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DOSSIER BURKINA FASO:Assassinat de Thomas Sankara dénoncé par l'un des témoins oculaires des faits!

Voir au delà de chaque assassinat politique en Afrique!

En lisant cette interview qui dénonce comment l'assassinat politique de Thomas Sankara a été effectué, je me demande si réellement les africains comprennent profondément la source de leur malheur?.Lorsque l'opportunisme, le matériel deviennent votre motivation, comment ne pas comprendre que nos "coeurs" doivent être guéris d'abord avant de vouloir changer autour de soi?.

 

La trahison démontre combien nous avons nos priorités ailleurs que défendre la "bonne cause" qui profite à plusieurs que la mauvaise cause qui détruisent des vies et déstabilisent tout autour de nous?.

 

Il y a beaucoup à dire sur ce sujet, l'africain indexe l'autre lorsque la paille qui se trouve aussi en lui, il ne peut l'ôter!

 

Nous avons aussi une sorte "d'impérialisme" qui existe en nous, dans nos coeurs, et cet impérialisme doit être au premier abord combattu sévèrement!

 

Africains, changeons nos coeurs, et reconnaissons la valeur d'une vie qui a droit de vivre encore avec ces talents et potentialités plutôt que vouloir l'anéantir!!!

 

 

Amour-conscience-Réparation

Ammafrica world vision

 

Assassinat de Thomas Sankara :

"C'est la garde personnelle de Compaoré qui a tiré"!

AlounaTraore

Jamais Alouna Traoré, rescapé du coup d’Etat du 15 octobre 1987, n’avait fait un déballage aussi important sur l’assassinat de l’ancien Président, Thomas Sankara. Pour la première fois, il raconte ce qui s’est passé, ce jour-là, dans la salle de réunions du Conseil de l’Entente, ce que Sankara leur a dit avant de sortir les mains en l’air. Comment aussi le leader de la Révolution d’Août et douze de ses compagnons ont été froidement abattus. Alouna Traoré pointe un doigt accusateur sur la garde personnelle de Blaise Compaoré. Et il cite, sans détour, des noms de militaires qui ont tiré. Il raconte également comment lui, seul survivant parmi ceux qui étaient avec Sankara, a fait le mort et échappé, de justesse, aux balles des mitraillettes. Il n’hésite pas non plus à décocher des flèches sur Blaise Compaoré. Et ce n’est pas tout. Interview exclusive.

 

Courrier confidentiel : La révolution populaire du 30 octobre a contraint Blaise Compaoré à quitter le pouvoir après 27 ans de règne. Comment analysez-vous ce tournant décisif de l’histoire du Burkina ?

 

Alouna Traoré : J’ai été agréablement surpris de la tournure des événements. C’était une suite logique des manifestations qui ont précédé le 30 octobre. La force et la peur avaient changé de camp. La voix de l’opposition qu’on disait aphone a été portée au grand jour. Les couleurs ont été véritablement lancées par les femmes dès le 27 octobre. C’étaient les signes précurseurs d’un tsunami au Burkina. Les femmes sont sorties avec des louches et des spatules. Selon la symbolique moaga, cela signifie que la nourriture du régime Compaoré était finie; la sauce de la nourriture était finie ; le tôt, plat principal du régime, était fini. La fin du régime n’était donc pas loin. La marée humaine, estimée à plus d’un million de personnes, dans les rues de Ouagadougou, le 28 octobre, était le signe que la revendication était suffisamment forte. Mais comme le sort était déjà scellé, le pouvoir en place, ivre de ses avoirs et de ses succès faciles, n’a pas compris le message. Le Mogho Naba (chef tutélaire des mossé) est intervenu par parabole ; il a demandé au chef de l’Etat, Blaise Compaoré, d’ajouter de l’eau froide pour que l’eau du bain soit consommable ; c’est-à-dire qu’on puisse se laver avec. Mais il ne l’a pas écouté. Ce qui est arrivé le 30 octobre, le jour du vote de la loi concernant la modification de l’article 37 de la Constitution, est une précipitation argentée. Quand vous êtes féru, vous n’avez plus le sens de la normalité. Les députés, qu’ils le veuillent ou pas, avaient déjà mordu à l’hameçon ; ils étaient séquestrés. Et du coup, les débats, qui devaient débuter à 16h, ont été ramenés à 10h. Cerise sur le gâteau, le président a donné, en si peu de temps, ce qu’on ne lui avait pas demandé. Mais le peuple a été clair : «On veut votre départ, monsieur le président». Ce qui est arrivé est donc dans l’ordre normal des choses ; c’est la révolution bien faite. Et cela, Thomas Sankara l’avait prédit : après lui, il y aura des révolutionnaires. 27 ans après, nous sommes en plein dans la révolution. Ceux que les termes révolutionnaires et progressistes gênaient et continuent de gêner, en ont eu pour leur galon. Nous y sommes et nous y allons ; c’est notre destin.

