Un petit rappel de Mémoire de l'histoire de la Shoah:Que savait-on de la Shoah?
La Shoah
Aux origines du génocide
L'entreprise d'extermination des juifs d'Europe (1941-1945), est l'aboutissement de l'idéologie raciste et antisémite développée par Hitler, Führer de l'Allemagne. Elle se déroule en pleine guerre mondiale, tandis que l'Allemagne hitlérienne et ses alliés combattent le monde entier. Il va porter à son paroxysme la rupture des Européensavec les valeurs chrétiennes, humanistes et philosophiques qui ont fait la grandeur de leur civilisation.
Le génocide des Juifs (*) européens résulte d'un extraordinaire retournement de situation si l'on veut bien songer qu'en 1914, l'Allemagne et l'Autriche étaient considérées comme les pays européens les plus tolérants envers les juifs et qu'au début de la Première Guerre mondiale, les juifs américains prirent même leur parti contre la Russie tsariste.
Hitler et les juifs
Adolf Hitler est le premier coupable de l'extermination des Juifs. Dès 1920, à son initiative, le petit parti nazi dont il a pris la direction projette d'attribuer aux Juifs le même statut qu'aux étrangers et de favoriser leur émigration.Dans Mein Kampf (« Mon combat »), le livre qu'il écrit en prison en 1924 pour décrire son itinéraire et exposer son projet politique, le futur Führer explique qu'il est devenu un « antisémite fanatique » à Vienne, avant la guerre. Mais c'est en 1919, suite à la défaite des Puissances centrales, que son antisémitisme devient véritablement haineux.Hitler, comme beaucoup d'Allemands, est déstabilisé par le contraste entre une élite juive citadine, parfaitement enracinée dans le pays, et une forte minorité de réfugiés en provenance de Pologne ou de Russie, misérables, incultes, ne parlant que le yiddish. Jalousant les premiers, méprisant les seconds, oublieux du courage et de la loyauté des combattants juifs dans les tranchées, il rejette la responsabilité de la défaite sur la « juiverie internationale ».Selon lui, les Juifs aux commandes de l'économie auraient poussé les responsables politiques à demander l'armistice : il n'est que de voir Walther Rathenau, un Juif, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Weimar ! Ils auraient aussi encouragé les ouvriers à faire la révolution, comme en Russie, afin d'anéantir le peuple allemand. Les Juifs n'étaient-ils pas majoritaires parmi les dirigeants de l'odieuse et éphémère République des Conseils (Räterepublik), à Munich, au printemps 1919 ? En France et dans les pays anglo-saxons, les Juifs auraient usé de leur influence pour entraîner les gouvernements contre l'Allemagne et l'Autriche.Toutefois, s'il s'épanche dans Mein Kampf sur ses sentiments antisémites, Hitler ne dit rien du sort qu'il réserve aux Juifs, une fois qu'il serait au pouvoir. En 1928, il renouvelle le souhait de ne tolérer les Juifs en Allemagne « que comme des étrangers ».Sauf en tordant les mots, on ne peut trouver dans Mein Kampf un projet d'extermination physique des Juifs. Cela se conçoit : Hitler ne conçoit pas de tuer tous les Juifs de la Terre, y compris ceux d'Amérique ou d'Afrique du Sud ! Il se satisfait donc de la perspective de chasser le demi-million de Juifs qui peuple l'Allemagne... Mais il oublie au passage que sa politique de conquête placera en son pouvoir les millions de Juifs polonais et soviétiques, sans possibilité de les chasser comme les précédents.La montée progressive de l'antisémitisme
