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RDC face aux nouvelles Provinces:Autopsy d'un sous-continent par Michel Mara Basaula

RDC face aux nouvelles Provinces

Les Rd. Congolais réalisent-ils que le changement dans leur pays nécessite aussi des réflexions franches pour mieux faire que vaquer à la haine communautaire que nous palpons actuellement en Occident?. La diaspora Rd. Congolaise qui se trouve en occident devrait plutôt manifester la démocratie dans leurs comportements pour réfléchir sainement face aux différents enjeux faisant face à leur patrie que de passer à côté de l'histoire!

 

Michel Mara Basaula Divididi, l'un de ces membres de la diaspora qui nous dépeint la situation géographique touchant le découpage territorial et la nouvelle constitution de 2006 qui ne peut correspondre à l'actuelle situation. D'où la nécessité d'une nouvelle constitution pouvant permettre non seulement à la nation de respirer, mais aussi au peuple Rd. Congolais dispersé de par le monde entier!

 

Bien que long, faites des efforts pour le finir! Car, ça vaut vraiment la peine de le lire...

 

@ammafrica

Autopsie d'un « sous-continent » : les 26 provinces de la RD Congo:

construction territoriale et ethnicités...

Photo de Michel Mara Basaula Divididi.Photo de Michel Mara Basaula Divididi.Photo de Michel Mara Basaula Divididi.Photo de Michel Mara Basaula Divididi.

Le propos de cet article est de questionner la récente régionalisation, de type quasi fédéral, que s’est donnée la RDC, et son aptitude ou non à conjurer les forces centrifuges minant ce très vaste pays. Il apparaît que le processus de construction/déconstruction des territoires est ici récurrent depuis un siècle. Que les 26 nouvelles provinces, dont la trame, en fait, est ancienne, tirent leur configuration spatiale et humaine d’une logique clairement identitaire. Que tout à la fois le principe du découpage, son résultat sur le terrain, et son mode de fonctionnement politique, suscitent d’âpres critiques. Et surtout que si la conscience nationale est bien réelle, très forte est la prégnance des ethnicités : c’est donc ces dernières qu’il faudrait apprivoiser, pour reconstruire solidement l’unité du Congo. 

Pour qui aborde le thème de l’État en Afrique, le cas de la République Démocratique du Congo ne peut guère être éludé, du fait de l’importance du pays, des déchirements qu’il a connus, de la reconstruction politique qu’il entreprend. Car en 2006, après neuf ans de guerre civile, d’invasions étrangères, d’exodes, de massacres, de pillages, le Président Joseph Kabila (successeur de son père, assassiné en janvier 2001) a promulgué la Constitution de la « Troisième République ». Ce texte instaure un « État unitaire fortement décentralisé », avec 26 provinces autonomes ; et un système démocratique, avec un président et des représentants librement élus aux niveaux national, provincial et local, ce qui ne s’était plus vu ici depuis quarante ans. 

Vu de plus près, ce document, issu des longues tractations menées dans le cadre de la « transition » et de la « réconciliation nationale », semble un compromis entre les exigences contradictoires des forces en présence : chefs de guerre rivaux reconvertis en hauts responsables du pays ; foule des partis politiques d’idéologie aussi floue que leur base est clairement ethnorégionale ; Églises chrétiennes ; société civile enfin, surtout citadine et qu’appuient les fortes diasporas d’Europe et d’Amérique du Nord. Une impression de « déjà vu » s’impose au niveau des symboles de l’État, qu’il s’agisse du nom et de l’hymne, hérités de la « Première République » , ou des armoiries, de la devise et même du drapeau, empruntés à la « Seconde République ». L’organisation du pouvoir est presque la copie conforme de celle de 1960 : le choix n’est clair ni entre régime présidentiel et régime d’Assemblée, ni entre État centralisé et fédéralisme, double ambiguïté qui fit déjà imploser le pays en quelques mois, après l’indépendance. 

