L'APARTHEID; COMMENT ET POURQUOI?
1998-2001
L'APARTHEID
La discrimination raciale domine l'histoire de l'Afrique du Sud au XXe siècle. Les colons européens ont apporté dans leurs bagages leurs préjugés et leur complexe de supériorité. Victorieux par les armes des populations locales, le pouvoir blanc les met à 'écart par une législation de plus en plus vexatoire. Cette politique est poursuivie par tous les gouvernements. Sous le nom d'apartheid elle prend une tournure systématique à partir de 1948, touchant la vie quotidienne dans un luxe de détails des plus absurdes. Alors que le monde aborde une phase de décolonisation et que la campagne en faveur des droits civiques progresse aux Etats-Unis, l'Afrique du Sud s'isole dans une pratique scandaleuse. L'apartheid est condamné comme crime contre l'humanité par la communauté internationale. Il faut plusieurs décennies de lutte acharnée pour que les démocrates sud-africains parviennent à démanteler ce système inique.
1910, l'Union sud-africaine tronquée dès le départ
Pour la première fois de son histoire, en 1902, le cône sud de l'Afrique est régi par une seule autorité. La couronne britannique a atteint son but, elle contrôle toutes les régions aurifères et leurs accès à la mer. Cecil Rhodes a disparu, mais ses idées chantées par Kipling triomphent: la route du Cap au Caire peut désormais s'envisager. L'Afrique du Sud conquise jouxte les colonies anglaises qui remontent vers les Grands Lacs. N'était la colonie allemande du Tanganika, la Rhodèsie du Nord et ses mines de cuivre serait reliée au Kenya, lui-même touchant au Soudan, lié par le Nil à l'Egypte.
Afin de soutenir ce projet, Londres étend la charge d'Alfred Milner. Le Haut Commissaire en poste au Cap devient en outre gouverneur des colonies boeres. C'est un partisan inconditionnel de l'empire, convaincu de la supériorité de la race blanche et du régime britannique. Son objectif est clair, il s'agit de faire de l'Afrique du Sud le fleuron des Dominions. Sa politique comporte trois volets: assimilation des Boers, incitation à la venue de colons britanniques, relance de l'activité minière par le biais de travailleurs chinois. Seul ce dernier point sera brièvement couronné de succès.
Les Boers vaincus se posent des questions et trouvent réponse dans la religion. Si le peuple élu a perdu, c'est qu'il a péché. Il convient donc de retrouver la rigueur morale qui permettra le retour en grâce. La cohésion du groupe se fait autour de sa langue. L'afrikaans devient le point de ralliement de tous ceux qui veulent résister. Face à l'intrusion massive de l'anglais, l'on réhabilite la langue du peuple au détriment du néerlandais. Même si Milner incite par des prêts les agriculteurs à retourner dans leurs fermes, l'exode rural rend la dénomination de Boer obsolète. On préfère désormais l'appellation d'Afrikaner, celui qui parle afrikaans, soulignant du même coup une appartenance au continent à l'inverse des autres immigrants européens. Mais Si les Afrikaners se cabrent face aux mesures de Milner pour angliciser l'enseignement et la fonction publique, ils apprécient sa politique consistant à cantonner les Noirs aux travaux subalternes.
Le gouverneur veut que les Britanniques dominent en nombre l'Afrique du Sud. Il espère attirer 100000 colons. A son grand dam, seules i 200 personnes font le voyage. En quittant le pays, Milner reconnait que la population blanche d'Afrique du Sud demeure afrikaner à 60 %.
La guerre a fortement perturbé l'activité minière. La main d'oeuvre noire, rebutée par les bas salaires, est réduite de moitié.
Milner et son équipe de jeunes technocrates venus d'Oxford soutiennent l'idée d'embaucher des travailleurs chinois non qualifiés. Les mineurs blancs et les responsables afrikaners protestent très vivement. Du coup la Chambre des Mines se voit obligée de mettre sur pied un système restrictif: les Chinois seront rapatriés à l'issue d'un contrat limité à trois ans et ils n'auront pas accès aux emplois qualifiés. Cette mesure annonce la politique de ségrégation dans le travail qui caractérisera l'Afrique du Sud jusqu'en 1980.
L'arrivée massive des Chinois permet en effet d'exploiter la principale richesse du pays. La production retrouve son plein rendement en 1906 avec 18000 mineurs blancs, 51000 chinois et 94000 africains, tandis que les revenus de l'or doublent en trois ans.
Les victoires des Afrikaners aux élections locales incitent les libéraux récemment arrivés aux affaires à Londres à changer de tactique. A la politique résolument impérialiste de Milner, ils préfèrent une approche pragmatique. Pourquoi ne pas s'entendre avec les Afrikaners modérés pour construire une Afrique du Sud favorable aux intérêts anglais? Dès 1908 commencent les négociations en vue de la réunion des quatre territoires. Transvaal, Orange, Natal et Province du Cap fusionnent en une Union sud-africaine qui devient indépendante le 31 mai 1910. En l'espace de huit ans les Boers ont rétabli à leur avantage une situation fort compromise. Si le roi d'Angleterre reste nominalement chef de l'État, le pouvoir est bel et bien entre les mains du Premier ministre, le général Louis Botha qui s'illustra contre l'armée impériale.
La naissance de l'Union sud-africaine cache un vice congénital: l'absence des Noirs à la table des négociations. Les débats les concernant ne portent que sur leur éventuel droit de vote. Les Britanniques souhaitent mollement que les « gens de couleur civilisés» puissent voter. Mais ils se résignent à la proposition de Jan Smuts de laisser aux provinces le choix des modalités. Or chacun sait que seule la Province du Cap autorise sous certaines conditions le vote des Noirs et des Métis. Les représentants des trois autres provinces obtiennent en outre que ce droit de vote soit limité par une pondération défavorable aux Noirs ruraux.
Cette décision est immédiatement dénoncée par les organisations noires. En adoptant le christianisme au cours du XIXe siècle, beaucoup de citadins noirs ont opté pour les valeurs démocratiques et un mode de vie européen. Cette classe moyenne est particulièrement active dans la Province du Cap. Autour de John Tengo Jabavu nombre de pasteurs, d'avoués, d'instituteurs se regroupent autour d'un journal pour faire valoir leur point de vue, sans pour autant former un parti politique:
une formation uniquement noire, estime Jabavu, ne ferait que creuser la ségrégation. Encouragés par des Églises américaines, certains songent cependant à édifier une nation purement noire. A l'issue de la guerre des Boers, les intellectuels noirs comptent sur les libéraux anglais pour promouvoir leurs revendications. La façon dont se dessine l'Union sud-africaine les alarme. En 1909 ils envoient une lettre ouverte à plus de mille hommes politiques britanniques, soulignant les atteintes aux droits de l'homme, le manque de garanties pour les territoires noirs et le droit de vote rogné qui exclut 22000 Noirs du corps électoral dans la Province du Cap, soit plus que tous les électeurs du Natal.
Une mission, dirigée par l'avocat William Schreiner - frère de la romancière Olive Schreiner - se rend à Londres pour tenter de changer l'opinion des parlementaires. Mais ceux-ci sont trop heureux de la réconciliation avec les Afrikaners pour prêter l'oreille aux revendications des Noirs et des Indiens. L'intervention de l'archevêque de Canterbury emporte l'adhésion des Lords: les restrictions imposées aux indigènes « correspondent à celles que nous imposons à nos enfants ».