 

Blaise Compaoré était pourtant qualifié de stratège. Pourquoi, selon vous, ses ruses n’ont pas marché cette fois ?

 

Il avait déjà perdu ses principaux lieutenants : Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré et bien d’autres. Ce sont des signes avant-coureurs. Quand, dans un match de football, vous alignez Eto’o, Drogba et Messi, et qu’ils vous quittent par la suite, le navire chamboule. Il n’y a que les Assimi Kouanda (Secrétaire exécutif national du CDP, NDLR), venus tard dans la politique, qui affirment, de façon laconique, que les démissions du CDP en janvier dernier, étaient un «non-événement». Le Président Compaoré était ivre de sa force. C’est un has been. Il n’a pas compris et ne comprendra jamais que la société dans laquelle il vit a changé et que lui seul n’avait pas changé. En cela, le pouvoir de Blaise Compaoré n’offrait pas de perspectives. C’est toujours les mêmes (sa famille et apparentés) qui mangent et mangent le pouvoir; les autres assistent. Son crime, c’est la mauvaise lecture des situations. Les jeunes qui manifestent ne savent pas que Blaise Compaoré, qui a passé 27 ans au pouvoir, est un stratège politique. Ils analysent le pouvoir à l’aune de leurs difficultés existentielles. Pourvu que leurs problèmes soient réglés !

 

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Voulez-vous dire qu’autour du Président Compaoré, gravitaient de mauvais conseillers ?

 

S’il avait pris conscience de la réalité, on ne serait pas arrivé à la révolution du 30 octobre. Le président a perdu le sens des réalités depuis que ses lieutenants l’ont quitté. Il naviguait à vue. Il a donc fini par être chassé du pouvoir.

 

Blaise Compaoré a accédé au pouvoir, le 15 octobre 1987, par un coup d’Etat. Vous avez été témoin de la mort de Sankara et de douze de ses compagnons. Que s’est-il exactement passé ce jour-là ?

 

Le 15-Octobre est une tristesse, un carrefour macabre dans la lecture des événements qui se sont produits au Burkina. Partout dans le monde, nous avons été insultés, humiliés, vilipendés. L’incompréhension était à la hauteur de ce qui venait de se passer au Burkina, en l’occurrence l’assassinat du Président Thomas Sankara. Le 15 octobre, j’y étais par le concours et le fait de l’histoire. Je suis allé la veille en mission au Bénin, pour rechercher des documents pour la création d’un parti souhaité par Sankara. Nous avons voulu nous inspirer de l’expérience du Bénin. Le Président Sankara avait souligné, à plusieurs reprises, la nécessité de nous organiser davantage pour vaincre tous les obstacles au développement de notre pays. Le lendemain jeudi 15 octobre, nous nous sommes réunis, comme tous les jeudis, dans la petite salle du Conseil de l’Entente. A 16h, comme prévu, le président est arrivé. Il m’a donné la parole. A peine j’ai commencé à parler que nous avons entendu des rafales de mitraillettes, comme une pluie qui tombait brusquement sur une toiture en tôles. Le président s’est levé en sursaut et nous a dit «C’est de moi qu’ils ont besoin». Il a tiré son survêtement vers le bas ; il a levé les bras en l’air, comme dans les films western et est sorti de la salle de réunions. C’est en ce moment-là qu’il a été abattu. Je ne comprends pas le fait qu’une certaine légende tende à dire qu’il a tiré avant d’être abattu. C’est archi-faux. On ne peut pas sortir les mains en l’air et tirer. C’est très triste : ils l’ont tué à bout portant et ensuite, ils ont écrit sur son certificat de décès qu’il était «mort de mort naturelle». Je l’atteste : Thomas est sorti les mains en l’air et a affronté la mort. Il est allé droit face à la mort.

 

Dans le livre de Ludo Martens, «Sankara Compaoré et la Révolution burkinabè», le Capitaine Diendéré, aujourd’hui Général, affirme pourtant que ce jour-là, il était personnellement sur le terrain des opérations. Et que Sankara a été le premier à tirer. Il précise que c’est en ce moment-là que ses hommes ont fait feu et la situation a dégénéré ! A-t-il menti ?

