peut se dire totalement surpris. Même si, comme le révèlent les ordres du jour, ce mercredi 3 juillet devait se dérouler "normalement" : kern de 9 heures à 11 heures, réunions diverses. Et puis, Elio Di Rupo devait se rendre à Berlin l’après-midi. C’est dire s’il ne s’attendait pas à recevoir cette missive ce mercredi 3 juillet. Sans doute l’attendait-il, mais un autre jour.

En effet, lors de précédentes rencontres avec le chef de l’Etat, le sujet de l’abdication a été abordé à plusieurs reprises. Et comme le révèle cette lettre qu’Elio Di Rupo tient maintenant dans ses doigts, qu’il lit et relit, le Roi a prêté la plus grande attention aux "considérations légitimes" que le Premier ministre a émises lors de précédents colloques singuliers. Ce document, qui traversera l’Histoire, démontre aussi qu’Elio Di Rupo a demandé au Roi de prendre un temps de réflexion avant de se décider à abdiquer. Mais apparemment, les "considérations légitimes" formulées par le Premier ministre n’ont pas modifié la volonté d’Albert II. Di Rupo lit la troisième ligne : "C’est avec regret mais aussi en âme et conscience que je vous confirme, par la présente lettre, la teneur du message dont je vous ai fait part."

Pas une minute à perdre

Suit la raison principale avancée par le Roi : "Je me dois en effet de constater que ma santé ne me permet plus d’exercer ma fonction comme je le voudrais".

La dernière phrase retient l’attention du Premier ministre : le Roi souhaite en effet pouvoir en informer les membres du Conseil ministériel restreint "directement et en personne".

 

Il n’y a pas une minute à perdre. Car les vice-Premiers sont appelés à se réunir à 9 heures. Le Premier ministre leur envoie un SMS à 8 heures 30 pour leur préciser qu’il se voit contraint de reporter le kern à 13 heures 15. Il appelle pourtant chacun d’eux pour s’assurer qu’ils seront présents. Cela n’agite personne : CD&V et PS se disputent un peu sur la traduction des décisions du contrôle budgétaire.

La matinée se passe. Melchior Wathelet, qui devait présenter son plan "Energie" au kern commence à s’impatienter. Car il a enfin recueilli le feu vert de tous les partis. Il espère donc annoncer la bonne nouvelle au kern.

Soulagé, mais triste aussi...

Mais peu avant, nouveau SMS du Premier ministre : le kern se tiendra… au Palais royal ! "Pouvez-vous confirmer votre présence ?", insiste Elio Di Rupo.

 

Les vice-Premiers arrivent un à un. Elio Di Rupo, grave, ne dit pas grand-chose : le Roi souhaite vous parler, leur souffle-t-il. Mais plus besoin d’explication : tout le monde a compris. Le chef de l’Etat les reçoit dans son bureau. Tous le décrivent extrêmement ému, au bord des larmes. Des larmes qui, par moments, roulent sur ses joues fatiguées. Sa voix tremble. Ses yeux s’embuent. Il dit : je n’ai jamais imaginé que je serais aussi ému. Il demande qu’on l’excuse. Il lit d’abord un texte. Puis il explique, plus simplement, comme à des amis, comme aux membres de sa famille, les raisons de son choix. Sa santé, sa fatigue. Il raconte que lors de sa dernière visite, à la mer du Nord, chez les pêcheurs de crevettes en mer, la sortie a vraiment été fatigante. Et, confie-t-il, parcourir deux cents mètres à pied, cela devient épuisant. Il rassure : son fils est prêt et il pourra exercer la fonction quelques mois avant les élections.

Alors, il les regarde un à un et les remercie pour tout ce qu’ils ont fait depuis le 5 décembre 2011, jour de leur prestation de serment. Il les félicite, il leur dit qu’il est fier d’eux. Plusieurs fois, il retient ses larmes. Et il confie qu’il aurait voulu partir plus tôt, au lendemain de la formation du gouvernement. Mais il n’a pas pu, son entourage lui a conseillé de rester. Mais là, maintenant, il n’en peut plus.

L’émotion est intense. Les vice-Premiers n’en mènent pas large. Un à un, ils adressent quelques mots au Roi : des témoignages de remerciements, de respect pour ce geste difficile mais courageux. Ils l’entourent, lui donnent des tapes amicales dans le dos. Joëlle, Laurette, Didier, Johan, Pieter, Alexander, Elio : tous l’entourent, lui remontent le moral. Parce qu’il a l’air à la fois soulagé. Mais triste aussi.

 

Le Prince Philippe doit accepter 

La rencontre se termine. Que faire ? Comment communiquer ? Rien n’est prévu. Or plusieurs ministres sont attendus dans des commissions parlementaires. Ils ne pourront pas s’y rendre car ils doivent rester entre vice-Premiers, préparer la communication que le Premier ministre lira après celle du Roi. A la hâte, le Palais convoque les télévisions pour enregistrer la déclaration qu’Albert II lira : pas le temps d’installer un prompteur.

Peu après, le communiqué du Palais tombe : le Roi fera une déclaration à 18 heures. Dans les rédactions, c’est la stupéfaction. Beaucoup de journalistes sont déjà partis en vacances, en Ardèche, en Auvergne, en Provence…

Reste un "détail" : avant d’accepter une abdication et même si la Constitution est totalement muette sur la question, le gouvernement doit, semble-il, s’assurer que le successeur désigné, le Prince Philippe, accepte bien la fonction. Le Premier ministre s’en chargera. Et devinez : la réponse est bien positive… !

 

Un récit de Francis Van de Woestyne

 LA LIBRE.BE



04/07/2013
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