Afrique du Sud: Histoire de L'Apartheid
En bref, histoire de l’apartheid en Afrique du Sud
Donner une détermination à l’apartheid n’est pas chose si aisée : si les définitions communes s’accordent pour parler d’un « régime de discrimination et d’exclusion d’une partie de la population fondé sur son origine religieuse ou ethnique« , la réalité qui s’applique est bien plus obscure, et bien plus dramatique, que ces seuls mots ne le laissent supposer.
Dans un régime d’apartheid, les populations n’ont pas les mêmes droits, et peuvent être séparées les unes des autres. Certains lieux ou emplois peuvent être réservés à une partie seulement de la population ; et tout est ainsi, dans la vie économique et sociale quotidienne, régi et règlementé par des textes.
En Afrique du Sud, l’apartheid à proprement parlé s’est exercé jusqu’en 1991, et fut mis en place législativement par le Parti National en 1948. A partir de cette date, la pratique empirique de ségrégation raciale, ayant cours dans tout le pays depuis les premières années de colonisation, devint une politique institutionnelle :
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la division politique, économique et géographique du territoire sud-africain ;
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la division de la population sud-africaine en quatre groupes distincts (Blancs, Métis, Bantous, Indiens), la primauté étant accordée à la communauté blanche.
I. L’apartheid sud-africain : fruit d’une incroyable diversité ethnique et culturelle.
L’apartheid en Afrique du Sud est le fait d’un très long processus de construction du nationalisme spécifique « afrikaner ». Les afrikaners, ouboers, sont les descendants des premiers colons installés dans le pays, au 17ème siècle. Profondément calviniste, cette communauté fut fortement marquée par la « doctrine de la prédestination », croyant en sa propre destinée de « peuple élu » pour diriger les terres sur lesquelles ses ancêtres s’étaient installés. Elle développa également sa propre langue, l’afrikaans.
Par un passé complexe, l’Afrique australe fut de tout temps une plate-forme pluri-ethnique et multi-culturelle :
La colonisation néerlandaise du 17ème siècle fut à l’origine d’un peuplement blanc vivant sur la côte, issu des Pays-Bas, mais venu aussi de France, d’Allemagne et de Scandinavie. L’importation d’esclaves de Madagascar et d’Indonésie donna lieu à un métissage de toutes ces populations, dont on qualifia les descendants de « Coloured », en oppositions aux Blancs.
Une seconde colonisation au 18ème siècle, britannique cette-fois, entraina un revirement net des rapports de forces en cours, à l’avantage des anglais sur les afrikaners. Le Cap passa sous le contrôle britannique et l’anglais devint la langue officielle en 1822, au grand dam des afrikaners. L’abolition de l’esclavage (1833) entraina bientôt le début du « Grand Trek », à savoir l’émigration de milliers d’afrikaners des côtes vers l’intérieur des terres.
La seconde moitié du 19ème siècle fut le temps de la découverte de l’or et des diamants sud-africains. Ce phénomène engendra une hausse importante de l’immigration européenne et africaine en direction d’Afrique du Sud, et l’arrivée massive d’ouvriers indiens et chinois, incités à venir travailler dans les mines et pour l’agriculture. Nouveau métissage culturel : les deux-tiers de ces indiens ne repartirent jamais à la fin de leur contrat de travail.
Ce qu’il faut donc comprendre, dans un premier temps, pour saisir les fondements de l’apartheid en Afrique du Sud, c’est cette incroyable diversité culturelle issue de l’histoire que connait le pays. Mêlée à la construction historique d’un nationalisme afrikaner sans concession, elle sera la source des évolutions politiques à venir.
II. L’apartheid sud-africain : fruit d’un incontrôlable nationalisme afrikaner.
Les afrikaners, nous l’avons dit, sont les descendants des premiers colons arrivés en Afrique du Sud. A ce titre, et du fait de leur croyance dans la doctrine calviniste, ils considèrent être le seul peuple destiné à exercer le contrôle sur les terres sud-africaines. Malgré cela, les colons britanniques les chassèrent du pouvoir dès leur venue au 18ème siècle, et leur imposèrent l’anglais comme langue officielle au détriment de leur propre langue, l’Afrikaans.
