« Je vais vous livrer mon témoignage sur ce qui s’est passé au Congo, où j’étais soldat de l’APR (devenu RDF Rwandese Defense Force) avant d’être affecté à la DMI (Directorate of Military Intelligence). On nous a envoyés à Kisangani tuer les réfugiés sur le commandement du capitaine Shema de la DMI et le sous-lieutenant Franck Bashimake. Jusqu’à Kisangani les réfugiés dans leur fuite marchaient sur les routes, arrivés à Kigangani, ils ont été bloqués par le fleuve, c’est là qu’ils ont péris. C’est ce qui s’y est passé que je vais vous raconter amis Rwandais ». Déclare l’ex-DMI qui se reconnait lui-même être un ex tueur du FPR, aujourd’hui réfugié en Europe, et qui n’a pas voulu dévoiler son nom ni son adresse pour sa sécurité et celle de sa famille. Il a livré son récit en Kinyarwanda à la radio Itahuka le samedi 09 février. Radio Itahuka est une webradio fondée par la plateforme du « RNC », une plateforme initiée et dirigée par d’anciennes personnalités du FPR, autrefois proches de Paul Kagame.
Un réfugié transformé en tueur
Né à Rutshuru à l’Est du Congo, cet ex-DMI est un descendant des anciens réfugiés tutsis chassés du Rwanda en 1959. Il a intégré la rébellion du FPR en 1993, un an avant la victoire de ce mouvement sur le régime de Habyarimana. Peu après, il a été affecté à la fameuse DMI (Directorate of Military Intelligence), le service de renseignement militaire rwandais mis en cause pour son rôle dans l’exécution de plusieurs milliers de Rwandais et étrangers.
« Je veux donner globalement mon témoignage sur les dirigeants rwandais et ce qu’ils ont fait depuis que le FPR a déclenché la guerre de libération ; je vais vous le dire parce que ça me fait très mal au cœur et c’est cela qui m’a poussé à s’exiler encore » déclare-t-il.
Un objectif : liquider tout Hutu sur le sol congolais
« On attaquait les Rwandais et les massacrait sauvagement et de façon inimaginable, celui qui nous commandait et qui était à son tour sous les ordres des généraux Paul Kagame et Jacques Nziza, nous demandait à ce que tout réfugié hutu sur le sol congolais soit assassiné, et ils ont annoncé que celui qui refusera de le faire sera exécuté sur le champ. (…) parmi mes collègues il y en a qui furent exécutés par ce qu’ils refusaient d’obéir aux ordres » ; « On embarquait les réfugiés qui s’enfuyaient de Tingi-Tingi (camp de réfugiés NDRL) dans les camions et les acheminait dans plusieurs endroits : il y en a qu’on a conduit sur l’autre côté du fleuve, un endroit qu’on appelait « rive gauche ». C’est des milliers et des milliers qu’on y a massacrés. Un autre lieu c’est Devansende à 59 kilomètres de la ville de Kisangani : à ce lieu on y a massacré plusieurs milliers de personnes. On avait creusé des trous où on jetait des corps, on ne faisait pas distinction : enfants, femmes et personnes âges, tout le monde y passait parce que les ordres étaient de tuer tout ce qui est Hutu sur le sol congolais. On employait tous les moyens à notre disposition : balles, agafuni (petite houe), sac plastique sur la tête, attacher les mains par derrière, etc.… », continue-t-il.
« On a tué jusqu’à s’épuiser. Certains réfugiés mourant même de faim. Le capitaine Shema nous disait que nous nous fatiguons en se donnant pour notre pays. « Ils sont nombreux si on ne les éradique pas ils vont revenir nous chasser dans le pays » aimait-il répéter (42 :05).
Ce témoin revient également sur les massacres perpétrés à Mbandaka, dans la région d’équateur : « Sur la rive gauche de Mbandaka, on y a massacré également beaucoup de gens, car les réfugiés y étaient coincés, ils ne pouvaient plus avancer, les religieux qui ont tenté de s’interposer ont subi à leur tour le même sort. Après leur mort on a pillé leurs véhicules qu’on a utilisé par après pour transporter et brûler les corps ».
« Les gens qu’on massacrait étaient tous des civils, par exemple à Rafasenti, on a fait croire aux réfugiés qu’on allait les ramener au Rwanda, on les a fait monter dans plusieurs camions, on a chargé surtout les hommes, plus de 4000 en tout. Ils ont été tous tués le même jour »
« Ceux qui ont échappé à la mort, c’est ceux que le HCR ramassait un peu partout dans les forêts, ce sont les seuls qui ont pu nous échapper. (…) Nos activités criminelles se sont déroulées de 1997 jusqu’à 1998 quand Laurent Kabila nous a prié de partir » précise l’ex agent de la DMI.