Notre propos est d’interroger le réagencement territorial annoncé, qui tente de faire la part du feu en proposant une réponse juridique à la crise de l’unité nationale (Melmoth, 2007). Les implications géopolitiques sont aussi externes : la RDC, avec ses 2 345 000 km2, et au moins 64 millions d’habitants aujourd’hui, constitue par sa taille, son potentiel naturel et humain, sa situation, un élément stratégique majeur. Mais ces atouts suscitent bien des convoitises : naguère enjeu important de l’affrontement Est-Ouest, dépecé hier par ses voisins et leurs séides locaux, revenu à une paix bien précaire, le Congo a pu être décrit par certains comme un espace bien trop vaste et divers, ingouvernable, « nécessairement » voué à quelque forme d’éclatement institutionnel. Et de fait, tout au long des conflits récents, c’est une situation d’autonomie (et d’autofinancement) de facto qui s’était installée dans les zones tenues par les diverses milices (dans l’Ituri et au Kivu notamment). 


La Constitution de 2006 permettra-elle ou non d’encadrer ces tendances centrifuges, et de reconstruire l’unité du pays ? 

 

En tout état de cause, le redécoupage administratif instauré n’a rien d’une première, puisque la scissiparité territoriale fut un processus récurrent tout au long des 125 années d’existence politique du Congo. Pour éclairer la situation présente, on a choisi de questionner ce passé, avant de proposer comme un des éléments du débat, une grille d’analyse fondée sur l’architecture ethnorégionale du pays.

 

Le Congo et ses territoires : plus d'un siècle de recompositions...

 

Amorcée dans l’espace congolais dès l’aube de l’humanité, l’emprise humaine s’y est renforcée avec l’expansion des peuples bantous, il y a plus de deux mille ans. Bien plus tard, au XVème siècle, l’Afrique centrale s’ordonnait selon une partition de type écologique. Dans la forêt dense de la cuvette, les sociétés rurales bantoues restaient disséminées et segmentaires, en relation de clientèle avec les chasseurs-cueilleurs pygmées. Dans les forêts claires et savanes du pourtour, elles se structuraient en royaumes plus ou moins vastes : au Sud ceux des Kongo, des Yaka, des Luba, ou l’empire Lunda ; à l’Est les royaumes des Grands Lacs, tel le Rwanda ; au Nord, les royaumes des Zande et des Mangbetu... 

 

Le tableau change au XIXème siècle, lorsque se resserre l’étau des ingérences venues d’outre-mer : le futur Congo se trouve partagé de facto entre deux « mouvances, luso-africaine » à l’Ouest, orientée vers les Amériques, « arabo-swahilie » à l’Est, tournée vers le Proche-Orient. L’ébranlement des vieux royaumes laisse alors le champ libre à des pouvoirs inédits, fondés sur la traite des esclaves : Ngongo-Lutete au Kasaï, Tippo-Tip au Maniema, Msiri au Katanga. C’est cet espace en réorganisation qui va être, pour la première fois, unifié politiquement dans le cadre de l’ « État indépendant du Congo », en fait la propriété personnelle du roi des Belges Léopold II. Après la période léopoldienne, relativement courte (1885-1908) mais barbare, celle de la colonisation belge effective (1908-1960) sera décisive pour la mise en place d’un schéma fonctionnel encore lisible de nos jours. Le modèle reste périphérique et extraverti, opposant à la « cuvette centrale » déprimée une sorte d’ « anneau utile » où se déploie pleinement la « mise en valeur » coloniale. Mais l’intégration de l’espace congolais, assurée par la création progressive d’un puissant réseau circulatoire, le sera aussi par un maillage territorial de plus en plus serré, coercitif et efficace (Bruneau, 1991). 

 

Au début, l’Etat léopoldien répartit son domaine en « districts » assez flous (11 en 1888, 15 en 1895). Ensuite, avec l’instauration du système colonial véritable, l’encadrement de l’espace et des hommes se renforce peu à peu, notamment afin de geler l’ancienne mobilité des groupes ethniques en les « territorialisant ». Dès 1914, le Congo Belge est restructuré en 4 grandes provinces, le Congo-Kasaï, l’Equateur, la Province Orientale et le Katanga. S’y articulent les 22 districts existants, divisés en territoires, eux-mêmes subdivisés en secteurs. Ces derniers englobent la multitude des chefferies, agglutinées pour les plus petites, retaillées quand elles semblent trop vastes, voire (assez souvent) assimilées telles quelles à des secteurs, mais toutes solidement amarrées à la nouvelle grille administrative. 