 

Comment dois-je qualifier ce genre de propos ? Le Général Gilbert Diendéré dit, là, des contrevérités. Il fait partie des gens qui sont trop loin de la réalité. Ce jour-là, Sankara n’a pas tiré. C’est plutôt la garde personnelle de Blaise Compaoré qui a tiré sur nous. Je les connais ; on jouait au ballon militaire ensemble. Je vous explique ce que j’ai vu: nous étions en réunion et ils le savaient. Ils nous ont donc surpris. Le président est sorti les mains en l’air; il n’y a pas eu d’échange de tirs. Le seul civil qui avait une arme, c’était Paulin Bamouni. Mais il avait laissé son arme dans son véhicule. Nous sommes venus pour discuter ; nous étions donc à un débat d’idées et non à une séance de tirs militaires. Ce que Gilbert Diendéré dit est inexact. Je le laisse à ses affirmations contraires à la vérité. Personnellement, je reste ouvert à tout ce qui peut contribuer à l’avènement de la vérité historique. Ce qui s’est produit le 15 octobre ne doit plus se produire dans notre histoire. Des hommes de bonne foi, qui ont travaillé pour les intérêts du peuple, ont été froidement abattus comme à une séance de chasse de gibiers ; c’est inhumain. Le 15-Octobre doit servir de leçon à toutes les générations futures. C’est bien eux qui ont assassiné le président. Qu’ils aient la décence de ne pas prendre les autres pour des simples d’esprit. Il faut dire la vérité ; elle nous libère. Je le dis et je le confirme : Sankara n’a pas tiré. Aucun de nous n’a tiré. Même sa garde personnelle n’a pas eu le temps de riposter. Les Mossi disent qu’il n’y a de bon soldat que celui qui n’a pas été surpris. La surprise vient toujours à bout des meilleurs soldats. Soldat surpris signifie que vous êtes pris, sauvez-vous. A Guélémou, en Côte d’Ivoire, Samori Touré fut surpris, donc pris matinalement et conduit au Gabon, selon l’histoire. Comment, surpris, vous pouvez réagir ? Ils nous ont tiré dessus comme des lièvres. Si le Général Diendéré a une autre version des faits, le tribunal de l’Histoire nous départagera.

 

Vous affirmez bien connaître la garde personnelle de Blaise Compaoré. Qui sont exactement ceux qui étaient sur le terrain ?

 

Dans une armée organisée, on connaît les ordres de passage. Si vous prenez les archives du 15 octobre 1987, vous saurez ceux qui étaient sur le terrain et ceux qui étaient de garde. J’ai vérifié et c’est bel et bien la garde personnelle de Blaise Compaoré qui a tiré sur nous. J’ai personnellement vu les éléments qui étaient présents ce jour-là.

 

Citez-nous des noms…

 

Nabié, Yacinthe Kafando, Otis, etc.

Je sais ceux qui ont fait partie de la garde personnelle de Blaise Compaoré en octobre 1987. Ce n’est pas de la magie ; c’est connu. Les archives en parlent. Je suis affirmatif : c’est la garde de Blaise Compaoré qui nous a tiré dessus.

 

Sankara Compaor

Le coup d’Etat a donc été orchestré par Blaise Compaoré ?

 

A qui profite le crime ? Suivez mon regard. Quelques temps après, les numéros deux et trois de la Révolution ont été trucidés : les camarades Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo.

Avec le fil de l’histoire, 27 ans après, l’explication que je peux donner, c’est que le 15-Octobre a été scellé dès le mariage du camarade Blaise Compaoré avec Chantal Compaoré.

 

Que s’est-il passé ce jour-là ?

 

Il y a eu un fait insolite mais digne d’intérêt. Le Président Sankara a déclaré ceci: «Madame Compaoré, vous me prenez tout; je perds tout dans ce mariage et vous gagnez tout dans ce mariage ; je perds un camarade, un ami, un frère. Prenez soin de cet élément». Cette déclaration a créé de l’électricité dans l’air. Personne ne s’attendait à de tels propos. La candeur de la vérité, la sincérité était outrageante. Tout le monde a été atteint dans son intimité. Qu’il vienne dire qu’il perdait tout dans ce mariage et que la dame gagnait tout, le déclic est peut-être parti de là. Chemin faisant, le sexe fort en a fait le reste. Quand on fait une bonne lecture de la situation, c’est ce mariage-là qui a abouti au 15-Octobre.