Quand Hitler prend le pouvoir, peu de gens prêtent attention à ses foucades antisémites et même l'on peut dire que certains juifs allemands ne voient pas d'un mauvais oeil l'arrivée d'un homme à poigne à la tête de l'État !Après la journée de boycott des magasins juifs organisée le 1er avril 1933, les nazis réduisent soudain la pression. Quarante mille juifs, agités de mauvais pressentiments, quittent néanmoins l'Allemagne pour d'autres États européens entre février et juin 1933. Le gouvernement allemand conclut par ailleurs un accord avec l'Agence juive pour encourager l'installation des Juifs allemands dans la Palestine sous mandat britannique, avec leurs avoirs. 60.000 environ saisissent cette opportunité, non sans regret. Une partie des exilés reviendront dans la mère patrie au cours des années suivantes cependant que la grande majorité des Juifs allemands supporteront les brimades et les exactions jusqu'à la dernière extrémité, au nom d'un optimisme mal placé et par amour de leur patrie.C'est que le régime nazi fait bonne figure dans un premier temps, tout en consolidant son emprise sur la société allemande. Le 20 juillet 1933, il conclut un concordat avec le Saint-Siège. Surtout, il signe à la surprise générale un traité d'amitié avec la Pologne le 26 janvier 1934, laissant croire chacun à la perspective d'une décennie de paix. En 1935, brutal changement de ton. Les lois antisémites de Nuremberg, principalement destinées à interdire les unions mixtes entre « Aryens » et Juifs, font monter la pression.Le régime se radicalise
Après les accords de Munich, au grand dépit de Hitler, beaucoup d'Allemands se réjouissent publiquement de ce que la paix a été in extremis sauvegardée. Le Führer, qui est, lui, déterminé à faire la guerre, souhaite reprendre la main.L'occasion se présente avec un pogrom d'une extrême violence qui voit beaucoup d'Allemands basculer du côté du Mal. Ce pogrom, qui se déroule dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 - « NovemberPogrom » -, a été baptisé avec ironie « Nuit de Cristal » par les badauds berlinois par allusion aux nombreuses vitrines cassées.Hitler pense dès lors en finir avec les derniers Juifs du Reich (300.000 en 1940) en les réinstallant à Madagascar ! L'idée ne scandalise pas outre-mesure les contemporains ; Staline n'a-t-il pas créé aux confins de la Mongolie une pseudo-République du Birobidjan pour ses propres Juifs ? Dès novembre 1938, le nouveau ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop sonde son homologue français Georges Bonnet sur la possibilité de racheter la grande île de l'Océan Indien, alors colonie de la France. Jusqu'en 1941, sous l'autorité de Reinhard Heydrich, chef des services de sécurité, et d'Eichmann, responsable du « Bureau central pour l'émigration juive », un groupe de travail va réfléchir au moyen de convoyer les Juifs jusque dans l'océan Indien.Vers l'extermination
Le 30 janvier 1939, tandis que se fait jour l'imminence d'un conflit généralisé, le Führerévoque pour la première fois en public, devant le Reichstag (Parlement allemand), à l'occasion du sixième anniversaire de sa prise de pouvoir, le projet d'exterminer les Juifs et non plus seulement de les chasser, cela dans l'hypothèse où ils menaceraient son projet politique : « Si la juiverie internationale devait réussir, en Europe ou ailleurs, à précipiter les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait, non pas la bolchevisation de l'Europe et la victoire du Judaïsme, mais l'extermination de la race juive ».Aucun auditeur ne prend à la lettre le propos, d'autant que tout semble réussir au Führeravec l'occupation sans coup férir de la Bohême-Moravie, de la Pologne puis de la France.- dépeçage de la Pologne :Le traitement de la Pologne occupée s'avère très vite kafkaïen. Au printemps 1940, la Prusse-Occidentale (autour de Dantzig) ainsi que le Warthegau (autour de Poznan et Lodz) et la Haute-Silésie (autour de Katowice) sont intégrés au « Nouveau Reich » avec l'objectif de les germaniser au plus vite. Quant au reste de la Pologne, autour de Cracovie, Varsovie et Lublin, elle est constituée en un « Gouvernement général », avec vocation de récupérer tous les Polonais et les Juifs restants.Il s'ensuit un désordre imprescriptible avec des échanges croisés d'Allemands, de Polonais et de Juifs, sous la férule des SS. Les premiers se voient attribuer les appartements et magasins enlevés aux Polonais, les autres se voient livrés à eux-mêmes dans le « Gouvernement