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ANALYSE DE PATRICK MBEKO SUR LE LIVRE DE DAVID REYBROUCK CONGO UNE HISTOIRE BELGE!

David Van Reybrouck, Congo :

une histoire, Acte Sud, 2012.

Autant d’anecdotes, autant d’inépties, autant de sornettes...

 mercredi 24 avril 2013
 


Par PATRICK MBEKO

Je viens de finir lalecture du livre Congo : une histoire du Belge David Van Reybrouck, paru aux éditions Acte Sud. Bestseller,ce livre a été bien accueilli par plusieurs observateurs en Occident; il a mêmeété « louangé » par certains de nos compatriotes congolais comme leprofesseur Anicet Mobe. Bien que l’ouvrage est bien écrit et contient des anecdotesintéressantes, il renferme trop de clichés qui rappellent le tristement célèbre Tintin au Congo d’Hergé sorti dans les années 1930.Plus je le lisais, plus je me demandais comment une figure intellectuelle comme Anicet Mobe pouvait vanter un tel ouvrage. Qu’avons-nous trouvé d’aussiédifiant dans ce livre qui ne reflète rien de moins que certains clichés etstéréotypes des colons belges sur des « sauvages » congolais. C’esttrès affligeant! Trop de fausses vérités, des interviews accordées à des « nègresaliénés », une démarche orientée pour conforter certains stéréotypes... enfait, tout pour faire de cet ouvrage « pollué » un livre à succèsdans un monde occidental friand d’histoires décousues des réalités africaines.Lorsque des intellectuels congolais encensent un tel ouvrage, il y a de quoi s’interrogersur la nature de ceux-ci. Les cœurs ont été conquis, les esprits pollués,pourquoi les mains et les pieds ne suivraient-ils pas? Je suis simplement peinéchers compatriotes.

 

Tenez. Un exemple. Voici le portrait que Monsieur VanReybrouck dresse de notre héros Patrice E. Lumumba et de son  discours du 30 juin 1960: « Le texteétait effectivement fait pour durer. Comme tous les grands discours, iléclaircissait l’histoire abstraite par des détails concrets et tangibles. »Puis il développe un argumentaire qu'on retrouve dans certains cercles belgeset que la plupart de nos compatriotes ont intériorisé : «  Mais lemoment ne pouvait être plus mal choisi. C’était le jour où le Congo accédait àl’indépendance, mais Lumumba parlait comme si on était encore en pleinecampagne électorale. Trop marqué par l’obtention de l’indépendance, tropaveuglé par le romantisme du panafricanisme, il oubliait, lui qui étaitpourtant le grand unitariste du Congo, qu’il devait, en ce premier jour d’autonomie,plutôt réconcilier son pays que le diviser. » Cerise sur le gâteau, M. VanReybrouck tente de nous faire croire que le premier ministre congolais n’étaitpas vraiment aimé et suivi par son peuple : «  Il prétendait exprimer la voix du peuple ─cela allait de pair avec la rhétorique exaltée de l’époque (le peuple, le joug,la lutte, et bien entendu : la liberté) ─ mais le peuple n’était pasderrière lui comme un seul homme. En définitive, il avait obtenu moins d’unetiers de voix. Le discours de Lumumba eut donc une portée importante, mais unimpact problématique. Et par rapport aux discours véritablement grandioses de l’histoire─ l’Adresse de Gettysburg d’Abraham Lincoln en 1863, le premier discours deWinston Churchill en tant que premier ministre anglais le 13 mai 1940, lediscours de Martin Luther en 1963,... ou le discours prononcé en 2008 parBarack Obama lors de sa victoire et qui a transporté le monde entier, celui deLumumba contenait un regard tourné plutôt vers le passé que vers l’avenir, plusde colère que d’espoir, plus de rancune que de magnanimité, et donc reflétantplus l’esprit d’un rebelle que celui d’un homme d’État » (pp. 297-298).

 

Ah bon! Non seulementle discours du « nègre » Lumumba n’était pas aussi GRANDIOSE quecelui de Lincoln, Churchill ou Obama, mais en plus, il « était tourné versle passé que vers l’avenir »! Une telle assertion ne nous rappelle-t-ellepas le discours d’une certaine Hillary Clinton qui déclarait lors de sonpassage à Kinshasa en 2009: « Nous voulons travailler avec des gensqui pensent à l’avenir et non avec ceux qui ressassent le passé ». Sonmari Bill a mis le Rwanda à feu et à sang avant de réduire au silence eterneldes millions de Congolais et nous devons oublier ça! Que diraient les New Yorkaissi les responsables des attentats du 11 septembre 2001 débarquaientchez eux et leur disaient d’oublier le passé et de penser à l’avenir? Commentréagiraient les juifs si un chef nazi allemand leur conseillait d’oublier lepassé et de penser à l’avenir? Quelle élégance de la part de David VanReybrouck et quelle naïveté de la part de tous ces Congolais qui ont applaudi cet ouvrage!?