 

Soyez plus précis. Quel rapport concret peut-on établir entre ce mariage et le coup d’Etat ?

 

Je me permets une réflexion : je n’ai rien contre les nationalités étrangères. Dans le quator révolutionnaire, le célibataire ambulant, c’était Blaise Compaoré. Les autres étaient en situation de mariage. Le maillon faible de la chaîne révolutionnaire perturbante, dérangeante dans la sous-région, c’est bien Blaise Compaoré. Il était la cible toute trouvée par l’impérialisme occidental ou sous-régional pour torpiller la Révolution. Et qui a-t-on envoyé ? La finesse et l’intelligence de l’impérialisme lui permet de trouver une dame. On envoie donc Chantal Compaoré qui arrive à convaincre et à se marier avec un révolutionnaire. Envoûté, ensorcelé, amoureux (les femmes étant d’une magie extraordinaire), elle arrive à posséder son homme. Je pense que tout est passé par Chantal Compaoré. Et on arrive au 15-Octobre. Elle est alors bénéficiaire de tout. Les choses ne sont pas souvent du côté où on pense qu’elles pourraient survenir. Le complot a été de haut niveau. Il a été réfléchi de main de maître. Certes, tout s’y recoupe, mais la bouche qui vous chante chaque fois que vous êtes le chef, que vous méritez d’être chef, que vous avez les qualités d’un chef, finit par faire de vous un chef. 27 ans après, avant l’insurrection populaire du 30 octobre dernier, il n’y avait pas meilleur gardien des intérêts français au Burkina que Blaise Compaoré. Il y a travaillé ; il s’est costumé en cravate ; je n’ai rien contre le costume-cravate, donc n’ayez rien contre le Faso danfani également. Certes, l’habit ne fait pas le moine mais l’habit permet de reconnaître le moine. Dites-moi de quoi vous vous habillez et je serai à même de dire quels sont vos modes de pensées. Sous la Révolution, le Faso danfani avait court pour que nous nous rapprochions davantage des masses populaires et des populations laborieuses. Pendant les 27 ans de règne de Blaise Compaoré, le costume-cravate était à la mode et jusqu’aujourd’hui, et tout le monde s’habille à l’occidentale pour mieux défendre les intérêts français, ou pour être dans un style dit civilisé. Ce sont quand même des civilités à l’occidentale ! Notre habillement africain est ainsi qualifié d’accoutrement et la servitude volontaire y passe ; c’est plutôt en nous habillant à l’occidentale que nous renforçons l’idée selon laquelle nous sommes accoutrés.

 

De façon concrète, comment la France a-t-elle soutenu le coup d’Etat du 15-Octobre ?

 

L’amalgame entre l’impérialisme, le capital financier et le suppôt de l’impérialisme en Afrique occidentale était connu. Sous la Révolution, les Comités de défense de la Révolution (CDR) ont dénoncé le vieux crocodile de Yamoussoukro, Houphouet Boigny, qui, à son tour, s’est moqué de nous en nous disant «Vous, vous n’avez rien et c’est vous qui criez». La France a des intérêts; elle n’a pas d’amis. Cela est inscrit dans la bible de la coopération française. Mais, en même temps que la France a des intérêts, elle méprise tous les peuples colonisés qui ont la prétention d’avoir des intérêts. Dans le même ordre d’idées, le Général de Gaule avait dit du Burkina, la Haute Volta d’alors, que «ce pays-là est un pays d’Hommes». Plusieurs années après, François Mitterrand dit à Thomas Sankara, «Vous dérangez, vous empêchez de dormir». Les mots ne sont pas jetés en l’air. Qui Sankara gênait-il ? Qui empêchait-il de dormir ? Les intérêts français sont menacés en Afrique. Ainsi, si ce qui se passe sous la Révolution au Burkina se répercute dans d’autres pays africains, c’est mauvais pour la France. La formule a donc été trouvée. Et le 15-Octobre s’est fait. Sinon, comment comprendre qu’un national «burkinabé», en l’occurrence Blaise Compaoré, menacé dans son pays pour mal gouvernance, ait l’assistance de l’ancienne colonie française pour son exfiltration, et que la France lui trouve un asile ? Je pense que ce périple vise à le sucer et le débarrasser de tout ce qu’il aura acquis comme biens. Posons-nous des questions : qu’a fait Blaise Compaoré pour mériter d’être exfiltré par la France ? Est-il citoyen burkinabè ou français ? Surtout que la France nous a habitués à venir au secours des Français en situation difficile en Afrique ou ailleurs dans le monde. Souvenant du cas Bokassa de la Centrafrique avec la France de Giscard d’Estaing. Après, on s’en foutra comme un torchon. Sinon, un national burkinabè, digne de ce nom, ne saurait être exfiltré par la puissance coloniale.