général » dirigé par Hans Frank, installé tel un seigneur médiéval dans le château de Cracovie.Le 25 mai 1940, sur instruction de Hitler, le chef de la SS Himmler organise dans la Pologne occupée un « triage racial » en restreignant l'enseignement secondaire aux enfants « racialement purs ». Il s'agit de réduire les Polonais tant catholiques que juifs à l'état d'esclaves, avec ce commentaire : « Aussi cruel et tragique que soit chaque cas particulier, une telle méthode est la plus douce et la meilleure si l'on refuse, par conviction profonde, la méthode bolchevique de l'élimination physique d'un peuple comme contraire à la germanité et impossible » (*). Ce propos montre que Himmler a déjà envisagé à cette date l'hypothèse de l'élimination physique d'une race (Juifs ou Polonais) mais qu'un reste de scrupule moral le dissuade de passer à l'acte.Même réflexion chez son acolyte Heydrich à l'été 1940, rapportée par l'historien Édouard Husson : « Les Juifs sont nos ennemis vu notre conception de la race. Nous devons les éliminer. Une extermination biologique serait cependant indigne de l'Allemagne comme nation de haute culture. Après la victoire, nous demanderons par conséquent aux puissances ennemies de faire servir leur flotte à l'envoi des juifs et de leurs effets à Madagascar » (*).- vers la « ghettoïsation » :La tonalité change au printemps 1941, quand sombre le rêve hitlérien d'une alliance avec l'Angleterre et la France contre les Soviétiques et que l'Allemagne, au contraire, se retrouve en guerre contre l'Angleterre de Winston Churchill et l'URSS de Staline. « Plus l'Allemagne remporte des succès militaires, plus le nombre de Juifs s'accroît dans les territoires qu'elle domine », écrit l'historien François Bédarida. Le gouvernement allemand doit renoncer au projet « Madagascar ». Himmler songe à regrouper les Juifs de l'Est dans des « réserves » autour de Lublin, dans le Gouvernement Général (ex-Pologne sous occupation allemande). Cette démarche reçoit un début d'application avec la ghettoïsation, à commencer par la ville de Lodz. Elle est officiellement justifiée par le souci de protéger les Juifs contre le typhus ! De fait, elle vise à accélérer la disparition des Juifs en exposant ceux-ci à la famine et aux exactions de toutes sortes.Mais elle s'avère à son tour rapidement impraticable après Barbarossa (22 juin 1941). « Avec l'invasion de l'URSS, qui risque encore de gonfler ce chiffre, il s'agit de briser le cercle vicieux. La réponse, c'est la politique d'extermination : une politique calculée, planifiée et impitoyablement exécutée », note François Bédarida (*).Premiers massacres de masse
Au printemps 1941, lorsqu'est déclenchée l'opération « Barbarossa » contre l'URSS, quatre Einsatzgruppen (« groupes mobiles d'intervention » de la SS) suivent l'armée allemande en Pologne puis en URSS. Ils entreprennent de « nettoyer » l'arrière pour éviter que des francs-tireurs ne s'en prennent aux soldats. Pour cela, ils fusillent préventivement les commissaires politiques du parti communiste et les juifs en âge de combattre.Le génocide et la guerre
À ce moment-là, dans les plaines russes, la Wehrmacht piétine devant l'arrivée de l'hiver et la résistance des partisans. La défaite se profile à Stalingrad. D'autre part, les États-Unis entrent en guerre contre l'Axe qui réunit l'Allemagne, l'Italie et le Japon.Appréhendant une nouvelle défaite après celle de 1918, le Führer éprouve le besoin d'engager totalement le peuple allemand à ses côtés. Alors prend forme le projet d'extermination totale des juifs d'Europe. Ce sera la « Solution finale de la question juive » (en allemand : Endlösung der Judenfrage).Au vu de quelques correspondances de chefs nazis, il semble, selon différents historiens, que Hitler ait validé avec Himmler le principe d'une extermination systématique des Juifs le 9 novembre 1941, au cours d'une réunion privée.Ses aspects logistiques sont définis lors de la fameuse réunion de Wannsee, le 