 

En 1933, au prétexte de la crise mondiale, l’autonomie de gestion jusqu’alors assez large des provinces est sévèrement rognée, leur nombre passe à 6, et elles prennent le nom de leur chef-lieu : provinces de Léopoldville et Lusambo (par scission du Congo-Kasaï), de Coquilhatville (l’ex-Equateur), de Stanleyville et Costermansville (par scission de la Province Orientale), d’Elisabethville (l’ex-Katanga). En 1947, on les rebaptise encore, provinces de Léopoldville, du Kasaï, de l’Equateur, Orientale, du Kivu et du Katanga et le nombre des districts est porté à 25 : la trame ainsi formée peut être vue comme « définitive », car les réaménagements ultérieurs respecteront le maillage fondamental des districts (complété par de rares districts urbains), des territoires, et des secteurs ou chefferies (Saint Moulin, 1992). 

 

A l’échelle régionale, le morcellement va reprendre après l’indépendance. Au tout début certes, sous l’imperium contradictoire du Président Joseph Kasa-Vubu, fédéraliste, et du Premier ministre Patrice-Emery Lumumba, unitariste, sont maintenues les 6 provinces héritées des Belges mais redevenues cette fois politiquement autonomes. Mais dès 1962, le chaos de la guerre civile débouche sur leur remplacement de facto par 21 entités bien plus petites, et vite affublées du surnom de « provincettes » : autonomes toujours, elles ont surtout une connotation ouvertement ethnique, ce qu’illustre leur architecture d’ensemble plus ou moins inspirée des anciens districts, mais intégrant aussi pour y faire pièce, les deux zones en sécession du Sud-Kasaï (d’Albert Kalonji) et du Sud-Katanga (de Moïse Tshombe) (C.R.I.S.P., 1963). Bien que consacrées par la Constitution dite de Luluabourg (1964), elles n’auront guère eu, au demeurant, le loisir d’exister...

 

A partir de 1965 en effet, le régime nouveau de Joseph-Désiré Mobutu cherche à raffermir l’unité du pays. Dans cette optique, il revient à l’organigramme colonial, tout en changeant l’intitulé des divers échelons, on parlera de « régions », de « sous-régions » ou « villes », et de « zones » et surtout en les vidant de toute réalité politique. Bientôt, en vertu de son idéologie de « retour à l’authenticité », Mobutu rebaptise non seulement le Congo lui-même, qui devient le Zaïre, mais aussi plusieurs provinces. Si l’Equateur et le Kivu gardent leur nom, le Katanga et la Province Orientale deviennent le Shaba et le Haut-Zaïre ; la province de Léopoldville fait place aux régions de Kinshasa, du Bas-Zaïre et du Bandundu ; celle du Kasaï donne naissance au Kasaï-Occidental et au Kasaï-Oriental. On le voit, la logique de l’émiettement territorial n’est que partiellement enrayée, face aux aspirations identitaires. Elle se renforce encore en 1988 avec la création de plusieurs sous-régions (ou villes), et surtout des régions du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Maniema, pour remplacer le Kivu mais aussi à titre expérimental, dans l’optique d’un futur redécoupage de l’ensemble du pays. 

 

C’est que l’ethnicisme, en dépit du dogme officiel, n’est nullement aboli. Il reprend vigueur au contraire et se revendique même, d’autant que se délitent inexorablement l’économie et les niveaux de vie, les liaisons internes vitales du pays, et une administration territoriale dissoute dans le parti-État et réduite de ce fait à une hiérarchie de compétences en trompe-l’œil (Bruneau, 1990). En ce temps de crépuscule du mobutisme, les forces centrifuges semblent devoir l’emporter sur les facteurs d’intégration et à cet égard la Conférence nationale souveraine (CNS) de 1990-1992 n’arrange rien. Une partition nouvelle se dessine, qui décalque en réalité les grandes aires socioculturelles du passé pré-colonial. Une « mouvance occidentale », globalement « lingalaphone » et « kikongophone » reste orientée vers Kinshasa et l’Atlantique ; une « mouvance orientale », axée sur les hautes terres, « swahiliphone », et presque sans lien avec la capitale, est tournée vers l’océan Indien ; et une « mouvance méridionale », l’espace katangais, swahiliphone encore, est tournée vers l’Afrique australe. Fait exception l’espace kasaïen du centre-sud, « tshilubaphone », qui affirme son dynamisme et son identité propre. Mais ce schéma ne concerne guère que l’anneau utile, la cuvette centrale faisant figure d’immense isolat. 