Certains historiens font appel, pour expliquer la montée nationaliste afrikaner, à une explication théologique. Il semblerait que les afrikaners se soient assimilés aux Juifs oppressés de l’Ancien Testament depuis le Grand Trek. Ce déplacement de population les aurait davantage encore fédérés dans l’idée de former un peuple élu, prêt à exercer le contrôle sur leurs terres. Cette idée de « Nation » fut confortée dès le 19ème siècle par l’historien George McCall Theal, et le nationalisme afrikaner fut alors assimilé à la résistance du peuple face à l’oppression et à la domination britannique. Les années 1840-50 marquent d’ailleurs la fondation de petites républiques boers, dont certaines se sont unifiées (république sud-africaine du Transvaal et Etat Libre d’Orange).
Par la suite, un éveil national afrikaner fut entrepris par la communauté elle-même, par le biais de la langue et de l’apprentissage de l’histoire nationale dans les livres.
Mais c’est à la fin du 19ème siècle qu’eut lieu l’évènement qui marqua définitivement l’entrée en guerre des boers contre les britanniques. Entre 1899 et 1902 eut lieu en effet la « Guerre des boers », qui, après le Grand Trek, acheva de cristalliser le sentiment national afrikaner (guerre terrible, marquée par l’existence de camps de concentration ; plus de 26 000 boers civils périrent, laissant une grande rancœur du peuple afrikaner contre les britanniques).
La ponction démographique due à la guerre, l’afflux d’africains et d’asiatiques, l’imposition de l’anglais, puis l’interdiction de l’apprentissage de l’afrikaans ; tous ces éléments conduisirent les afrikaners à réagir pour préserver leur « destinée ». Cette réaction prit la forme d’une création d’écoles boers privées, dans lesquelles était assurer la transmission des bases nationales, à savoir la langue, le calvinisme et la vision de la prédestination.
Suite à la Première Guerre mondiale, les afrikaners entrèrent clairement en concurrence avec les ouvriers noirs sur le marché du travail. Pour défendre encore et toujours les intérêts de leur communauté, leurs leaders se lancèrent le défi de donner aux afrikaners le même niveau de vie et de statut social que la petite bourgeoisie anglophone. Les rêves d’indépendance et d’autosuffisance des boers ressuscitèrent donc, autour du concept de « l’Afrikanerdom » de Paul Kruger (soit l’idée d’en enclos géographique intégralement afrikaner).
Les années suivantes furent marquées par un activisme grandissant et par l’émergence d’une hiérarchisation de plus en plus définie de l’identité afrikaaner, placée au-dessus de toutes les autres communautés d’Afrique du Sud. De grandes grèves insurrectionnelles eurent lieu en 1922, organisées par des ouvriers afrikaaners, manifestant contre le recours accru à la main d’œuvre noire meilleure marché. Le Premier ministre Jan Smuts mena une sanglante répression qui engendra à nouveau de nombreux morts, et conduisit à l’emprisonnement de plus de 5 000 mineurs afrikaners.
L’échec de ce mouvement mena à une mobilisation insolite derrière les nationalistes du Parti national, et à la victoire de celui-ci aux élections générales de 1924. Le nouveau gouvernement nationaliste de Hertzog commença à agir dès 1925 : l’afrikaans devint la seconde langue officielle, aux côtés de l’anglais, et un drapeau et un hymne national virent le jour suite à un consensus entre anglais et boers.
Dès lors, l’Eglise réformée hollandaise diffusa et généralisa, dans le cadre d’une éducation nationale chrétienne, l’idée de la prédestination des afrikaners, et élabora des justifications théologiques à la ségrégation ; l’apartheid légal devint une idée sous-jacente. En 1938, le Centenaire de la bataille de Blood River (qui eut lieu pendant le Grand Trek) fut instrumentalisé par le pouvoir afrikaner : une reconstitution du Grand Trek, entre Le Cap et Pretoria, fut intégralement mise en scène, rencontrant un immense succès populaire. Une grande partie des afrikaners se joignirent en effet à la marche, conduisant à l’émergence d’une vague de patriotisme dans le pays. Le Parti afrikaner se rapprochait de plus en plus d’une élection potentielle lors d’élections nationales…
Cette victoire eut lieu aux élections de 1948 :
victoire du Parti national de Daniel François Malan, allié au Parti afrikaner de Nicolaas Havenga.