 

Certains témoignages font aussi état de la présence de Libériens au Burkina le 15 octobre et les jours qui ont précédé cette date. Qu’en est-il ?

 

Invoquer des mains libériennes ou sous-régionales participe de l’amalgame pour brouiller les pistes. Voyez d’où est partie cette idée de faire germer la Présidence dans la tête de Blaise Compaoré. Mieux, cette même année, en 1987 donc, il a refusé d’être Premier ministre. Le Président Sankara est allé en consultation chez le président gabonais, Omar Bongo, et ce dernier lui a dit que c’était parce que Blaise Compaoré voulait devenir président qu’il avait refusé d’être Premier ministre. Ce que j’ai vu le 15 octobre me permet de dire, sans détour, que c’est la garde personnelle de Blaise Compaoré qui a tiré sur nous.

 

Après les tirs, que s’est-il passé ?

 

C’était l’hécatombe. Personne n’a résisté. J’étais parmi les derniers à sortir de la salle. La cause était déjà entendue. Je me suis fondu à la masse des cadavres. Ceux qui nous ont tiré dessus ont su que je n’étais pas mort. Ils ont dit à ceux qui étaient venus se défaire des cadavres ceci : «Il y a un qui n’est pas mort; il faut lui dire de monter avec les autres». Ce jour-là, je pense que j’ai vidé toute l’eau de mon corps. J’ai uriné à n’en pas finir. Car pour moi, c’était sûr qu’après cet acte, je devais rejoindre mon Seigneur. Ils m’ont ensuite conduit dans une maisonnette. Jusqu’au matin, c’était la valse des gros camions. Des gens sont venus ramasser les corps et essuyer l’endroit où le carnage a eu lieu. Longtemps après, j’ai appris qu’ils ont été enterrés vulgairement au cimetière de Dagnoën.

 

Pensez-vous que la tombe érigée au nom de Sankara au cimetière de Dagnoën est bien la sienne ?

 

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Je ne saurais vous le dire. Je ne parle que de ce dont j’ai connaissance. Je n’étais pas au cimetière pendant les enterrements. N’eût été un média étranger, dans le cadre de ses reportages, qui a souhaité que je me rende au cimetière de Dagnoën, je me réservais le droit de ne pas y aller. Cela pour suivre l’exemple du défunt père de Thomas Sankara. Il a tenu des propos dignes d’intérêt. Il a dit «J’ai deux enfants : Thomas et Blaise. Si l’un est mort, l’autre, Blaise Compaoré en revanche, est là. Je l’attends». Mais depuis le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré n’est jamais retourné voir le père de Sankara. En ne le faisant pas, il se culpabilise. Le vieux Sankara n’a pas dit «Qui a tué Thomas ?», il a dit «J’attends mon deuxième fils». Mais ce dernier n’a pas répondu à l’appel jusqu’à ce que le père de son «meilleur ami», son «camarade», son «frère d’arme», meure.

 

Sankara était, dit-on, bien informé. Il savait que quelque chose se tramait. Pourquoi, malgré cela, il n’a pas pris des dispositions adéquates pour sa propre sécurité ?

 

Le 8 octobre 1987, il a fait distribuer une correspondance écrite par Che Guevara avant que ce dernier ne parte à son aventure au Congo et en Amérique latine. Dans la lettre, le Che s’adressait à Fidel Castro en lui disant brièvement ceci: «Je laisse à cette République ma femme et mes enfants. Si ce que nous avons fait ensemble doit porter ses fruits, ma femme et mes enfants en seront bénéficiaires. Aujourd’hui, vous êtes en situation de responsabilité ; vous ne pouvez plus faire ce que moi, le Che, je peux faire. Je participe donc à l’aventure de la révolution mondiale ; c’est ma mission, j’y vais». Nous n’avions pas compris le sens de la publication de cette lettre qui était adressée à Fidèle Castro. Longtemps après, par recoupement, nous avons compris que le Président Sankara s’était fait une idée. En effet, plusieurs fois, les gens ont dit que Blaise Compaoré préparait un coup; mais Sankara, bien qu’étant informé, n’a jamais voulu prendre les devants. Il a dit qu’il ne tirerait jamais sur Blaise Compaoré. A chaque fois, il ajoutait : «Laissez Blaise faire son travail». Sankara était donc bien conscient de ce qui aurait pu advenir. Il a réglé ses comptes par la publication de cette lettre adressée par le Che à Fidèle Castro. Quand on analyse dans le fond, cette lettre était adressée à Blaise Compaoré. Et le message de Sankara était celui-là: «Je ne ferai rien pour te nuire ; vas, continue ! Si c’est la République que tu veux gérer, vas et gère la République». Le Président Sankara a distribué cette lettre le 8 octobre et le 15 octobre, il y a eu le coup d’Etat.