 

A cette situation, le régime installé en 1997 par le coup de force de Laurent-Désiré Kabila n’est pas en mesure de changer grand-chose. Consacrant le canevas territorial en place, il se borne à rétablir les anciens intitulés (provinces, districts et territoires), et à restaurer quelques dénominations d’avant Mobutu : le Zaïre redevient le Congo, et l’on voit renaître le Bas-Congo, le Katanga, la Province Orientale. Mais la généralisation des conflits armés confirme très vite la partition déjà émergente, faisant du Congo un géant dépecé par ses voisins, qu’il soient « protecteurs » du régime ou des rébellions : dans l’Ouest les Angolais, dans le Sud les Zimbabwéens, au Kasaï les deux ; dans l’Est (et le Nord) les Ougandais et les Rwandais ; et dans la cuvette forestière, l’incertaine « ligne de front »... 

Pourtant, comme quarante ans plus tôt, la désintégration ne va pas à son terme, sans doute parce que les Congolais n’en veulent pas. La RDC continue donc d’exister vaille que vaille, et seules quelques créations dispersées de districts ou de territoires suggèrent que les tensions ethniques, localement affûtées par la guerre étrangère, et plus généralement manipulées au grand jour dans l’arène politique, poussent non pas à un éclatement véritable du pays, mais au moins à sa recomposition territoriale. C’est finalement ce que consacre, à l’échelle nationale, la nouvelle Constitution, qui fait plus que doubler le nombre des provinces : la réforme devait prendre effet dans « les 36 mois suivant l’installation des institutions politiques », soit au plus tard le 3 février 2010. Toutefois les limites provinciales proposées doivent être entérinées par une loi organique, et il est précisé que de nouvelles entités territoriales sont créées, par démembrement ou regroupement. L’affaire paraît donc loin d’être réglée. En attendant coexistent les 11 grandes provinces, toujours en place, et les 26 petites, en gestation, dans une incertitude porteuse de conflits. 

Provinces, provincettes : le patchwork des identités...

Comme déjà celles de 1962, à qui elles ressemblent beaucoup, les nouvelles provincettes ont repris, pour l’essentiel, la trame des anciens districts. On en plantera ici, sommairement, le décor (recadré dans celui des provinces plus grandes dont elles sont issues), afin de saisir quelle sorte d’équilibre se trouve conforté ou remis en cause, sur le terrain, entre les principaux peuples ou agrégats de peuples du vaste Congo …

La « capitale congolaise Kinshasa » a désormais rang de province. Bâtie surtout en territoire teke, elle a mêlé de longue date en un vrai syncrétisme les divers peuples du pays même si les « originaires » des régions limitrophes (les Kongo surtout, les Yaka, et d’autres) y restent sans doute majoritaires. Cette identité kinoise (appuyée sur l’usage du lingala) fait que la capitale échappe assez largement au schéma ethnocentrique. Mais elle fut aussi le pivot du système mobutiste, d’où ses rapports ambigus avec l’actuel pouvoir d’État, comme avec les gens de l’Est (swahiliphones) censés être ses soutiens, et dont le poids relatif s’est ici accru. 

 

L’ « ex-Bas-Congo », par exception non subdivisé (compte tenu de sa forte identité), devient la province du Kongo-Central. Cet avant-pays vallonné de Kinshasa, assez densément peuplé, forme le corridor vital de la RDC avec le bief inférieur du fleuve, le rail, la route et les ports de Matadi et Boma. Il coïncide aussi avec le territoire ancestral du peuple kongo, le plus nombreux du pays, dont la majorité vit en fait à Kinshasa sans compter ses rameaux présents par-delà les frontières, au Congo-Brazzaville et en Angola. Le nouveau nom, délibérément ethnique, de la province évoque l’antique royaume du Kongo ; Joseph Kasa-Vubu l’avait brandi déjà en 1960 pour revendiquer un État autonome, avant de devenir président de la République. De nos jours encore, la réelle influence des élites kongo au niveau national n’exclut pas un séparatisme récurrent, et durement réprimé à l’occasion... 