La création de l'Union sud-africaine provoque une réaction immédiate chez les Noirs, car les voilà sans droits dans un pays où ils sont largement majoritaires (le recensement de 1911 indique 4 millions de Noirs contre 1,3 million de Blancs, 525000 Métis et 150000 Indiens). Les espoirs brisés obligent à réviser la stratégie. Cependant les élites noires ne prônent pas l'action violente. Ils s' inspirent d'abord de l'exemple de Ghandi; ils ont ensuite en mémoire la tête décapitée du chef zoulou Bambatha qui s'est opposé en 1906 aux nouveaux impôts. La brutalité de la répression menée par l'armée britannique marque les esprits; il n'y aura plus de révolte armée jusqu'en 1960. Priorité est donc donnée à l'action non violente et au lobbying en s'appuyant sur les Églises.
L'organisation qui naît le 8 janvier 1912 à Bloemfontein rassemble la fine fleur des intellectuels noirs. Elle se baptise South African Native National Congress et porte à sa tête le pasteur John Dube. Son secrétaire général, Sol Plaatje, est un homme hors du commun, interprète auprès de Baden-Powell pendant le siège de Mafeking, polyglotte et directeur de plusieurs journaux (son roman Mhudi, enfin traduit en français, offre une bonne illustration des conflits en Afrique australe au XIXe siècle). Ce SANNC n'enlèvera sa référence « indigène » qu'en 1923, mais conservera l'appellation de Congrès, chère à Ghandi, pour devenir l'African National Congress (ANC).
Il y a urgence à s'organiser car le pouvoir mis en place à Pretoria prépare une loi sur les « terres indigènes » particulièrement sévère. Le Natives' Land Act de 1913 aboutit en effet à limiter l'accession des Noirs à la propriété, à savoir quelques réserves représentant 7,5 % du territoire. Le million de Noirs locataires ou métayers dans les zones blanches se voit privé de tout espoir. Les réserves sont des confettis de terres souvent peu fertiles. Les protestations se heurtent à la détermination du Parlement que ni les abus, ni la situation de misère des campagnes, notamment dans l'Orange, ne parviennent à émouvoir. En juin 1914 une mission de Dube et Plaatje à Londres se voit répondre que les délais pour remettre en cause la législation sud-africaine sont dépassés...
La préparation de la Grande Guerre mobilise les énergies et les hommes politiques britanniques. L'Union sud-africaine hésite un mois avant de se ranger aux côtés de la Grande-Bretagne. Chez les Afrikaners la discussion fait rage. Ils viennent de se diviser entre le South African Parly de Louis Botha favorable à la collaboration avec les anglophones et le Nasionale Party de Barry Hertzog, fer de lance du nationalisme afrikaner. L'Angleterre presse les premiers d'attaquer le Sud-Ouest africain, la colonie allemande au nord du fleuve Orange. L'idée de soutenir les Anglais, les ennemis de la veille, responsables de la mort des milliers de victimes dans les camps de concentration, est odieuse aux seconds.
De nombreux officiers boers, dont les généraux De Wet et De la Rey, se fâchent quand le Premier ministre décide l'entrée en guerre. Une rébellion éclate. Louis Botha finit par la mater début 1915. il fait montre de clémence à l'égard de ses compatriotes afrikaners : une seule exécution, quelques peines de prison et de nombreuses amendes. Dès lors les troupes sud-africaines, qui avaient déjà capturé le port de Lùderitz, pénètrent sans opposition majeure dans la colonie allemande qu'elles réduisent en trois semaines. L'Afrique du Sud s'installe pour 75 ans en Namibie.
La contribution de l'Union sud-africaine au grand conflit mondial n'est pas négligeable: quelques 146000 volontaires blancs, 83000 noirs et 2000 métis participent aux opérations, principalement sur le théâtre européen. Seuls les Blancs font partie des unités combattantes; il ne s'agit pas d'apprendre le maniement des armes à feu aux autres recrues. Le haut fait d'armes des troupes sud-africaines se situe dans la Somme. Un monument à Delville Woods commémore cette bataille victorieuse mais décimante du 20 juillet 1916. L'Union sud-africaine connaît en revanche un boom économique, les Alliés se trouvant très demandeurs en produits agro-alimentaires et textiles.
Devenu Premier ministre en 1919 suite au décès de Botha, Jan Smuts joue un rôle actif lors du Congrès de Versailles. il obtient pour son pays un mandat de la Société des Nations sur le Sud-Ouest africain.
1922, la grande grêve annonce la dépression
L'histoire de l'Afrique du Sud est jalonnée de conflits sociaux: quand chute le prix des matières premières, les sociétés gérant les mines hésitent rarement à les répercuter sur les salaires, provoquant des manifestations plus ou moins violentes. Aucune n'a l'ampleur de la grève des mineurs de 1922. Elle cristallise différents mécontentements. Les mineurs afrikaners veulent en finir avec les anglophiles et rêvent de la restauration d'une république qui saura protéger leurs intérêts. Les socialistes de leur côté sont excédés par les attaques continuelles contre les syndicats et tiennent à contrôler le mouvement ouvrier face au Parti communiste (SACP) naissant. Les uns et les autres protestent contre un pouvoir d'achat amenuisé par l'inflation et surtout contre le nombre croissant des travailleurs noirs : les dirigeants d'entreprise souhaitent piocher des contremaîtres dans cette main-d'oeuvre abondante, peu payée et affaiblie par l'échec d'une grève en 1920 qui fit onze morts. Le massacre d'une secte noire à Bulhoek ne laisse aucun doute sur la détermination du pouvoir blanc en cas de révolte. Un programme de la Chambre des mines visant à embaucher plus de Noirs met le feu aux poudres.
Le conflit de 1922 commence dans les mines de charbon, puis s'étend à tout le secteur minier, regroupant au total 20000 travailleurs blancs de Johannesbourg. L'appui des commandos afrikaners pousse le mouvement à l'insurrection. Smuts proclame la loi martiale et fait intervenir 20000 hommes de troupe. Les combats font rage pendant cinq jours dans les quartiers ouvriers de la ville que l'armée pilonne. Le mouvement est brisé dans le sang:
on recense 214 morts (76 grévistes, 78 soldats, 30 africains tués par les grévistes et 62 passants). Smuts fait arrêter près de cinq mille mineurs. Sur dix-huit condamnations à mort prononcées, quatre sont exécutées. Les condamnés montent à la potence en chantant un hymne communiste.
L'échec de la grève oblige à des révisions de stratégie dans le monde politique et social. Le gouvernement fait adopter une loi réglementant de façon restrictive la présence des Noirs en zone urbaine : cette mesure d'exclusion marque le début des locations qui deviendront plus tard les townships, quartiers noirs à la périphérie des villes blanches, et renforce le contrôle sur le pass, ce laisser-passer exigé des Noirs pour travailler en zone blanche. L'opposition parlementaire se mobilise autour d'un pacte électoral insolite. Nationalistes afrikaners et travaillistes font cause commune aux élections de 1924. A la tête de majorités hétéroclites, Barry Hertzog dirige ainsi le pays jusqu'en 1939. Les Noirs font les frais de ces coalitions, car le Premier ministre n'a de cesse d'aggraver la ségrégation. Il fait adopter par ailleurs l'afrikaans comme seconde langue officielle en 1925.