Ne pas laisser de traces
D’après le témoin, tout était fait pour ne pas laisser des traces de ces massacres, car déjà la communauté internationale suivait de prés la situation de ces réfugiés. « On avait creusé les fosses dans les alentours de la ville de Kisangani ; tout était bien planifié et piloté de haut par le Général Paul Kagame. On empilait les corps dans ces fosses comme les stères de bois de chauffage. En haut, on couvrait avec des bâches, cela nous permettait d’ouvrir facilement et mettre d’autres corps puis bruler une fois les trous remplis. Chaque nuit on utilisait un bateau de moteur pour transporter les cendres et les jeter dans le fleuve zaïre. Dans tout ce qu’on faisait, on nous ordonnait de ne pas nous reposer, on était obligé d’exécuter les ordres pour ne pas à notre tour y laisser nos vies. On était des petits soldats aux ordres du Général Paul Kagame, du Général Nziza, et du Général Kabarebe qui était notre chef direct sur le terrain, le capitaine Shema commandait quant à lui notre section » rapporte le témoin.
Les tueurs étaient minutieusement choisis
D’après le témoin, les tueurs étaient minutieusement choisis, ils étaient sélectionnés parmi les Tutsi venus du Congo, car selon lui, le commandement de l’APR ne fait pas confiance aux Tutsi venus d’Ouganda, du Burundi et de la Tanzanie pour exécuter cette mission, qui se devait être rapide, bien faite et surtout discrète. Le choix se portait en grande partie sur les Tutsi originaires du Congo. Le témoin affirme même que les gardes rapprochés de Paul Kagame, ceux qui veillent à sa sécurité et ses biens, sont ceux qui viennent du Congo, car l’homme fort du Rwanda ne ferait pas confiance à ses compatriotes venus d’Ouganda, de Tanzanie et du Burundi.
« Avant les massacres, une réunion s’est tenue un soir dans la ville de Kisangani, dirigée par le capitaine Shema aujourd’hui Major, et son adjoint le lieutenant Bashimake qui est aujourd’hui capitaine et chef de la brigade 408 de police à Ruhengeri. Au cours de cette réunion, une question nous a été posée : « selon vous pourquoi ici vous n’êtes que d’une seule ethnie ? » nous avons répondu, « nous n’en savons rien ». C’est ainsi qu’ils nous ont expliqué que si nous ne sommes que des Tutsi, c’est que nous avons un travail à faire sans préciser de quoi il s’agissait « . ; « On se connaissait pas car on venait de bataillons différents, (…). Capitaine Shema nous expliquait que c’était l’état major qui nous avait choisi pour ce travail ; c’est pourquoi il ne fallait pas dire « je refuse de le faire ou je suis malade ». A Kigali pour nous sélectionner, on regardait où l’on est né, la famille et notre pays d’origine » affirme le témoin.
Tenir éloigner les témoins gênants
Le témoin livre également son récit sur tout ce que son escadron faisait pour tenir loin les témoins, surtout les ONG qui étaient nombreuses à entreprendre les démarches afin de connaitre le sol des réfugiés. « On nous ordonnait de retenir les humanitaires dans la ville de Kisangani, si nécessaire de leur tirer dessus pour les faire croire que certains endroits étaient dangereux. Je vous donne l’exemple de la Croix rouge, on a tué certains de ses membres. Parce qu’ils étaient obstinés à connaitre la vérité » dit-il.
D’après lui les humanitaires ont été empêchés de se rendre sur les lieux de massacres, avant que les bourreaux n’aient fini leur travail. « On a contenu les humanitaires à Kisangani jusqu’à ce qu’on transfère les corps à 150km à l’intérieur de la forêt pour ne pas laisser de preuves aux enquêteurs. (…) Capitaine Shema et Lieutenant Frank Bashimake nous ordonnaient de travailler 24heures sur 24 sans se reposer ». affirme-il avant d’ajouter qu’ils ont même tiré avec des armes lourdes sur les avions des Nations Unies qui survolaient la zone des tueries pour tenter de comprendre ce qui se passait. « Quand on tirait sur un avion, il ne repassait plus au-dessus de la même zone » dit-il.
« Quand les Nations Unies ont commencé à soulever des soupçons sur nos atrocités à Kisangani, la presse interrogeait Paul Kagame sur les massacres qui se commettaient sur le terrain. Ce dernier ne faisait que nier, Kabarebe qui dirigeait les soldats rwandais au Congo répondait la même chose, Kabila (père NDRL) niait aussi les faits. Ces derniers disaient tous qu’aucun réfugié hutu n’est tué sur le sol congolais. Nous qui étions sur place, on était étonné d’entendre cela, on suivait tout le temps la BBC ».
L’ancien soldat donne même les exemples de certains officiels qui ont été éliminés, car ayant supervisé les massacres, « le régime voulait s’assurer de leur silence éternel ». C’est le cas de major Ruzindana et Birasa, qui ont été éliminés par la DMI. Bagire qui est mort empoissonné. « Ce dont je suis certain est que toute personne utilisée dans les massacres soit, il part en exil soit il est tué. Moi aussi quand j’ai quitté le pays en mars 2006, on voulait m’assassiner. – Major Birasa, adjudant chef Abbas qui supervisait les massacres dans le camp Kami, lieutenant Rushoke qui était connu comme le plus cruel de tous, ils sont tous été assassinés dans le camp Kami et puis transportés vers Nyungwe - » affirme le témoin.
