Dans ce qui pourrait créer un précédent historique, Londres ouvre la voie à une indemnisation de victimes de l'Empire britannique. Après plusieurs années de batailles juridiques avec les survivants de la lutte pour l'indépendance du Kenya, le gouvernement de David Cameron a entamé des négociations confidentielles avec des victimes de tortures dans les années 1950.
Une dizaine de milliers de personnes pourraient en bénéficier. Ce premier pas pourrait ouvrir la voie à de multiples recours d'anciennes colonies à travers le monde. Le Foreign Office a entériné cette rupture dans son approche, après avoir opposé une fin de non-recevoir aux plaignants pendant des années. Il se dit prêt à «tirer les leçons de notre histoire». L'avocat anglais des victimes, Leigh Day, confirme les pourparlers révélés par le Guardian et dit «rechercher la meilleure résolution pour nos clients».
De 1952 à 1960, entre 80.000 et 300.000 personnes participant à la révolte indépendantiste des Mau Mau ont été détenus dans des camps britanniques au Kenya, décrits en 2005 par l'historienne Caroline Elkins comme «le goulag britannique». Parmi eux figurait Hussein Onyango Obama, grand-père du président américain. Nombre de prisonniers ont péri sous la torture.
«Si nous péchons, nous devons pécher discrètement»
«Rôtis vivants», selon le témoignage d'un responsable de l'époque, castrés, des aiguilles insérés sous les ongles… les méthodes «rappellent douloureusement celles de l'Allemagne nazie et de la Russie communiste», notait alors le procureur général du Kenya, Eric Griffith-Jones. Ce qui ne l'empêcha pas de les cautionner, à condition qu'elles restent secrètes: «Si nous péchons, nous devons pécher discrètement», écrivait-il.
C'est la découverte récente de ces archives par des historiens qui a permis la constitution des plaintes de survivants. Elles viennent brutalement contredire un mythe selon lequel la décolonisation britannique s'est déroulée sans verser de sang, à l'inverse par exemple de l'histoire de la France en Algérie. Plus de 8.000 documents secrets liés à 37 ex-colonies ont ainsi pu être déclassifiés.
Assigné par les Mau Mau, le gouvernement britannique plaide d'abord non coupable, estimant qu'au nom de la continuité de l'État, c'est le Kenya qui devrait être poursuivi, puisque les faits étaient prescrits. Il a été désavoué par la Haute Cour de justice britannique en octobre dernier. Après avoir fait appel de cette décision, il a soudain changé de position et informé les plaignants de sa volonté d'entamer des négociations.
Les diplomates de Sa Majesté craignent pourtant qu'un accord n'ouvre une boîte de Pandore à des victimes potentielles d'autres anciennes colonies, mais aussi d'événements intervenus lors des guerres récentes en Irak ou en Afghanistan. «Des accusations similaires d'atrocités ont été faites au sujet des guerres britanniques à Chypre, en Malaisie et au Yémen», souligne Daniel Branch, historien à la Warwick University.
LE FIGARO