Les formations noires évoluent aussi. L'ANC nouvellement baptisé est confronté à l'émergence d'un mouvement syndical conséquent et du Parti communiste. Fondé par Clemens Kadalie, le Industrial and Commercial Workers' Union (ICU) connaît à partir de 1925 un succès inattendu dans les campagnes. Le jeune Parti communiste met quelques années à se rendre compte que promouvoir la solidarité entre ouvriers noirs et blancs est stérile dans le contexte sud-africain. Misant sur l'agitation des zones rurales, il lance en 1928 l'idée d'une « république indigène ». Ce projet plaît à Josiah Gumede, président de l'ANC, et à ses mliitants dans le Western Cape. Mais la tendance conservatrice finit par l'emporter au sein du Congrès: Gumede est battu par Pixley Seme, puis expulsé avec les radicaux en 1930.Il faudra attendre vingt ans pour que les communistes renouent une alliance avec l'ANC.
Sous la pression de Moscou, le Parti communiste s'éloigne des grandes manifestations de masse et opte pour une structure de petites cellules révolutionnaires. Mal géré, cible des fermiers blancs qui multiplient les procès, l'ICU se délite. Le mouvement syndical dans son ensemble s'essouffle et l'ANC campe sur ses positions modérées les conditions sont réunies en 1936 pour que le gouvernement Hertzog porte un coup décisif aux derniers espoirs des Noirs.
L'économie sud-africaine qui repose sur l'exportation de ses matières premières est affectée par les turbulences planétaires. Après les années fastes de la Première Guerre mondiale, la crise s'installe avec la récession et plusieurs sécheresses consécutives. Une large partie de la population noire vit dans la misère, suivie par un nombre croissant de Blancs. Ces derniers conservent toutefois un atout, le droit de vote. Soutenus par les Églises et la très officielle Association des Pauvres Blancs, ils pressent le gouvernement Hertzog d'intervenir. A partir de 1924 les services publics embauchent massivement des Blancs non qualifiés de préférence aux Noirs. La grande Dépression venue des Etats Unis atteint l'Union sud-africaine dès 1930. La chute des cours du maïs et de la laine s'ajoutant à une sévère sécheresse fin 1932 ruine de nombreuses exploitations et accélère l'exode rural. Barry Hertzog et Jan Smuts comprennent l'utilité de fédérer les aspirations des petits Blancs, qu'ils parlent afrikaans ou anglais. Leurs deux partis fusionnent sous le nom d' UnitedParty en 1934. Smuts revient aux affaires comme vice-premier ministre.
Ce regroupement spectaculaire s'opère une fois de plus sur le dos des Noirs. Hertzog obtient en 1936 la radiation des électeurs noirs des listes électorales dans la Province du Cap où certains figuraient depuis 1853. il leur reste le droit d'élire de façon séparée trois représentants blancs à la Chambre. Un collège noir est instauré dans chaque province pour désigner chacune un sénateur blanc. Par ailleurs le gouvernement favorise l'extension des réserves noires dont la surface avoisine désormais 13 % du territoire national. Cette mesure constitue un alibi pour accentuer l'exclusion des Noirs ruraux. Les organisations noires ne s'y trompent pas qui unissent leurs forces pour l'occasion, mais en vain. Le Black Trust and Land Act de 1936 préfigure la politique des bantoustans.
Les critiques n'émeuvent pas le gouvernement qui profite d'une conjoncture financière favorable. Non sans débats houleux, l'Union sud-africaine a abandonné l'étalon-or fin 1932. La dévaluation de la livre sud-africaine permet une reprise des exportations, encouragées par le remontée des cours mondiaux. Le prix de l'or double entre 1933 et 1938, stimulant l'ouverture de mines nouvelles. L'argent public dégagé par les recettes fiscales est investi dans de grands conglomérats industriels comme ISCOR (Iron and Steel Corporation). Dans ces conditions, le United Party remporte haut la main les élections de 1938 (111 députés contre 27 à l'opposition d'extrême-droite).
Un courant intransigeant traverse en effet les milieux nationalistes afrikaners. Autour du pasteur Daniel Malan, ils récusent la fusion forgée par Hertzog et Smuts. ils exigent l'instauration de la République. ils fondent un nouveau Parti national, purifié de toute scorie anglophone et négrophile, d'où son nom de Gesuiwerde Nasionale Party. La conquête du pouvoir est envisagée de façon méthodique. Le Broederbond, société d'entraide, devient vite une franc-maçonnerie pour promouvoir les cadres afrikaners. Sa principale réalisation demeure la SANLAM, compagnie d'assurance chargée de récolter l'épargne afrikaner, afin de pénétrer dans le monde exclusivement anglophone des capitaux. Enfin ces nationalistes purs et durs jouent habilement des symboles. ils réhabilitent le mythe des pionniers austères et religieux: l'évocation du Grand Trek est l'occasion de mobiliser la ferveur nationaliste. Deux chariots à boeufs partent du Cap en direction de Pretoria quelques 1600 km au nord. L'équipée prend des allures de pélerinage, reçoit un accueil vibrant et fait des émules. Les processions convergent sur Pretoria. Un rite nouveau naît le 16 décembre 1938, centenaire de la bataille de Blood River, tandis que l'on pose la première pierre d'un monument aux Voortrekkers.
La Seconde Guerre mondiale perturbe la marche des nationalistes vers le pouvoir. Comme en 1914, les Afrikaners se déchirent sur le parti à prendre. Anciens généraux boers, Hertzog et Smuts font des choix différents; le premier prône la neutralité de l'Union sud-africaine, le second un soutien à la Grande-Bretagne. Hertzog présente maladroitement son point de vue au Parlement, au point qu'on le croit favorable au IIIe Reich. Les députés le désavouent. Smuts lui succède à la tête d'une coalition anglophile et l'Union sud-africaine entre en guerre le 6 septembre 1939.
L'Allemagne nazie compte de chauds partisans parmi les nationalistes. Se déclarant forte de 250000 membres, l'organisation Ossewabrandwag (sentinelle du chariot à boeufs) admire Hitler et sa branche militaire s'inspire des SS. Ses sbires n'hésitent pas à prendre à partie les volontaires qui s'engagent dans l'armée. Plusieurs attentats visent des bâtiments publics. Leurs auteurs sont graciés par Smuts qui fait emprisonner 2000 hommes (dont John Vorster et Jimmy Kruger) pour venir à bout des exactions. Les revers de l'Axe finissent par doucher les adeptes du national-christianisme.
Jan Smuts, qui dispose d'une petite armée de métier, réussit toutefois à enrôler 120000 hommes. Comme en 1914, les 20000 Noirs sous les drapeaux ne sont pas affectés à des unités combattantes. L'intervention de l'aviation sud-africaine s'avère décisive pour bouter l'Italie fasciste hors d'Ethiopie. En revanche l'armée de terre subit avec ses alliés britanniques une lourde défaite à Tobrouk en juin 1942: sur 35000 prisonniers, plus de 10000 sont sud-africains. Un contingent sud-africain contribue à éliminer les forces vichystes à Madagascar. Intégrés aux forces de Montgommery, les fantassins repoussent les troupes allemandes hors d'Afrique. La sixième division blindée se joint à la cinquième Armée américaine qui se bat en Italie. Avec une Méditerranée bloquée, la route du Cap prend une grande importance stratégique pour soutenir les positions anglaises en Égypte.
L'effort de guerre a des retombées positives pour l'économie du pays. Laine, diamant, or, charbon sont largement exportés.