L’ « ex-Bandundu », vastes plateaux de l’arrière-pays oriental de Kinshasa, est scindé en trois provinces. Au sud, le « Kwango » n’est que maigrement occupé par les Yaka (héritiers d’un ancien royaume), les Pelende et les Suku. Au centre, le « Kwilu » est bien mieux peuplé : marqueterie de groupes entremêlés, où s’affirment notamment les Pende, les Mbala, les Yanzi et les Mbun. La ville majeure est Kikwit, longtemps pépinière d’intellectuels, qui redevient chef-lieu de province aux dépens de Bandundu (ville) ; du coup celle-ci revendique un rôle similaire dans le Maï-Ndombe limitrophe. Pour multiethniques qu’ils soient, Kwango et Kwilu, unis par l’usage véhiculaire du kikongo, ont une identité bien marquée, presque commune : le temps des guerres civiles, qui ensanglantèrent la région après l’indépendance, paraît oublié. Le « Maï-Ndombe », plus au nord, est bien distinct. Son peuplement, composite et diffus, inclut côté fleuve les Teke, présents au Congo-Brazzaville et même au Gabon ; mais ici leur district des Plateaux, de création récente, semble voué à disparaître... 

 

L’ « ex-Equateur », sillonné par le fleuve Congo et ses affluents, mais entre eux peu accessible, est remplacé par cinq provinces. Celles de la cuvette forestière, au sud, incluent un « Equateur » très réduit (autour de Mbandaka), la « Tshuapa » qui ne s’en distingue guère, et la « Mongala » : peu occupées, elles sont le domaine du grand peuple mongo, « unifié » par l’anthropologie coloniale mais en fait très segmenté ; et plus localement des Gens d’eau, des Ngombe ou des Mbudja. Sur les plateaux du nord en revanche, le « Nord-Ubangi » et le « Sud-Ubangi » sont assez bien peuplés par des groupes non bantous, les Ngbaka, Ngbandi et Mbandza, très proches et de parenté centrafricaine. Au temps du Zaïre, l’Equateur dans son ensemble était perçu comme le fief de Mobutu, originaire du Haut-Ubangi (district d’ailleurs créé par lui, en 1977) ; et le lingala, ici véhiculaire, était pour tout le pays la langue du pouvoir. Vers 2000, avec l’extension des rébellions, les deux Ubangi passèrent dans la mouvance ougandaise, relayée sur place par Jean-Pierre Bemba qui fit de cette région la base territoriale de son ascension, finalement enrayée par les urnes vers le pouvoir présidentiel... 

 

L’ « ex-Province Orientale », qui assemblait dans un isolement devenu abyssal de vastes portions de la cuvette, des plateaux du nord et des hautes terres orientales, donne quatre provinces aux identités contrastées. La « Tshopo » forestière, immense et délaissée autour de sa capitale pluriethnique Kisangani (qui fut le siège en 1961-64 d’un pouvoir insurrectionnel), est faiblement peuplée par des groupes variés : Pêcheurs du fleuve surtout, Binza, Bali, etc. Les pays de l’Uele, en revanche, connurent de forts royaumes assimilateurs (non bantous), qui n’y ont pourtant laissé qu’une occupation en pointillés : le « Bas-Uele » est ainsi le domaine des Zande, le « Haut-Uele » celui des Mangbetu. Très différentes sont les hautes terres de l’ « Ituri », aux fortes densités humaines. Puzzle étonnant d’ethnies, presque toutes non bantoues et d’affinités ougandaises ou soudanaises, comme les Bale et les Alur, les Lugbara, les Ndo, les Bira, et bien d’autres. Il y a dix ans, alors que la quasi-totalité de la Province Orientale était sous contrôle ougandais, c’est dans l’Ituri que les conflits ethniques ont été les plus violents : celui qui opposa Lendu et Hema (les deux composantes du peuple bale) a même pu être comparé, avec outrance sans doute, au drame rwandais... 

 