« Le danger de domination anglophone est définitivement écarté et l’unité du peuple afrikaans réalisé. Cependant, la cohésion ethnique de celui-ci reste menacé par le « Swaartgevaar » (le péril noir). Le thème récurrent des nationalistes n’est dès lors plus la défense de l’identité Afrikaans face aux anglophones mais celui du peuple blanc d’Afrique du Sud (anglophones, afrikaners, lusophones) menacé par les masses africaines. L’apartheid est désormais représenté comme un arsenal juridique destiné à préserver la survie du peuple boer mais aussi comme un instrument de justice et d’égalité qui doit permettre à chacun des peuples qui constitue la société sud-africaine d’accomplir son destin et de s’épanouir en tant que nation distincte. » (extrait de l’article de Wikipédia : « Apartheid »)
III. L’apartheid : 1948-1991.
Comme nous l’avons déjà évoqué de manière succincte, le phénomène d’apartheid traverse l’histoire de l’Afrique du Sud et s’est exercé, de manière informelle, bien avant l’élection du Parti national en 1948. Néanmoins, l’arsenal des mesures juridiques (conceptualisé par la commission Sauer, mis en place par le Docteur Hendrik Verwoerd et contrôlé par le Premier Ministe Daniel François Malan), mis en place à partir de cette date, dépasse par bien des aspects la réalité de ce qu’avait pu être l’apartheid informel. « L’apartheid bloque le système, fige les rapports entre races, et exclut toutes évolutions simples et pacifiques » (Wikipédia).
Doctrine :
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Assurer institutionnellement le « développement séparé » des communautés sans que l’une exploite l’autre ;
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Catégoriser de façon systématique les individus sur la base de leur appartenance à un groupe racial ou ethnique : Blanc, Zoulou, Bantou, Indiens, Métis ;
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Réglementer tous les aspects de la vie quotidienne : mariage, habitat, enseignement, déplacements des personnes, emploi… ;
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Créer des Etats ethniques, les « Bantoustans », sur les terres ancestrales (13% du territoire) et donner ainsi l’apparence d’une indépendance pour les africains indigènes ;
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Garantir aux seuls Blancs un régime démocratique (puis aux Indiens et aux Métis dans une moindre mesure dès 1984).
Les principales lois d’apartheid :
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Loi sur l’interdiction des mariages mixtes (1949)
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Loi d’immoralité, pénalisant les relations sexuelles entre Blancs et non Blancs (1950)
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Loi de classification de la population, distinguant les individus selon leur race (1950)
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Loi de suppression du communisme, permettant d’interdire tout parti politique catalogué comme communiste par le gouvernement (1950)
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Loi d’habitation séparée, répartissant les zones urbaines d’habitation (le fameux « Groupe Areas Act » de 1952)
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Loi sur les laissez-passez pour les plus de 16 ans (1952)
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Loi sur les commodités publiques distinctes (les toilettes, les fontaines et tous les aménagements publics) (1953)
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Loi d’éducation bantoue, concernant le programme scolaire des Noirs (1953)
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Retrait du droit de grève et de résistance passive aux travailleurs noirs (1953)
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Loi de relocalisation des indigènes, permettant de déplacer les populations noires vivant en zones déclarées blanches (« Native Resettlement Act » 1954)
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Loi sur le travail et les mines, formalisant la discrimination raciale dans le monde du travail (1956)
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Loi sur la promotion de gouvernements noirs autonomes, créant les bantoustans sous administration des non Blancs (1958)
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Loi de citoyenneté des Noirs des homelands, retirant la citoyenneté sud-africaine aux Noirs issus de communautés ethniques relevant de Bantoustans déjà créés (1974)
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Décret sur l’Afrikaans, obligeant toutes les écoles, même noires, à dispenser en afrikaans tous les enseignements de maths, de sciences sociales, d’histoire et de géographie du niveau secondaire (1974)
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Loi sur l’interdiction aux Noirs de l’accès à la formation professionnelle (1976)
Face à cette ségrégation généralisée, injustice légalisée, les réactions ne se firent pas attendre. Deux évènements dramatiques, deux « massacres », furent à l’origine des premières brèches réelles dans le système d’apartheid en Afrique du Sud…
Le « massacre de Sharpeville » s’est déroulé en mars 1960 à Sharpeville, un township de la ville de Vereeniging dans le Transvaal. Il s’agit d’une répression policière arbitraire à l’encontre de militants noirs manifestant contre le port du pass, le passeport intérieur obligatoire pour les Noirs. Cet évènement fut à l’origine de la mort de 79 personnes sur 178 blessés, et l’on décompte parmi elles un nombre très important de blessés par balles, tirées dans le dos… Première onde de choc, nationale et internationale, qui sera à l’origine d’une attention nouvelle accordée par l’Etranger sur la situation encore mal connue d’Afrique du Sud.