Smuts, fait maréchal britannique, informe les Alliés dès 1941 que l'on vient de découvrir de l'uranium. Les mineurs et les employés noirs profitent peu de la nouvelle manne, mais ils savent désormais mieux faire valoir leurs droits. Par ailleurs l'ANC est repris en main par Alfred Xuma qui se révèle un excellent organisateur. Il réduit en outre l'influence des chefs traditionnels, accorde aux adhérentes les mêmes droits qu'aux adhérents et encourage une nouvelle génération de militants à fonder une Ligue des Jeunes de l'ANC. Anton Lembede, Walter Sisulu, Nelson Mandela et plus tard Oliver Tambo donnent à cette organisation un lustre insoupçonné; leur combativité inquiète autant la vieille garde de l'ANC que l'opinion publique blanche. Lors d'une grève des mineurs en 1946, Smuts affiche son appui sans faille aux entreprises minières. La répression fait douze morts et mille blessés. Smuts croit avoir rassuré son électorat, mais sous-estime l'impact de l'indépendance de l'Inde que Ghandi arrache aux Britanniques en 1947. Et contre toute attente, son United Party perd les élections l'année suivante.
Auréolé par son prestige international, Jan Smuts âgé de 78 ans, est perçu comme déconnecté de la réalité sud-africaine par les Blancs qui s'inquiètent de voir les Noirs affluer à leur porte. L'exode rural grossit les townships. Une commission présidée par le juge Henry Fagan estime que l'urbanisation des Noirs est un phénomène inévitable et qu'une ségrégation complète serait intenable, ce qui a le don d'irriter les nationalistes.
Daniel Malan, pasteur de l'Église néerlandaise réformée, s'emploie à rassembler les différentes tendances du mouvement nationaliste déchiré par la guerre. Avec son parti désormais réunifié (Herenigde Nasionale Party), il dispose d'un appareil solide. A 74 ans, ayant passé le plus clair de sa vie publique dans l'opposition, son image d'homme fidèle à ses convictions lui permet d'incarner la revanche aux yeux des Afrikaners. En mai 1948, à sa propre surprise, son parti pourtant minoritaire en voix devient majoritaire en sièges. Il attribue sa victoire à la Providence.
L'arsenal juridique de l'apartheid se met en place sans plus tarder. Illustrant le puritanisme de ses inspirateurs, la première loi votée par le nouveau Parlement interdit les mariages entre Noirs et Blancs. Dans le même esprit, la loi sur l'immoralité datant de 1927 est élargie: toute relation sexuelle interraciale est désormais prohibée. La pierre angulaire du système est adoptée en 1950. Le Population Registration Act stipule que tout Sud-Africain appartient dès sa naissance à un groupe racial: blanc, noir, indien ou métis. Comme cette distinction ne résiste pas à l'analyse scientifique, les tests les plus farfelus sont élaborés pour classer les individus: un coup de peigne dans les cheveux détermine s'ils sont crépus ou non. Des familles se retrouvent ainsi cataloguées de façons différentes, avec leur cortège de difficultés pour la vie quotidienne. La catégorie dite métisse est particulièrement floue. Le législateur ne lui affecte pas moins de onze types de personnes, des Malais du Cap aux Griquas en passant par les Chinois! Chaque année une commission examine les demandes de changement de groupe et publie des listes surréalistes où l'on passe de Noir à Malais ou de Chinois à Blanc.
Ces distinctions ont des implications directes. Le Group Areas Act voté aussi en 1950 détermine le lieu d'habitation selon la couleur. S'en suivent une kyrielle de déménagements forcés, de quartiers rasés, d'expulsions manu militari. Le paysage urbain s'en trouve ravagé pour longtemps. Le ministre des Affaires indigènes, Hendrik Verwoerd, renforce la législation sur le pass à l'échelle du pays. Désormais toutes les femmes noires sont astreintes à ce document humiliant. Non seulement il limite le mouvement des populations noires, mais sa perte ou son vol signifie la prison. La police n'y va pas de main morte; les incarcérations se chiffrent chaque année en centaines de milliers.
Deux piliers de l'apartheid sont érigés en 1953. Le Separate Amenities Act prévoit la séparation des lieux publics entre Blancs et non-Blancs. La ségrégation saute aux yeux du touriste le plus myope. L'apartheid se fait image: bancs pour Blancs dans les squares tandis que les Noirs s'assoient dans l'herbe, toilettes distinctes en plein désert, bus vides et bus bondés selon la couleur, tribunes séparées dans les stades. Si ces photos révoltantes font le tour du monde, elles ne freinent pas l'activité
« découpante » des autorités. Les plages réservées aux non Blancs sont les plus ternes. Des Noirs accidentés meurent faute d'avoir été dirigés sur le « bon » hôpital. Gare à ceux qui osent se promener dans les villes blanches après 21 heures ! Cet apartheid mesquin choque, mais le Bantu Éducation Act est encore plus grave, car il enlève aux Noirs la possibilité de progresser. « Quelle est l'utilité d'apprendre les mathématiques à un jeune bantou s'il n'a pas à s'en servir? » s'exclame Verwoerd. En d'autres termes l'éducation pour les Noirs doit se limiter à ce qu'on exigera d'eux dans la vie professionnelle, à savoir des tâches d'exécution. L'enseignement séparé se met en place à coups de subventions ou d'amendes.
L'opposition a beau intenter des procès, l'ANC manifester, les Nations unies protester, rien ne fait dévier le gouvernement nationaliste. Les investisseurs affluent avec l'ouverture de mines d'or dans l'Orange ou la découverte de phosphates à Phalaborwa et les électeurs reconduisent les nationalistes au pouvoir. Élu Premier ministre en 1958, Verwoerd, surnommé l'architecte de l'apartheid, peut s'atteler à une discrimination en profondeur. fi s'agit de confiner les Noirs dans leurs réserves. Se fondant sur un discours d'apparence bienveillante « Les Noirs ont droit à leur territoire pour gérer leurs propres affaires », « ils ont le droit de pratiquer leur langue et leur culture comme ils l'entendent », le gouvernement dessine bientôt dix régions promises à l'autonomie. Pour obtenir l'aval des dirigeants de ces territoires pauvres, Pretoria accepte même de « consolider » leurs frontières: la surface des bantoustans est élargie, les parcelles éparses sont parfois reliées entre elles. Sur une carte cette dentelle de terres révèle non seulement l'absurdité du système (le Bophutatswana demeure éparpillé entre trois provinces, le Kwazulu se compose de 45 morceaux) mais surtout son hypocrisie: dépourvus d'infrastructures et d'industries, les bantoustans ne sont pas viables. L'argument linguistique ne tient pas puisque l'on sépare les Xhosas du Ciskei et du Transkei pour éviter un ensemble cohérent, ferment de rébellion. Pire encore: chaque Noir vivant en zone blanche sera considéré comme citoyen d'un bantoustan, ce qui facilitera son expulsion vers sa région dite d'origine. Peu importe qu'il soit citadin depuis des générations. Cette politique du développement séparé est aussi appelée grand apartheid.
La facilité avec laquelle Verwoerd et les nationalistes réussissent à mettre en oeuvre leur programme repose sur un arsenal répressif hors du commun. Très attachés à donner un aspect légal aux manoeuvres discriminatoires, ils n'hésitent pas à modifier la législation dès que l'opposition y déniche une faille. Dès 1950 le gouvernement fait interdire le Parti communiste, athée, multiracial et menaçant l'ordre nouveau. Le South African Communist Party plonge dans la clandestinité. Le seul député communiste, Sam Kahn, qui représente les Noirs, est expulsé du Parlement. Bientôt l'on supprime tous les sièges des députés blancs porte-paroles des Noirs en raison de la mise en route des bantoustans, et pour finir les élus mandatés par les Métis.