Le « Kivu ancien » n’existe plus depuis qu’en 1988, déjà, la pression ethniciste le fit démembrer en trois provinces. Isolé à l’ouest, le « Maniema » forestier est peu occupé par les Komo, les Bangubangu, ou les quelques Waswahili musulmans du fleuve. Le vrai Kivu est plus à l’est : très hautes terres densément peuplées, liées par l’histoire aux royaumes « interlacustres » anciens, rwandais, burundais, ouest-ougandais (Chrétien, 2000). De longue date, la région a connu un mouvement migratoire en provenance du Rwanda voisin. Présente ici dès avant la colonisation, qui l’a renforcée par ses recrutements, la minorité de souche « munyarawanda » s’est consolidée sous le mobutisme. Après 1994, l’afflux de réfugiés lié au génocide, puis l’inclusion du Kivu entier dans la mouvance rwandaise, en ont considérablement alourdi la pression. Elle est très sensible au « Nord-Kivu », avec toutefois des nuances : on distingue ici un « grand Nord », autour de Butembo, où les Nande, nombreux et soudés, restent maîtres chez eux ; et un « petit Nord », autour de Goma, où les nouveaux venus ou natifs rwanda (hutu & tutsi) disputent la terre aux Hunde autochtones. Ethniquement plus mêlé, le « Sud-Kivu », autour de Bukavu, juxtapose aux Shi, Havu, Fuliru, Bembe ou Rega autochtones nombre d’immigrés récents ou anciens, tantôt rundi (hutu & tutsi), tantôt rwanda (tutsi) tels les Banyamulenge. Il y a longtemps que la cohabitation entre « fils du sol » et « allogènes » ne va plus de soi au Kivu, où les bonnes terres sont devenues rares. Mais depuis plus d’une décennie c’est la violence qui prévaut, attisée par des ingérences extérieures qui, les conflits de 2008 le montrent bien, ne semblent pas près de prendre fin... 

 

L’ « ex-Katanga », vaste étagement de plateaux où l’occupation humaine est fort ponctuelle, est scindé en quatre provinces. Deux restent très rurales : à l’est, le « Tanganika », terre des Hemba et des Tumbwe ; au centre-nord, le « Haut-Lomami », pays des Luba-Katanga, le peuple majeur de la région, fondateur d’anciens royaumes. Tout au sud, par contraste, le « Haut-Katanga », ce « scandale géologique » qui a enrichi l’Union Minière, puis la Gécamines et le régime zaïrois, est pays de citadins : autour des villes du cuivre, Lubumbashi et Likasi (peuplées de gens issus de toute l’aire Katanga-Kasaï), les « creuseurs » venus de partout se mêlent à des groupes épars de souche bemba et d’affinité zambienne. Plus à l’ouest, le « Lualaba » est, grâce au cuivre de Kolwezi (autre ville pluriethnique), le rival du Haut-Katanga, qui d’ailleurs lui dispute la zone minière de Fungurume ; c’est aussi le cœur du vieil empire Lunda (d’où était issu Moïse Tshombe), l’un des moteurs, il y a un demi-siècle, de la sécession katangaise (Bruneau, 1990). Périodiquement rebelle, hier puni et rançonné par le mobutisme, le Katanga, patrie de Laurent-Désiré Kabila, a les faveurs du régime actuel. Récemment, il a cru retrouver sa prospérité avec l’envolée du « système mining ». Mais son point faible demeure l’extraversion : tout vient ici du cuivre, dont les cours, derechef, s’effondrent avec la crise ; l’influence de l’Afrique australe est plus pesante que jamais ; et (comme au Kivu et en Province Orientale) le fait d’avoir le swahili pour véhiculaire ne peut que le rapprocher de l’Afrique de l’Est. Quant au redécoupage provincial, n’est-il pas disqualifié ici comme ailleurs, du reste par la rupture qu’il implique entre un Sud « utile » et un Nord sous-développé et ravagé par les conflits des années 2000 ?... 

 

Le « Kasaï ancien », plateaux drainés par la rivière Kasaï et ses affluents, était une région stratégique car traversée par un tronçon majeur de la « voie nationale », reliant par rail et voie fluviale le Haut-Katanga à Kinshasa. Or ce grand Kasaï fut, dès 1959-1960, la première province à se briser : divorce entre ses deux peuples majeurs, les Luba-Kasaï différenciés dans la modernité coloniale, et les Lulua, de même langue tshiluba pourtant. Passée la courte sécession du Sud-Kasaï, le partage entériné en 1966 laissa aux Luba la haute main sur le « Kasaï-Oriental » ; ce peuple très actif, expansionniste, très citadin aussi, et réputé contestataire (Etienne Tshisekedi en fait partie), est resté présent dans le pays entier, spécialement au Katanga malgré deux exodes (en 1960-1962 et 1992-1995). Aux Lulua échut le « Kasaï-Occidental ». Mais le grand Kasaï comptait bien d’autres groupes : l’actuelle chirurgie, qui retaille ici cinq provinces, semble satisfaire en partie leurs aspirations. Songye et Kanyoka obtiennent ainsi le « Lomami », avec la ville-gare de Muene-Ditu (porte d’accès à Mbuji-Mayi), laquelle dispute à Kabinda le rôle de capitale de la province ; et le « Sankuru », hier aux mains d’une rébellion pro-rwandaise, revient aux Tetela (héritiers de Patrice Lumbumba). Du coup, le nouveau « Kasaï-Oriental », cas aberrant, est cantonné à un réduit luba-Kasaï minuscule et surpeuplé : la ville de Mbuji-Mayi et ses diamants. En revanche le « Kasaï-Central » (avec Kananga) et le nouveau « Kasaï » (avec les diamants de Tshikapa) restent à dominante lulua : les groupes mineurs, tels les Luntu et les Kete, ou les Kuba (dont survit l’ancien royaume), n’ont ici rien obtenu. Tout cela donne lieu, dans l’est comme dans l’ouest du grand Kasaï, à d’aigres contestations...