20 janvier 1942. Eichmann écrit dans son compte-rendu de la conférence : « Désormais, à la place de l'émigration, la nouvelle solution, avec l'aval préalable du Führer, est l'évacuation des Juifs vers l'est (...). Au cours de la solution finale de la question juive en Europe, seront à prendre en compte environ 11 millions de Juifs... ». Prudent, il se garde d'évoquer par écrit une élimination physique des Juifs.Outre son caractère inhumain et dément, ce projet a pour les militaires l'inconvénient d'employer des moyens de transport qui seraient plus utiles sur le front soviétique. Mais l'antisémitisme l'emporte sur le sens pratique chez Hitler et ses acolytes sur l'anticommunisme...Foin d'empirisme ! Ils mettent sur pied une gigantesque organisation de type industriel qui va conduire à la disparition en moins de quatre ans d'un total de six millions d'innocents. Avant tout conçue pour exterminer les juifs d'Europe, elle va aussi être dirigée contre les Tziganes, du moins ceux qui sont restés fidèles au nomadisme (plusieurs dizaines de milliers de victimes), et même contre les homosexuels, tombés en défaveur au milieu des années 1930 dans les milieux nazis.C'est ainsi qu'à l'est de Minsk (Biélorussie), les Einsatzgruppen poursuivent sans faillir les fusillades à ciel ouvert jusqu'en 1944. Du côté occidental, à l'ouest de Cracovie (Pologne), les nazis prennent davantage de précautions pour ne pas heurter de plein fouet l'opinion publique : ils mettent en place une puissante organisation logistique au centre de laquelle figurent des camps de travail forcé et des camps d'extermination avec chambres à gaz et fours crématoires dont Auschwitz est le cruel symbole. Dans la zone intermédiaire, entre Minsk et Cracovie, les bourreaux s'adaptent au contexte...– d'une part l'antisémitisme d'essence nationaliste et socialiste qui fait du Juif le symbole du capitaliste cosmopolite et apatride,
– d'autre part le darwinisme social, une perversion de la théorie de la sélection naturelle de Charles Darwin.L'antisémitisme se répand à la fin du XIXe siècle en Europe. Les milieux nationalistes, socialistes et laïcs qui dénoncent le pouvoir de l'argent, exaltent les vertus des classes laborieuses et pratiquent le culte de la Nation, opposant cette dernière au cosmopolitisme judaïque et bourgeois, à l'universalisme chrétien ainsi qu'à la royauté, qui transcende les identités nationales. La banque Rothschild, présente à Londres, Paris, Vienne et Francfort, devient pour les nationalistes comme pour les socialistes le symbole vivant du juif cosmopolite qui suce le sang des peuples.Dans le même temps, sous l'influence du darwinisme social, il paraît légitime aux Européens « de progrès » que les êtres les plus faibles disparaissent et laissent la place aux êtres les mieux armés pour survivre, au nom de la sélection naturelle. Cette démarche scientiste s'avère en totale rupture avec l'éthique chrétienne qui avait jusque-là dominé en Europe.En 1922, le gouvernement social-démocrate de Suède permet à l'administration de stériliser d'office les personnes simples d'esprit ou handicapées sans que cela choque le moins du monde l'opinion éclairée d'Europe. Une décennie plus tard, Hitler, en Allemagne, édicte à son tour des lois similaires contre les handicapés. Il suffit ensuite au Führer d'étendre les lois d'exclusion aux Juifs, considérés d'une certaine manière comme des handicapés de la nationalité. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les nazis ne se contentent plus de stériliser les handicapés mais entreprennent de les exterminer. Aussitôt après vient naturellement le tour des Juifs.
1941-1945
Que savait-on de la « Shoah » ?
La Shoah, entreprise d'extermination systématique des Juifs d'Europe, a été menée par les nazis dans le plus grand secret de 1941 à 1945. Malgré cela, elle n'a pas échappé dès son commencement à la vigilance de quelques observateurs de bonne volonté ainsi qu'aux représentants de la Croix-Rouge.