Les autorités se dotent de mesures radicales pour museler les syndicats ou éloigner les opposants; détention préventive, assignation à résidence, exil intérieur, censure sont largement employés. Une loi décide en 1956 de punir toute intimidation à l'égard de non-grévistes.
Pour autant les protestations ne cessent pas. Les militants de la Ligue des Jeunes de l'ANC se montrent déterminés dès l'arrivée des nationalistes au pouvoir. La modération du président du parti, Alfred Xuma, les irrite; ils imposent James Moroka à la tête de l'ANC et préparent une grande campagne de défiance. En juin 1952 des manifestants commencent à jeter leur pass et pénètrent dans des zones interdites aux Noirs. Le mouvement se poursuit pendant six mois; 8400 personnes sont arrêtées, mais le pouvoir ne recule pas. L'ANC gagne en revanche une crédibilité certaine. Durant la campagne, le parti passe de 7000 adhérents à plus de 100000 cotisations. Son option en faveur d'une coalition non raciale pour libérer le pays attire à lui des opposants d'origines diverses. Il vient en aide aux communistes, contraints à l'action clandestine. Les Indiens, victimes de brimades depuis 1946, décident de faire cause commune avec les Noirs. Le Transvaal Indian Council de Yusuf Dadoo et le Natal Indian Council passent une alliance avec l'ANC. Les métis sont plus circonspects: certains espèrent que l'apartheid les épargnera, d'autres fondent autour de Goolam Gool le Non European Union Movement d'inspiration trotskyste, dont les relations avec l'ANC restent ambiguès.
Arrêté au cours de la campagne de défiance, Moroka a la malencontreuse idée de plaider la conciliation. Les jeunes loups de l'ANC ont tôt fait d'élire à sa place Albert Luthuli, issu d'une famille de chefs zoulous. Sous sa direction s'élabore une Charte de la Liberté qui devient le document de référence pour tous les opposants à l'apartheid. Sa proclamation en juin 1955 sur un grand terrain vague de Kliptown, un des quartiers de Soweto, est un grand événement fédérateur. Recherché par la police, Nelson Mandela assiste à la réunion de l'étage d'un magasin voisin. Le manifeste en dix points énonce des principes acceptables par tout démocrate : respect des droits de l'homme, hostilité au racisme et au sexisme, égalité devant la loi, éducation pour tous, à travail égal salaire égal; seuls les articles concernant la nationalisation des mines et la redistribution des terres font frémir les tenants de l'économie de marché. Un million de personnes signent le texte. Le pouvoir blanc prend l'affaire au sérieux et inculpe en décembre 156 activistes pour haute trahison. Le procès ne commence qu'en 1957 et se perd dans les méandres de la procédure. Bien défendus grâce à des fonds internationaux, les accusés exploitent toutes les imprécisions de la législation. Ils sont peu à peu relâchés, et les poursuites s'arrêtent en 1961. Le gouvernement s'irrite de l'attention des médias étrangers et tire la conclusion qu'il faut des lois encore beaucoup plus strictes.
La colère populaire ne faiblit pas: les boycotts des bus ségrégués succèdent aux pétitions. Jouxtant Johannesbourg, le township de Sophiatown attire artistes noirs et intellectuels blancs. Propriétaires, locataires, squatters, tous ses habitants sont expulsés vers Soweto (SOuth Western Township) à vingt kilomètres du centre-ville. Les bulldozers effacent un passé vivace à défaut d'être heureux; il ne reste de Sophiatown que les peintures de Gerard Sekoto et les photos de Drum Magazine. Le quartier résidentiel qui prend sa place s'appelle Triomf. Rien n'arrive à infléchir la politique des nationalistes afrikaners.
Fer de lance de la contestation, l'ANC n'engrange guère de succès face au gouvernement. La contestation s'installe dans ses rangs. Au Ghana, Kwame Nkrumah développe des idées panafricaines qui relancent un débat ancien en Afrique du Sud: les « africanistes » reprennent le slogan «l'Afrique aux Africains »et se font l'avocat du retour aux valeurs du continent. Comme la direction de l'ANC s'en tient à un combat multiracial contre l'apartheid, les dissidents fondent en 1959 le Pan-Africanist Congress (PAC). Son chef, Robert Sobukwe, lecteur au Département des Langues bantoues à l'université du Witwatersrand, a la fougue de ses 35 ans. La décolonisation en Afrique noire et la volonté de surpasser l'ANC l'incitent à agir sans plus attendre.
1960, le triomphe de la ségrégation
Sobukwe estime que les prisons sud-africaines ne peuvent contenir tous les Noirs. Dans l'esprit non violent qui domine encore à l'époque, il prévoit une série de marches contre le port du pass: les manifestants se laisseront arrêter, provoquant un engorgement du système pénitentiaire et une paralysie de l'économie qui obligeront le gouvernement à changer la législation. La première manifestation est prévue 21 mars 1960 dans les villes industrielles autour de Johannesbourg. A Sharpeville, le township de Vereeniging, la protestation tourne au drame autour du poste de police. Les policiers, dépassés, tirent sans sommations sur la foule. On dénombre 69 morts et 180 blessés. L'Afrique du Sud bascule dans la confrontation violente.
Devant l'ampleur des manifestations et des grèves qui éclatent dans le pays, les valeurs sud-africaines s'effondrent sur les marchés financiers et les armuriers écoulent leurs stocks aux Blancs pris de panique. L'opinion publique croit au grand soir tant de fois évoqué. Le gouvernement réagit par la force, décrète l'état d'urgence puis interdit le PAC comme 1' ANC. Les militants sont arrêtés par centaines, dont Sobukwe qui sera condamné à trois ans de prison et maintenu en détention préventive pendant six années supplémentaires à Robben Island. Du côté de l'ANC, pris de court par Sharpeville, Luthuli est assigné à résidence dans son village du Kwazulu, Mandela plonge complètement dans la clandestinité, Tambo a le temps de franchir la frontière. La direction du mouvement en exil lui échoit; il la conservera trente ans.
Alors que l'Afrique du Sud se retrouve au ban des nations, Verwoerd trouve le moyen de remobiliser l'opinion publique blanche. il lui propose de changer l'Union sud-africaine en une république totalement affranchie du Royaume-Uni. Pour une fois unie, la population afrikaner soutient un projet lourd de symbole. Pour ne pas l'avoir compris, Sir de Villiers Graaff, chef de l'opposition, précipite son parti dans le déclin, offrant au Nasionale Party trois décennies de pouvoir sans partage. Au référendum d'octobre 1960, l'électorat blanc se partage selon le critère linguistique. La république obtient 52 % des suffrages. Au Natal, seule province où le « non » l'emporte au référendum, les rumeurs de sécession s'éteignent vite. Le Commonwealth refuse d'accepter la République Sud-africaine. Dotée d'un président honorifique, bien tenue en main par Verwoerd, elle voit le jour le 3l mai 1961.