 

Il semble que le soir du 15 octobre, le Président Sankara devait adresser un discours à la nation. Qu’en est-il ?

 

Je n’ai pas connaissance de cela.

Il s’agissait, dit-on, de recadrer la Révolution. Ce recadrage était-il nécessaire ?

 

Le président l’avait déjà fait à Bobo Dioulasso, le 4 août 1987, date anniversaire de la Révolution. Le PF a recentré tous les débats et insisté sur la nécessité de nous réorganiser pour vaincre les ilots de résistance et faire porter haut le flambeau de la Révolution. C’était un discours programme. Jusqu’au 4 août 1988, nous devions nous atteler à l’explication du discours du président, mieux s’organiser pour mieux vaincre. Il y a eu un mea culpa national à propos des erreurs faites par les CDR qui devaient renforcer leur niveau de conscience et de compréhension politique. Nous étions donc dans le tempo. Le discours du 4 août 1987 montrait la voie à suivre pour que la Révolution aille de l’avant. Mais le 15 octobre, il y a eu la «rectification». Cependant, la révolution populaire des 30 et 31 octobre 2014 a purifié la rectification et réhabilité les lettres de noblesse à la Révolution démocratique et populaire (RDP) enclenchée le 4 août 1983.

 

Le président de la Transition, Michel Kafando, a annoncé l’identification de la tombe supposée de Thomas Sankara. Quelle analyse en faites-vous ?

 

Il faut que justice soit faite ! Il faut que la République fasse en sorte que ce pan de notre histoire soit dévoilé. Dans tous les cas, concernant les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré, ce que les jours d’aujourd’hui nous cachent, ceux de demain nous le révéleront. Le temps des révélations est arrivé. C’est à l’honneur des nouvelles autorités de reprendre ce dossier afin qu’on le passe au peigne fin, qu’on sache raison garder et faire le recueil de ce qui nous est arrivé.

 

Pour cela, il faut que Blaise Compaoré, actuellement au Maroc, soit extradé et jugé…

 

Il ne peut pas gérer cette République comme il l’a fait, rester à l’extérieur aux frais de la princesse française et vouloir se dérober de ce dossier. Il faut qu’il soit là, qu’il sache ce qu’il a fait au peuple. Il faut que tout se passe devant lui ; qu’il assume ! C’est lui, le chef, et un chef ne se dérobe pas de ses responsabilités.

 

Justement, à ce propos, après le coup d’Etat du 15 octobre 1987, il a affirmé qu’il était malade, qu’il avait le palu, qu’il était couché dans son lit quand les armes ont commencé à crépiter. S’agit-il, là aussi, d’une fuite de responsabilité ?

 

Je mets ses propos au compte des affabulations et des élucubrations. C’est de la mythomanie ; cela ne m’engage pas. Je ne crois pas ce prétendu «palu» dont il parle. Il faut qu’il assume ce qu’il a fait. Pourquoi, pendant 27 ans, Thomas Sankara était censuré ? On parle plus de Sankara à l’extérieur du Burkina alors qu’à l’intérieur, c’est le silence radio du côté surtout des autorités. Ce n’est qu’en cette année bénite 2014, que doucement, mais sûrement, les langues, les voix, les soupirs ont commencé à donner du son, de l’écho.

 

 

Puis, il y a eu l’apothéose des 27, 28, 29, 30 et 31 octobre, soutenue de dignité, de fierté, de résolution. L’exemple venu du pays des Hommes intègres est un éclat de diamant qui irradie le continent de son éclat révolutionnaire.

 

 

 

 

Hasta la victoria siempre !

(Toujours la victoire !)

 

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

@Courrierconfidentiel.net

 

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25/09/2015
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