Informé par ses services de renseignements que les Allemands massacrent d'innombrables civils dans les zones soviétiques soumises à leur joug, Winston Churchill, Premier ministre du Royaume-Uni, lance un avertissement aux nazis dans son discours à la Nation du 24 août 1941 : « Depuis les invasions mongoles au XIIe siècle, on n'a jamais assisté en Europe à des pratiques d'assassinat méthodique et sans pitié à une pareille échelle. Nous sommes en présence d'un crime sans nom (...). Quand sonnera l'heure de la libération de l'Europe, l'heure sonnera aussi du châtiment ».
À ce moment-là, il est encore difficile pour les Britanniques de faire la différence entre le crime de guerre et le crime de « génocide » (le mot n'existe pas encore). En effet, les victimes, massacrées à la mitrailleuse dans des fosses communes, sont désignées par les Allemands comme des saboteurs juifs, des bolcheviks ou des partisans. Mais, après le discours du 24 août 1941, les renseignements adressés au gouvernement britannique laissent de moins en moins de doutes sur la volonté nazie d'exterminer la population juive.
Un an plus tard, dans son numéro du 25 juin1942 et les suivants, le Daily Telegraph de Londres publie une série d'articles incendiaires. Le premier révèle : « Plus de 700.000 Juifs polonais ont été exterminés par les Allemands dans le plus grand massacre de tous les temps ». Ces informations sont reprises par le New York Times et suscitent des manifestations de protestation à New York. Elles proviennent d'une dépêche reçue par Samuel Zygelbojm, membre du Conseil national polonais de Londres. Meurtri par l'indifférence de l'opinion publique, celui-ci se suicide le 12 mai 1943 (« Puisse ma mort être un cri contre l'indifférence avec laquelle le monde regarde la destruction du monde juif et ne fait rien pour l'arrêter »).
Anne Frank (13 ans), juive d'origine allemande, est cachée dans un appartement secret à Amsterdam, avec sa famille. Elle écrit dans son célèbre Journal à la date du vendredi 9 octobre 1942 : « Nous n'ignorons pas que ces pauvres gens [les juifs capturés par les nazis] seront massacrés. La radio anglaise parle de chambre à gaz. Peut-être est-ce encore le meilleur moyen de mourir rapidement. J'en suis malade... » Le vendredi 31 mars 1944, elle écrit encore : « La Hongrie est occupée par les Allemands ; il y a encore un million de juifs qui, sans doute, vont y passer, eux aussi. »
Des informations plus ou moins fiables ont donc circulé tout au long de la guerre. À la fin de la guerre, les rapports se font plus précis et plus nombreux. Avec un minimum d'attention, chacun pouvait en tirer une idée assez précise du drame qui se jouait en Europe centrale. Pourtant, personne ou presque n'en a rien voulu savoir. C'est que l'extermination paraissait proprement incroyable aux contemporains du fait de son caractère inédit et démesuré.
Le philosophe Raymond Aron, qui servit la France Libre à Londres, explique dans ses Mémoires son incrédulité et celle de ses contemporains : « Les chambres à gaz, l'assassinat industriel d'êtres humains, non, je l'avoue, je ne les ai pas imaginés et, parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne les ai pas sus ».
Dans un témoignage récent, un Français confie par ailleurs qu'ayant entendu à la radio, en 1945, que les Alliés avaient libéré d'horribles camps d'extermination, il a d'abord pensé à une banale affaire de propagande de guerre.
Qui est responsable ?
Il est très difficile a posteriori de départager les responsabilités des uns et des autres dans l'absence de réaction au génocide. Il semble d'abord que nul, y compris le pape, Churchill et le président américain Roosevelt, n'ait osé prendre la véritable mesure d'un drame comme l'humanité n'en avait encore jamais connu.
Pour Churchill et Roosevelt, chefs de guerre engagés dans une lutte inexpiable, il était impensable d'autre part de détourner des moyens militaires ou logistiques pour tenter de sauver des civils, avec des résultats qui n'étaient pas le moins du monde garantis. Que pouvaient-ils faire ? Arrêter les trains de la mort ? Ce n'était pas une mince affaire que de bombarder des voies ferrées au coeur de la Pologne occupée par les nazis... De leur point de vue, ce qui importait avant tout dans l'intérêt de l'humanité était d'en finir au plus vite avec le nazisme.