Face à cette attitude inflexible, les formations anti-apartheid opèrent une révision stratégique: la politique de désobéissance civile ne s'avère pas efficace contre ce régime militaro-minoritaire. Elles optent donc pour la lutte armée. Personne n'y est bien préparé. L'ANC bénéficie toutefois de l'expérience de la clandestinité de son allié communiste. Son savoir-faire est décisif dans la mise en route de sa branche armée Umkhonto we Sizwe (« le Fer de lance de la Nation », MK en abrégé). Sous la direction de Nelson Mandela, elle spécifie que ses cibles seront purement administratives ou économiques, évitant de mettre en danger les vies humaines. Poqo (« Nous seuls »), l'organisation militaire du PAC n'a pas ces scrupules et une dizaine de civils font les frais de leurs opérations. Mais ni l'ANC ni le PAC n'obtiennent l'appui financier des pays occidentaux qui craignent leur noyautage par les marxistes. Tout au plus accorde-t-on en 1961 le Prix Nobel de la Paix à Luthuli. Durant deux décennies l'URSS et ses satellites seront le principal soutien de l'ANC. En réaction, la Chine aidera le PAC par intermittence.
Centrales électriques, bâtiments administratifs, chemins de fer sont jusqu'en 1963 la cible des sabotages d'Umkhonto. Mandela échappe à tous les pièges de la police et gagne le surnom de « Mouron noir » en référence au héros « rouge » créé par la baronne Orczy. Il se rend à l'étranger, rencontre le Parti travailliste à Londres, prend la parole à Addis-Abeba et va même s 'initier à la guérilla dans l'Algérie fraîchement indépendante. Verwoerd dégage de vastes crédits pour venir à bout de la résistance et donne à ses faucons toute latitude pour agir. Hendrik van den Bergh à la tête des services de renseignements et John Vorster au ministère de la Justice, deux anciens de l'Ossewabrandwag, ont été internés pendant la guerre en raison de leurs sympathies nazies. Ils obtiennent que la garde à vue soit étendue à 90 jours, période qui sera ultérieurement doublée. Isolés, sans recours à un avocat, souvent réinterpellés à peine libérés, les militants sont soumis à de fortes pressions quand ils ne sont pas torturés. Les limiers recoupent suffisamment d'informations pour arrêter Mandela en août 1962. Ils parviennent en outre à infiltrer le mouvement: en juillet 1963, c'est l'état-major d'Umkhonto qui est capturé dans une ferme de Rivonia au nord de Johannesbourg. Des leaders comme Walter Sisulu, Ahmed Kathrada, Govan Mbeki tombent dans le filet, ainsi que six Blancs, tous juifs. Trois d'entre eux, vétérans de la résistance au nazisme, parviennent à s'échapper.
Le procureur au cours du procès est également israélite: cette situation souligne les clivages au sein de la communauté juive d'Afrique du Sud, forte de 100000 personnes, déchirée entre collaborateurs et résistants, entre hommes d'affaires et militants des droits de l'homme (Helen Suzman illustre l'ambivalence; élue du quartier résidentiel d'Houghton, elle est également, le temps d'une législature, le seul véritable député d'opposition).
Le procès, dit de Rivonia, se déroule en fait sous bonne garde au palais de justice de Pretoria. A défaut d'interroger les accusés, la presse internationale photographie Winnie Mandela qui arbore chaque jour une tenue africaine différente. Le ministère public détaille les commandes d'armes et souligne les liens entre l'ANC et le Parti communiste, afin de démontrer qu'il y a bien complot international visant à renverser le régime. Mandela réfute l'allégation selon laquelle la lutte en Afrique du Sud est le fait d'étrangers. Dans une déclaration d'une grande limpidité, il retrace l'histoire du mouvement contre l'oppression. Assumant ses responsabilités, il énonce son idéal, « une société démocratique et libre où tout le monde vivrait dans la paix avec des chances égaies. J'espère vivre pour le conquérir, mais c'est un idéal pour lequel je suis prêt, s'il le faut, à mourir. » Les juges retiennent la sédition, mais admettent un doute quant à l'intervention étrangère et condamnent huit des neuf hommes à la réclusion perpétuelle. De Londres, Oliver Tambo estime que la pression internationale a permis de leur éviter la peine capitale.
Tandis que Denis Goldberg part pour la section blanche de la prison de Pretoria, ses camarades noirs sont transférés au pénitencier de Robben Island au large du Cap. En tant qu'Indien, Ahmed Kaflirada bénéficiera de chaussettes et chaque jour d'une cuillerée de sucre supplémentaire... Les prisonniers sont soumis à des règles draconiennes, voient leur courrier censuré et n'ont droit qu'à des visites espacées. Aucun média sud-africain n'a le droit de les citer ou de publier leur photo. La guérilla est décapitée. Une chape de silence étouffe la résistance à l'apartheid.
Le régime profite des années de prospérité pour maquiller son image. L'immigration européenne est largement encouragée. Boudée par le Commonwealth, la République sud-africaine trouve avec la France et l'Allemagne les partenaires nécessaires pour développer son industrie et son armement, avec la bénédiction des Etats-Unis qui considèrent le pays comme un solide rempart contre l'avancée du bloc soviétique. Dès lors Verwoerd poursuit impunément sa politique de ségrégation à outrance. Les expulsions s'intensifient : des villages entiers sont déplacés vers des campagnes nues pour que les bonnes terres soient exploitées ou habitées par des Blancs. Un système de contrat de il mois oblige les travailleurs de l'industrie à s'installer dans les hostels insalubres des townships. Leur famille restée dans le dénuement des zones rurales ne les voit plus qu'un mois par an. Couples déchirés, enfances misérables, déculturation, promiscuité, ivrognerie en sont les conséquence; la population carcérale est avec plus de 100000 personnes l'une des plus élevées au monde.
Le Transkei, région natale de Mandela, est incité à l'autonomie dès 1963 sans consultation des populations. D'autres bantoustans le suivent dans cette voie impraticable. Au mépris de la communauté internationale, l'Afrique du Sud consolide sa présence en Namibie, gérée comme sa cinquième province. L'assassinat de Verwoerd en 1966 par un malade mental ne change rien à la ligne des nationalistes: John Vorster la poursuit, le charisme en moins. Ses contacts avec Houphouèt-Boigny et les dirigeants ivoiriens laissent espérer un moment un assouplissement. En 1974 il demande qu'on lui « donne six mois, et le monde sera stupéfait de voir où nous serons ». Le monde est en effet stupéfait six mois plus tard de constater que rien n'a changé en Afrique du Sud. Pire encore, le gouvernement nationaliste sabote la transition chez ses voisins lusophones nouvellement indépendants: il envoie ses troupes en Angola, aux côtés de l'UNITA de Jonas Savimbi, et torpille le développement économique du Mozambique.
Le pouvoir nationaliste bien assis sous-estime la rage qui anime la jeune génération de Noirs l'ANC semble anéantie et l'on ne prête pas attention à la modernisation de la pensée africaniste. Autour du mouvement de la Conscience noire, le leader étudiant Steve Biko veut insuffler la fierté d'être noir. Il se méfie des opposants blancs, trop paternalistes à ses yeux; la libération est un combat de Noirs pour les Noirs. Dans un pays où les Africains sont humiliés, déracinés, dépréciés, cette philosophie conquiert les esprits.