 

Logiques et dilemmes de la régionalisation... 

 

Considérons les provincettes dans leur ensemble : leur superficie (Kinshasa et Kasaï-Oriental exclus) ne varie que du simple au double, mais le rapport atteint un à huit pour leur population. Le redécoupage n’a donc pas été influencé par le poids démographique, encore moins par la fonctionnalité des espaces ou leur viabilité économique, fort disparates. En revanche l’architecture des anciens districts résultait déjà d’une logique identitaire, entérinée, consolidée, voire forgée en partie par le pouvoir colonial. Désormais, cette logique se trouve encore renforcée : nous l’avons vu, chacune des nouvelles « provinces » peut se définir avec une tout autre réalité politique que le « district » qu’elle remplace comme le territoire d’un groupe ou de quelques groupes majeurs, autour desquels s’agrègent peu ou prou les autres sur base de liens historiques et culturels diversement affirmés. C’est d’ailleurs bien à ce niveau, plus qu’à celui des anciennes provinces, que s’affirme le glissement (observable dans maints États africains) de l’ethnicisme de base vers un patriotisme ethnorégional. 

 

Certes, en dépit de l’étendue considérable de la RDC, la disparité identitaire y semble loin des fractures qui affectent bien des pays africains. Hors la frange septentrionale, on est ici dans le monde bantou, où sauf en quelques zones de fragmentation, les parlers forment de vastes continuums. Et puis, par-delà les faits linguistiques, les systèmes socioculturels ont de vraies affinités, les nuances tenant plutôt à la structure, bien vivante, des filiations (patri- ou matrilinéaires), et à la forme segmentaire ou étatique des sociétés d’autrefois. Du reste, la modernité, et des mobilités multiples, ont bien resserré ces liens. De nos jours, les gens d’ici sont presque tous chrétiens (d’obédiences diverses), et font un usage croissant du français et plus encore du lingala et du swahili. Le pays réel est ainsi bien différent de celui des années 1960, a fortiori de la « terra nullius » que s’était attribuée Léopold II il y a plus d’un siècle... 

 

Fortes sont les marques imprimées par les modèles urbains, la scolarisation (même médiocre), une connaissance élargie du monde extérieur. Comme partout en Afrique sud-saharienne, les mentalités ont changé très vite, et c’est une civilisation nouvelle qui s‘élabore. D’ailleurs, ne nous y trompons pas : en dépit (ou à cause) de la guerre, les Congolais, et pas seulement ceux des villes, se perçoivent plus que jamais comme les citoyens d’un même pays. 

Ces évidences excluent-elle le risque d’une vraie balkanisation ethnocentrée, qui serait la consécration politique de l’écartèlement de l’espace congolais ? Car celui-ci est bien réel, on l’a dit, du fait d’un maillage circulatoire devenu incohérent, d’une crise des villes qui pousse à l’exurbanisation, du repli des milieux ruraux sur des micro-territoires voués à l’économie de subsistance. Le tout sur fond, dans certaines régions, d’insécurité permanente. Au pari du découpage territorial s’ajoute du reste celui des modalités de fonctionnement. La Constitution stipule que les provinces, et les autres entités décentralisées (il en a 854 : villes, communes, secteurs et chefferies), sont « dotées de la personnalité juridique, et gérées par les organes locaux ». Seuls les territoires (et les cités) sont omis. Dans chaque province, les députés sont élus pour cinq ans en tenant compte de la « représentativité provinciale » (celle des ethnies ?), et eux-même élisent pour cinq ans le gouverneur et le vice-gouverneur. 