Le président américain était sensible aussi à son opinion publique et il connaissait sa versatilité. Devait-il prendre le risque de rompre le front uni contre le nazisme en hébergeant quantité d'immigrants juifs ? C'est seulement en janvier 1944 qu'il se laisse convaincre par son secrétaire au Trésor Henry Morgenthau de créer un Bureau des réfugiés de guerre (War Refugees Board ou WRB) pour contrecarrer « les plans nazis visant à l'extermination des Juifs ». Par ses interventions en Europe, cet organisme allait contribuer au sauvetage d'un demi-million de Juifs hongrois.
Les organisations sionistes qui préparaient l'avènement en Terre sainte d'un État juif étaient dans la même expectative que les chefs alliés. Leur leader, David Ben Gourion, s'était accommodé des mesures antisémites de l'Europe des années 1930 qui lui avaient permis d'accueillir en Palestine des flots d'immigrants. Confronté aux informations concordantes sur le génocide, il n'avait, pas plus que les autres, mesuré sa véritable dimension.
Le pape Pie XII, enfin, a tenté tardivement et timidement, à la Noël 1942, de dénoncer le génocide. Eût-il parlé plus fort que son message n'aurait sans doute pas eu plus d'effet sur les hommes de bonne volonté. Sans doute ne faut-il pas se faire d'illusions. Après la mi-1941, Hitler et les nazis étaient déjà trop engagés dans la course au précipice pour s'arrêter sur des injonctions publiques.
Plus surprenant que le déni collectif du génocide pendant la Seconde Guerre mondiale est son déni après !...
Immédiatement après 1945 paraissent de nombreux témoignages bouleversants sur les camps. Mais très vite, l'intérêt du public retombe. Primo Levi, rescapé d'Auschwitz, est affecté par l'échec de son livre ô combien poignant : Si c'est un homme (Se questo è un uomo, 1947).
Au sortir de la guerre, les Occidentaux ont encore du mal à percevoir les différences de nature entre le sort des déportés politiques, des résistants et des travailleurs forcés et celui des Juifs. Ils mettent dans le même lot les camps de déportation des premiers (Buchenwald, Dachau, Mauthausen), situés à l'Ouest et libérés par les Anglo-Saxons, et les camps d'extermination des derniers, avec chambres à gaz et fours crématoires (Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Sobibor, Belzec...), généralement situés à l'Est, en Pologne, et libérés dans une relative discrétion par les Soviétiques.
Jusqu'à la fin des années 1950, la spécificité du génocide des juifs (et des tziganes) est passée sous silence et ignorée de bonne foi...
On s'en rend compte dans l'émouvant documentaire filmé d'Alain Resnais Nuit et Brouillard (1955) comme aux procès du maréchal Pétain (1945) et de René Bousquet, principal responsable de la rafle du « Vél d'Hiv » (1949), où les questions juives furent passées sous silence (*) !
Dans son essai Réflexions sur la question juive, écrit en 1944 et publié en 1946, le philosophe Jean-Paul Sartre réalise même l'exploit de passer sous silence la Shoah ! Il s'attache seulement à démontrer que l'antisémitisme est le fruit maudit du capitalisme !
Quand le Comité d'histoire de la seconde guerre mondial passe commande à Alain Resnais (32 ans) d'un film sur la déportation, le cinéaste a déjà à son actif de nombreux courts-métrages percutants sur l'art, Guernica ou l'Art nègre (Les statues meurent aussi, 1953).
Le titre de son nouveau documentaire, fait référence au décret du 7 décembre 1941, signé par le maréchal Keitel, qui ordonne que tous les déportés et prisonniers qui représentent une menace pour le Reich soient éliminés sans bruit, dans la nuit et le brouillard. Ces personnes sont désignées sous le sigle NN (« Nacht und Nebel », Nuit et Brouillard en allemand).