Les afrikaners ultras en sont encore à la revanche de la guerre des Boers. Andries Treurnicht, vice-ministre de l'Éducation bantoue, veut imposer l'afrikaans comme langue d'enseignement chez les non-Blancs. Dans les écoles noires, on enseigne les deux langues officielles, et le reste des cours se fait généralement en anglais. Apprendre l'histoire ou les mathématiques dans la langue de l'ennemi est intolérable aux yeux des lycéens. Ils manifestent le 16 juin 1976 dans les rues de Soweto. La police tire et tue le jeune Hector Peterson, un garçon de treize ans. L'image de l'enfant porté par un étudiant en pleurs fait le tour du monde. Tout le township s'enflamme, élève des barricades, brûle des voitures. Les autorités répondent avec leur brutalité coutumière à Soweto, au Cap et dans les 80 lieux où la violence éclate. En trois mois près de 700 personnes perdent la vie, dont deux Blancs.
Cette fois-ci la communauté internationale réagit avec vigueur. Les condamnations pleuvent et les consignes de boycott des produits sud-africains se multiplient. L'opinion mondiale passe de la critique à la colère. Investisseurs et migrants quittent le pays. Inquiet, le patronat local met en place des fondations pour améliorer le développement des townships.
Le gouvernement croit pouvoir jouer comme à Sharpeville; il pratique une répression à outrance. Steve Biko est battu à mort dans un commissariat de police; ce martyr laisse froid Jimmy Kruger, le ministre de la Justice. Toute une génération de jeunes Noirs quitte le pays, mais les autorités continuent la mise en oeuvre du grand apartheid : en 1976 le Transkei est reconnu indépendant par la seule Afrique du Sud, suivi un an plus tard par le Bophutatswana, puis par le Venda en 1979 et le Ciskei en 1981. Pretoria subventionne largement ces États fantoches. Leurs dirigeants corrompus font construire des bâtiments administratifs luxueux dans des capitales de pacotille. En dépit des pressions, le Kwazulu, dirigé par Mangosuthu Buthelezi, refuse l'indépendance. Jadis membre de l'ANC, oncle du jeune roi des Zoulous, le chef Buthelezi n'est pas mal vu du gouvernement car il clame son hostilité à l'égard des sanctions qui frappent l'Afrique du Sud et à toutes les formes de socialisme. Du fond de son bunker à Ulundi, il ranime un « mouvement culturel » nommé Inkatha, allusion au cercle de paille tressée dont se coiffent les femmes pour porter de lourdes charges sur la tête. Le symbole est clair: la tradition permet de supporter l'apartheid. Le mouvement se transformera en 1990 en parti politique. Buthelezi veut faire du Kwazulu Natal un champ d'expérimentation de la déségrégation. Pretoria torpille ce projet et le chef ruminera longtemps son amertume.
Comme Vorster sombre dans un scandale de fonds secrets destinés à la propagande en faveur de l'apartheid, les nationalistes réformistes misent sur son successeur Pieter Willem Botha pour donner une meilleure image du pays. Dès 1979 il supprime à la demande des milieux d'affaires le Job Reservation Act, qui obligeait un employeur à embaucher un Blanc en priorité quelle que soit la qualification des autres candidats. Mais P.W. Botha, militant du Nasionale Party depuis l'âge de seize ans, longtemps ministre de la Défense, s'appuie presque exclusivement sur l'armée. Le complexe militaro-industriel joue un rôle croissant dans les affaires du pays par le biais d'un Conseil de Sécurité. Les espoirs placés en Botha s'amenuisent quand il propose en 1983 une réforme constitutionnelle tronquée: Métis et Indiens obtiennent chacun leur chambre au Parlement ainsi qu'une autonomie sur l'éducation. Aucune solution pour les Noirs n'est avancée. A partir de ce moment s'installe dans les townships et les campagnes une violence endémique qui fait des victimes par milliers et semble ne pas pouvoir connaître de fin.
Une fraction importante du Nasionale Party trouve tout de même Botha trop conciliant et son électorat trop anglophone. Andries Treurnicht entraîne les dissidents afrikaners dans un Parti conservateur qui s'impose bientôt comme l'opposition principale au Parlement. Des Afrikaners modérés jugent en revanche cette tribune inapte à produire de réels changements. Le leader libéral Frederik Van Zyl Slabbert quitte l'assemblée pour former un organe de réflexion sur une Afrique du Sud démocratique. Représentant moins de 30 % de leur électorat, les élus métis et indiens brillent par leur querelles stériles et leur corruption.
L'opposition majeure se trouve en effet hors du Parlement. Alors que les interdictions se multiplient, les formations anti-apartheid trouvent la parade en réunissant un United Democratic Front (UDF), regroupant plusieurs centaines d'associations, certaines liées à l'ANC, des Eglises, des chaînes d'entraide ou des clubs sportifs. Les guérilleros d'Umkhonto reprennent quelques actions spectaculaires. P.W. Botha joue du bâton bien plus que de la carotte en appelant à « l'assaut total » contre les forces communistes: la répression s'abat sur les exilés dans les pays voisins; à Maputo, Ruth First meurt dans un attentat au colis piégé, Dulcie September est assassinée à Paris. Les pressions s'accentuent sur le régime sud-africain. Seuls Israel pour les fournitures militaires et Taïwan pour les investissements osent afficher leur appui. En 1985 l'Afrique du Sud se retrouve bien isolée.
Les fondements religieux de l'apartheid
Dans leur stratégie de reconquête du pouvoir, les nationalistes afrikaners ne disposent pas seulement de formations politiques, d'une confrérie secrète, de compagnies d'assurances drainant l'épargne et d'associations culturelles exaltant l'afrikaans; ils ont aussi l'appui des trois Églises néerlandaises réformées. Ce sont les plus hautes autorités morales de la société afrikaner. Le poids prépondérant des laïcs dans le conseil des Anciens, qui dirige chaque paroisse, facilite l'interaction entre vie religieuse et monde politique ; Verwoerd, par exemple, commence sa carrière comme pasteur assistant. De ce fait l'influence du nazisme prend dans les années 1930 une coloration chrétienne spécifique à l'Afrique du Sud, au point que cette idéologie est baptisée « national-christianisme ». Son thuriféraire est un modérateur de l'église NGK, Koot Vorster, frère de John Yorster, Premier ministre de 1966 à 1978.
Quand il s' agit de justifier la ségrégation raciale, les pasteurs se fondent sur une lecture spécieuse de la Bible : Noé condamne un de ses fils, qui lui a manqué de respect, à servir ses deux frères. Or une tradition veut que les trois fils de Noé soient à l'origine des grands groupes raciaux. Par ce raccourci, les pères de l'apartheid veulent démontrer que les Noirs sont inférieurs aux Européens et aux Asiatiques. il est par ailleurs significatif que le texte interdisant les relations sexuelles interraciales soit qualifié de loi sur l'immoralité.
La NGK soutient pleinement la mise en place de l'apartheid. Une première fissure intervient en 1964 quand le pasteur Beyers Naudé, promis pourtant au poste de modérateur, conteste toute interprétation religieuse de la discrimination. il est expulsé de l'Église et bientôt assigné à résidence. Sa libération en 1984 coïncide avec le revirement dogmatique de la NGK. Peu de temps après, cette Église demande pardon pour avoir soutenu l'apartheid.