 

Après avoir « enfumé »celui que la majorité des Congolais portent dans leur cœur, l’auteur belge estpassé à l’étape suivante : celle qui consiste à faire parler des « nègres »pour conforter certains clichés. Dans le cas qui nous concerne, il interrogea d’abordun certain Jamais Kalonga qui affirma que seuls les partisans de Lumumbaavaient applaudi son discours et il vit aussi « l’accueil glacial que lesinvités ont réservé au discours et la pâleur du roi » (p. 298). Il faitparler un autre nègre, Mario Cardoso, qui déclara à son tour : « J’étaisdans la salle et j’étais stupéfait. Lumumba se comportait comme un démagogue. J’étaismembre du MNC, mais notre campagne ne portait pas sur ce qu’il disait. Quelquesdéputés ont applaudi, pas moi. Je me suis dit : “ il commet un suicidepolitique” » (p299).

L’auteur belge ne s’arrêtepas en si bon chemin. Ligne après ligne, Monsieur Van Reybrouck démonte le discours de Lumumba, un homme « quin’avait rien dans la tête » (p.299) et qui, d’une certaine manière, fut àl’origine de la crise congolaise après l’indépendance. Cet argumentaire développédans certains cercles belges a fait beaucoup de victimes chez les Congolais. Eneffet, beaucoup de nos compatriotes ayant le cerveau « pollué »continuent de croire que Lumumba ne devrait pas tenir ce discours après l’insultedu roi Beaudoin et la complaisance affichée par le président Kasavubu.

 

Dans son discours, le roi belgefait l’apologie de son oncle et de l'œuvre coloniale. « L'indépendance duCongo, dit-il, constitue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le génie du roiLéopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avecpersévérance par la Belgique.» Ilpoursuit : « Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre quitrouve aujourd'hui son couronnement, il ne s'est pas présenté à vous enconquérant, mais en civilisateur... Nous sommes heureux d'avoir ainsi donné auCongo malgré les plus grandes difficultés, les éléments indispensables àl'armature d'un pays en marche sur la voie du développement. Le grand mouvement(de l’) indépendance qui entraîne toute l'Afrique a trouvé auprès des pouvoirsbelges la plus large compréhension. En face du désir unanime de vospopulations, nous n'avons pas hésité à vous reconnaître, dès à présent, cetteindépendance. C'est à vous, Messieurs qu'il appartient maintenant de démontrerque nous avons eu raison de vous faire confiance… »

 

Face à une telle insultecautionnée par le président Kasavubu, Lumumba devrait-il se taire? Qu’a-t-ildit de « méchant » lorsqu’il déclara : « Car cette Indépendance duCongo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, paysami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom nepourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise,une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte danslaquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nossouffrances, ni notre sang. Cettelutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plusprofond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutteindispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous était imposé parla force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessuressont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions lechasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé enéchange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni denous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtreschers. […]. » 

 

Un homme « radical »et « insensé » comme nous le fait croire la propagande officialiséepar les colons et leurs alliés pouvait-il déclarer : « Je vousdemande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vosconcitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de cesétrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser duterritoire de la République; si par contre leur conduite est bonne, il faut leslaisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays […]? »

 

En réalité, ce discours dérange simplement parce que pour la premièrefois, un« nègre » devenu le plus haut responsable du gouvernement congolais, révèleau monde entier le sort que les colonisés ont subi sous le joug colonial.Comble du déshonneur, il ne s'adresse ni au roi, ni au gouvernement belge, maisà ses compatriotes reléguant les anciens colons au rôle de spectateur. C’estcela que la plupart de nos compatriotes n’ont pas encore compris, cinquante ansaprès l’avènement de l’indépendance de notre chère patrie. Et c’est malheureux!

 

Tout le long de sonouvrage, David Van Reybrouck s’en prend au premier ministre Lumumba de manière assezétonnante. Aucune objectivité. Les nationalistes congolais sont dépeints commedes gens qui ne comprenaient rien à rien. Si Lumumba était aussi « malaimé » de son peuple, très « déconnecté » de la réalité et nepesait pas vraiment sur l’échiquier congolais voire même international,pourquoi les puissances impérialistes ont-elles déployé autant de moyens pouravoir sa peau?  

 

Le livre ne reflète pasles réalités congolaises. Les témoignages recueillis sont très discutables. Viveles stéréotypes! Vive la colonisation! Après tout, les colons belges dont leroi avait exterminé des millions de vies congolaises, n’étaient pas aussi « mauvais »que ça! La stratégie mise en placepar la Belgique contre la lutte pour l’indépendance entre 1958 et 1965 est systématiquementdépeinte comme une série de bévues sans mauvaise intention. Ce roi barbare étaitun homme bon! Et que penser de la phrase : « Le colonisateur pensaitfaire le bien, mais plusieurs fois il a manqué la balle » ?

 

Autant d’anecdotes, autant d’inepties, autant de sornettes...

Qu’une presse occidentale encense un tel ouvrage, on peut le comprendre.

Mais que desintellectuels congolais en fassent autant, il y a de quoi s’interroger sur laqualité de ceux-ci. Cette manière qu’ont certains intellectuels congolais de reconduire le discours dominant et convenu de l’Occident sans unminimum d’esprit critique cause des dégâts importants dans notre communauté.


Patrick MBEKO
Analyste-politique etAuteur du Livre
(Le Canada dans les guerres en Afrique centrale)
 
 
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24/04/2013
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