 

Le problème est que les compétences de l’État et celle des provinces, énumérées dans de longues listes d’un juridisme plutôt bâclé, se chevauchent plus qu’elles ne se complètent. Et quid des relations futures entre les provinces ? Quant à la règle, naguère impérative, de l’affectation hors de chez eux des agents d’autorité, elle devient forcément caduque. On peut donc craindre sérieusement que s’instaurent aux divers niveaux autant de républiquettes et même de petites monarchies enchevêtrées, dont les prérogatives incertaines et les ambitions concurrentes ne peuvent que multiplier les conflits. Que dire aussi de la distribution à l’infini des charges de ministres, de parlementaires, de conseillers de tous acabits, dans un contexte financier réduit à peu de chose (malgré la rente minière, actuellement bien amoindrie), et sur fond d’omniprésente corruption ? Les contempteurs des provincettes de 1962 avaient d’ailleurs bien décrit ces dangers, et prévu les dommages ultérieurs, qui n’ont pas manqué. Mémoire défaillante des peuples ? Pas vraiment, car nombreuses sont à nouveau les critiques, dans le public éclairé (ou non). Les vieux débats ont repris entre unitaristes et fédéralistes, les premiers fustigeant le niveau d’équipement très inégal des mini-provinces, et l’iniquité de leur futur mode de financement : le budget des provinces proviendra de la rétrocession par l’État de 40% de leurs recettes locales, règle fort discriminante du fait de la disparité des ressources. Certains contestent les modalités du découpage, censé léser tel territoire, telle ville, telle communauté. Et beaucoup redoutent, non sans raison, des épurations ethniques. 

 

Conclusion : Apprivoiser l'ethnicité ?...

 

La prégnance politique du fait identitaire en Afrique sud-saharienne est bien mise en lumière par l’exemple congolais. A l’évidence, l’ethnie est ici fort présente, et coriace. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé la rafale des élections de 2006 : si les présidentielles en donnant la victoire à Joseph Kabila, face à Jean-Pierre Bemba ont scellé une sorte de revanche du grand Est swahiliphone sur un grand Ouest plutôt lingalaphone, les législatives et les sénatoriales (sans parler des provinciales), comme la composition du gouvernement central, ont partout consacré un dosage dit « géopolitique », d’ailleurs bien ancré dans les mœurs. Faut-il pour autant se résigner à voir ces ethnicités emboîtées finir par occulter l’État, dont les gens ont pourtant ici grand besoin, comme de souveraineté, de démocratie citoyenne, de droits de l’homme, de développement ? Pour résoudre l’équation, et le modèle « jacobin » celui de Lumumba, et même plus tard de Mobutu ayant échoué ici comme souvent ailleurs, il peut être opportun d’en rechercher un autre moins contraire au vécu des Congolais, plus « consociatif » en quelque sorte. Comment faire de cette ethnie ambivalente, sans cesse recomposée, trop souvent dévoyée aussi en un « tribalisme » manipulateur, un projet enfin positif ? Le débat est lancé depuis pas mal de temps, suscitant intérêt et réflexion chez divers chercheurs africains, y compris congolais (Tshiyembe, 2001). Un début de réponse réside peut-être dans les modèles d’inspiration « ethno-fédérale » d’ores et déjà mis en place par de vastes États tels le Nigeria ou l’Ethiopie, ou moins ouvertement l’Afrique du Sud, et qui tâchent d’y fonctionner, faute apparemment de solutions plus crédibles. Au Congo même, la Conférence nationale avait proposé en 1992 de faire du pays une république fédérale, dont le principe (sinon la lettre) transparaît dans la Constitution actuelle. L’immense pays désarticulé avait-il un autre choix ? Quoi qu’il en soit, l’essentiel reste à faire : trouver, pour réussir une régionalisation utile, qui construise et non déconstruise, des formules viables, et surtout durables. Elles ne pourront passer que par un profond réaménagement du territoire (Bruneau, 1991 ; Pourtier, 2008), et cette route-là sera longue et difficile... 

 

 

 

Michel Mara BASAULA-DIVIDIDI Ndombasi (MBD)
Analyste politique & Consultant

AMMAFRICA WORLD
 
 


15/08/2015
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