Apartheid : une autre approche
Les analyses traditionnelles et courantes décrivent l'évolution historique et la situation actuelle de l'Afrique du Sud en termes d'opposition entre les Anglais et les Boers et, surtout, de relations raciales. Cette approçhe est tributaire tout à la fois de l'idéologie officielle de l'Etat sud-africain, qui s'exprime de façon privilégiée en termes raciaux, et des positions des organisations de lutte contre l'apartheid, qui trouvent dans la propagande antiraciste les thèmes les plus mobilisateurs de l'opinion. Ces points de vue présentent l'inconvénient de simplifier outre mesure une réalité sociale extrêmement complexe. Si l'on s'accorde aujourd'hui à admettre la vieille formule de la militante libérale Margaret Ballinger: « la politique de l'Union, ce n'est rien d'autre que les affaires indigènes », on tend aussi à faire intervenir davantage et plus rigoureusement les facteurs économiques dans l'explication du phénomène sud-africain. Grâce à ses richesses minières - le diamant découvert en 1867 et l'or en 1881 - l'Afrique du Sud a été le premier pays d'Afrique à entrer dans l'ère industrielle et le seul où le capitalisme se soit développé à une grande échelle.
Bien avant la victoire des nationalistes en 1948, la ségrégation a été l'aspect principal de la politique menée par les différentes équipes qui se sont succédé au pouvoir. Au sein de la bourgeoisie européenne, la division majeure opposait les défenseurs du capital étranger et ceux du capital national; le capitalisme étranger, anglais en l'occurrence, qui contrôlait le secteur minier, avait déjà une structure monopoliste et était représenté par les firmes de Beers Consolidated (diamant) et Consolidated Gold Fields of South Africa (or); le capitalisme national, limité d'abord à l'agriculture, a pris en charge l'industrie de transformation àpartir de la Première Guerre mondiale: il se voulait le dépositaire des traditions afrikaner. L'industrie minière, qui jouait le rôle moteur dans l'économie, avait une structure de la main-d'oeuvre très particulière: les travailleurs qualifiés étaient généralement des immigrés récents formés en Europe; les emplois semi-qualifiés revenaient soit aux petits Blancs nés dans le pays et ruinés par les progrès du capitalisme agricole, soit aux métis et aux Indiens; les Africains étaient chargés des tâches les plus dures ne requérant aucune qualification. Pour réaliser des profits satisfaisants, les industriels n'avaient qu'un recours: les deux premières catégories de travailleurs étant relativement bien payées et activement défendues par des syndicats puissants, il ne restait qu'à comprimer au maximum les salaires versés aux Africains. Après 1910 et surtout après 1920, l'afflux de petits Blancs sur le marché du travail créa une situation favorable au patronat qui projeta de confier aux Africains les travaux effectués auparavant par les ouvriers blancs. Les calculs du patronat et les craintes des ouvriers blancs expliquent les deux caractères majeurs que prit la ségrégation avant 1948. En premier lieu, ce sont les ouvriers blancs qui ont imposé le colour bar (barrière de couleur), grâce à leurs syndicats, au soutien du Parti travailliste et à de puissants mouvements de grève, notamment en 1911-1914 et en 1924, dans le Rand et au Natal : après les premières mesures discriminatoires votées sous les gouvernements de Botha et de Smuts (1910-1924), le ministre travailliste Madeley fit adopter en 1924 et 1926 des lois qui instituaient le régime du travail civilisé » et excluaient les non-Blancs des emplois qualifiés.
En second lieu, la politique des très bas salaires versés aux Africains a été rendue possible grâce au monopole du recrutement, étroitement contrôlé par la Chambre des mines, et surtout grâce à la constitution de réserves qui prenaient en charge une partie essentielle de la subsistance et des besoins sociaux des travailleurs des mines: le Native Land Act de 1913 fixa à 7,3 % du territoire l'étendue des réserves africaines, et cette limite fut portée à 13,7 % par le Native Trust and Land Ad de 1936. Les incapacités civiques et politiques, dont les Africains étaient les victimes, dès cette époque, venaient compléter l'arsenal juridique nécessaire àleur surexploitation.
La victoire en 1948 du Parti nationaliste du docteur Malan s'est accompagnée de changements essentiels en Afrique du Sud. Politiquement, c'est l'exercice exclusif du pouvoir par les nationalistes: le Parti uni, qui a dirigé les affaires avant la guerre, est relégué dans une opposition parlementaire inefficace tandis que les autres formations ont progressivement perdu leur audience dans l'électorat. La victoire des nationalistes fut aussi celle de l'apartheid, doctrine raciste, devenue l'idéologie officielle et agissante de l'Etat. Les changements socio-économiques intervenus depuis la guerre sont spectaculaires. Les industries de transformation, auxquelles se sont intéressés les capitaux du monde occidental, contribuent désormais au produit national plus que les secteurs minier et agricole. Elles ont eu pour effet de fixer dans les villes un nombre croissant d'Africains: le pourcentage des citadins dans la population africaine est passé de 12% en 1910 à 25%en 1948 et à 40%en 1974; les villes voient aussi grossir de façon significative les rangs de la petite bourgeoisie noire, métisse et indienne. Dans les campagnes, la pression démographique et l'archaïsme des techniques agricoles ont bouleversé les fragiles équilibres antérieurs: d'une part la stagnation de la production rend les réserves incapables de couvrir les besoins des ouvriers des villes, ruinant ainsi la base du travail bon marché; d'autre part les déséquilibres sociaux s'aggravent: dès 1956, 13 % des familles contrôlaient plus de 46 % du revenu des réserves alors qu'un tiers des familles n'a pas de terres. Ces changements provoquent depuis 1945 des conflits et des tensions qui remettent en cause la structure même de la société. L'apartheid, avec son caractère totalitaire, se veut précisément une réponse à cette situation de crise.
On connaît le nombre impressionnant et le raffinement des lois votées dans le cadre de l'apartheid, ainsi que les moyens formidables et la détermination mis à les faire respecter. Le petty apartheid (apartheid mesquin), qui règle la vie sociale et les relations courantes entre gens de races différentes, n'est qu'un aspect mineur de ces pratiques. L'essentiel est de nature politique et économique: l'exclusion des gens de couleur de la vie politique légale et l'interdiction de toute forme d'opposition organisée; le contrôle très étroit des déplacements et de la mobilité professionnelle des Africains; l'interdiction des syndicats et des luttes professionnelles. La politique des bantoustans, ou foyers nationaux bantou, représente le terme ultime de l'apartheid. Elaborée entre 1951 et 1971, elle prévoit l'accession à l'autonomie, puis à l'indépendance, de quelques foyers bantou. Au terme de la loi de 1971, le gouvernement créa neuf bantoustans représentant environ 155 000 km2 et 18 000 000 d'habitants:
économiquement non viables et politiquement contrôlés par les autorités de Pretoria, ils devaient réaliser les objectifs de celles-ci. Le premier était d'atténuer les tensions sociales en confiant des parcelles de responsabilités à l'élite africaine et en enlevant aux ouvriers des villes toute possibilité de s'intégrer dans le système politique sud-africain puisque les ressortissants du bantoustan devaient automatiquement acquérir la citoyenneté de ce bantoustan et devenir des étrangers en Afrique du Sud. Le gouvernement espérait aussi que la définition des nations bantou », établie sur des bases linguistiques et ethniques, contribuerait à diviser les Africains et à entraver le développement de la lutte nationaliste. Enfin, la politique de décentralisation industrielle pratiquée à partir des années soixante comportait l'établissement d'usines aux frontières des bantoustans à des conditions particulières: les Africains pouvaient y accéder à des emplois qualifiés et leurs salaires, calculés en fonction du niveau de vie dans les réserves, étaient encore plus bas que ceux des Africains des centres urbains.
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