Les « émeutes de Soweto », second évènement, eurent pour point de départ la révolte d’adolescents noirs venus manifester pacifiquement contre l’imposition de l’enseignement en langue afrikaans. Ce jour de juin 1976, la police reçut la consigne du ministre de l’Intérieur, Jimmy Kruger, de « rétablir l’ordre à tout prix et d’user de tous les moyens à cet effet« . Il en résulta une succession de tirs de la police sur une foule désarmée, faisant officiellement 23 morts et 220 blessés. Certaines estimations poussent jusqu’à plus de 500 le nombre des blessés…
La répression policière devint, après ces massacres, de plus en plus sévère contre les mouvements de contestation issus de la Communauté noire ; les Nations Unis commencèrent à poser les premiers pas du boycott qui frappera l’Afrique du Sud tout au long des années 1980.
C’est néanmoins à ce moment précis, où les choses semblaient empirer de jour en jour ,que, sans doute, le délitement de l’apartheid posa ses premières bases… La décennie 1980 fut marquée par des condamnations internationales qui ébranlèrent le pouvoir blanc afrikaner.
Par définition, l’apartheid est un système qui génère des frustrations chez tous les groupes désavantagés qu’il désigne. De plus en plus conscients de l’injustice dont ils étaient victimes, ces groupes s’organisèrent (au sein de l’ANC, du « Mouvement de la Conscience Noire »…), et parvinrent progressivement à élargir leurs soutiens. L’African National Congress, ou ANC, devint alors une organisation de défense du peuple noir à portée militaire, en se spécialisant dans des camps d’entrainement en Angola, en Tanzanie et en Zombie. Dès 1979, elle commença à mener des actes contestataires, au sein même de l’Afrique du Sud (sabotages et attentats, à portée plus ou moins symbolique, mais parfois très graves).
Le gouvernement apartheidien de Botha n’eut alors plus le choix, face à l’agitation interne et à la pression occidentale croissante. Il assouplit l’apartheid en retirant certaines lois discriminatoires, tout en continuant à affermir la répression policière.
Finalement, aux élection de 1989, l’heure de la libération arriva : l’accession au pouvoir de Frederik de Klerk fut à l’origine d’une nouvelle donne politique. Celui-ci accepta en effet de réformer le système et d’ouvrir la question de la propriété foncière. Les partis politiques dissous furent de nouveau autorisés, et des négociations officielles commencèrent entre le gouvernement et l’ANC. Au final, la majorité des lois d’apartheid furent définitivement abolies entre 1989 et juin 1991.
Du côté des afrikaners conservateurs, les utopies communautaristes furent rapidement abandonnées en faveur de la seule solution viable, l’acceptation. Suivant l’adage « s’adapter ou mourir », les derniers bastions nationalistes optèrent alors pour l’ouverture politique envers la majorité noire du pays.
Finalement, après quatre années de négociations constitutionnelles, les premières élections multi-raciales se déroulèrent en avril 1994, débouchant sur l’élection de Nelson Mandela, premier président noir de la République d’Afrique du Sud. Le choix d’un grand homme, par un grand peuple, pour une grande cause.
Ainsi s’achève l’histoire de l’apartheid en Afrique du Sud, après plus de quarante années de racisme institutionnalisé.
Ainsi débute h’Artpon n°2, pour une traversée profondément humaine entre Art & Histoire…
HARTPON.INFO
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