Le film Nuit et Brouillard, d'une durée de 34 minutes, sort en 1955. Sa violence maîtrisée fait immédiatement sensation et lui vaut d'être présenté en marge du Festival de Cannes 1956.
Tout en dénonçant l'univers concentrationnaire, il omet cependant de faire la différence entre les camps de déportation, destinés aux opposants, comme il s'en trouve aussi en URSS et dans bien d'autres pays, et les camps d'extermination, destinés aux Juifs et Tziganes et caractéristiques du génocide... C'est que simplement, cette distinction n'est encore perçue que par quelques rares historiens.
La spécificité du génocide va peu à peu apparaître au grand jour, sans que s'éveille pour autant l'intérêt du public.
Léon Poliakov publie en France en 1951 le Bréviaire de la haine (Le IIIe Reich et les juifs) où tout est dit du génocide. L'écrivain Robert Merle livre de son côté une biographie à peine romancée de Rudolf Hoess, le commandant d'Auschwitz : La mort est mon métier (1952).
Un rescapé des camps, Simon Wiesenthal, réunit dans l'indifférence générale une abondante documentation sur les criminels nazis survivants afin que justice soit rendue.
Mais l'État d'Israël relaye son action et enlève à Buenos Aires Adolf Eichmann. Avec le procès en 1961, à Tel Aviv, de cet acteur majeur de la Solution finale, l'opinion occidentale commence enfin à prendre conscience de la portée de celle-ci. Pourtant, rien n'est encore acquis :
– En 1963, la Shoah est instrumentalisée par un dramaturge autrichien, Rolf Hochhuth, dans sa pièce Le Vicaire, pour casser l'image du pape Pie XII et de l'Église catholique.
– La même année, le chanteur Jean Ferrat met en chanson le film Nuit et Brouillardd'Alain Resnais :
« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux ».
Hymne intemporel à la liberté, à la résistance et à l'humanité souffrante ; superbe mais erroné ! Comme Alain Resnais, Jean Ferrat, fils d'un artisan juif déporté à Auschwitz, assimile les Juifs à des résistants (Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux). À l'image de ses contemporains des années 1960, il cultive le mythe d'un nazisme opposé d'égale façon à l'ensemble des hommes de bonne volonté (y compris les fidèles de Vichnou, dont on ne sache pas qu'ils aient été persécutés par les nazis !).
En définitive, c'est seulement dans les années 1970 que va apparaître la spécificité de la Shoah, en Europe et en Amérique. Cette prise de conscience prend corps au cinéma et à la télévision, notamment avec la série américaine Holocaust en 1978... Elle trouve son aboutissement dans le document-fleuve de Claude Lanzmann, Shoah (1985). Ainsi se construit notre représentation de l'Histoire.
Méfions-nous de la tentation de refaire l'Histoire après coup et de juger nos aïeux.
Des drames plus récents devraient nous ramener à une grande humilité... Songeons à ce que diront nos enfants quand ils réexamineront notre attitude face aux horreurs du génocide rwandais (1994), de la guerre en Yougoslavie (1992-1996) ou encore face à la collusion entre les groupes pétroliers (TotalFinaElf...) et les régimes criminels d'Afrique (Soudan, Congo, Nigéria, Angola).
Rappelons-nous par exemple comment, en 1994, la France s'abrita derrière l'ONU pour ne rien faire quand des Hutus massacrèrent leurs compatriotes à la machette, sous les yeux des officiers français chargés d'assister le gouvernement du Rwanda... alors qu'en 1978, il n'avait fallu que quelques heures au président de la République française Valéry Giscard d'Estaing pour envoyer des paras à Kolwezi, au coeur de l'Afrique. Sans s'embarrasser d'arguties diplomatiques, ces hommes allaient sauver une poignée de Blancs menacés par la soldatesque locale.
Source:Herodote
AMMAFRICA WORLD
A découvrir aussi
- LE PARTI COMMUNISTE CHINOIS
- SODOMITES ET ZOOPHILES;CES BOUGRES D'HERETIQUES
- LA BANDE NEO NAZIE DU NSU ET LES SERVICES DE RENSIGNEMENTS ALLEMANDS
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1520 autres membres