Les massacres au Rwanda
Le témoin a livré également à la radio Itahuka certains cas de massacres au Rwanda auxquels il a assisté directement ou indirectement. Il revient sur les massacres qui se commettaient au stade régional de Ruhengeri (dans le Nord du Rwanda) en 1998, sur les ordres de Gasheja qui dirigeait le bataillon 408 Ruhengeri, et Gasana qui dirigeait la brigade 408 de Ruhengeri. D’après lui, ces officiers ramassaient les gens à Nyakinama, Kinigi, Nyamutera et Giciye, et les rassemblaient dans le stade de Ruhengeri. Les personnes arrivaient au stade ligotées dans les camions à conteneur, puis elles étaient peu à peu conduites vers le camp Mukamira pour y être achevées. Selon le témoin, les corps étaient transportés dans les mêmes camions vers la forêt de Nyungwe dans un lieu qu’ils appelaient « Icyokezo », pour y être brulés.
L’ancien DMI affirme que la forêt de Nyungwe a servi, en 1997 et 1998, de lieu où l’on brûlait les corps des personnes tuées un peu partout au Rwanda. Selon lui, Kugiti Kinyoni (tout prés de Kigali) il y avait des barrières redoutées, les gens venant de Ruhengeri, Kibuye, Gitarama et Butare y étaient arrêtés, on regardait l’origine de la personne et son faciès. « On choisissait surtout les personnes qui ont encore la force de se battre, on appelait cela « guca imbaraga abahutu » (décourager les Hutu) ». Il affirme que ce climat de terreur avait fini par persuader les gens de prendre des taxis car une fois monté dedans, on n’était pas sûr de rentrer, surtout ceux qui venant de Gisenyi et Ruhengeri ne franchissaient aucune barrière. Ces derniers étaient arrêtés puis conduits au camp Kami, un camp selon lui abritant en 1998, dans sa cave, une prison où les gens étaient gardés avant d’être tués. « Tous ces massacres étaient coordonnés et supervisés par Jacques Nziza » dit-il. Pour transporter les corps de camp Kami vers la forêt Nyungwe, le témoin affirme qu’ils utilisaient un camion bleu pillé au Congo de marque Benz.
Usage massif de poison
Le témoin évoque aussi les cas d’assassinat par le poison. « Il y avait aussi les gens qui ont été assassinés empoissonnés, le marché de poison était dans les mains des Indiens, ce sont eux qui l’importaient au Rwanda pour le vendre à la DMI. Ce poison était injecté souvent par seringue. Le poison était le plus souvent utilisé pour assassiner les gens connus dont il était impossible d’éliminer dans la masse sans attirer l’attention, c’est pourquoi ce sont les hauts gradés comme le capitaine Mutiganda et le capitaine Burabyo qui s’occupaient personnellement d’utiliser cette méthode. La personne à éliminer était soit invitée à une réunion ou approchée dans une fête ; « on attendait qu’elle soit distraite pour mettre le poison dans son verre » affirme le témoin qui dit que lui-même avoir été chargé un jour d’une mission d’éliminer un collègue :
« On m’a donné un jour le poison à mettre dans le lait de Sankara qui était en prison à ce moment. Je ne l’ai pas fait car ce dernier était un homme intègre, dans ses chansons, il défendait les droits des soldats. Ils n’ont pas su que je n’avais pas empoisonné le lait de Sankara, et disaient à ce dernier, « tu as vraiment de la chance, tu ingère le poison et tu es toujours en vie » ».
Les massacres des réfugiés tutsis de Mudende
L’ex agent de la DMI, revient également sur les massacres des réfugiés tutsis de 1959 qui sont revenus au Rwanda en 1995 après 30ans d’exil au Congo. Le témoin se dit choqué que Paul Kagame et Nziza aient décidé de les éliminer pour attribuer leur mort aux rebelles hutus (abacengezi) venus du Congo, alors qu’à cette période tout l’Est du Congo et la frontière étaient sous le contrôle du nouveau gouvernement rwandais.
En effet, ces réfugiés à leur rentrée au Rwanda, ont été installés à Mudende, non loin de l’université qui porte le même nom, et à Nkamira. « Les massacres se sont déroulés la nuit, le matin tous les militaires qui gardaient le camp avaient été rappelés ». Le général Munyakazi qui dirigeait la brigade 211 de Gisenyi, et à qui les victimes ont fait appel durant les événements, voulait se rendre sur les lieux des massacres pour intervenir mais il en a été empêché parce que ceux qui commettaient ces assassinats étaient les hommes de Kagame venus de Kigali. Pourtant la garde rapprochée de Paul Kagame est en majorité composée des fils de ces personnes assassinées. « Ces gardes ne le savent pas, c’est pourquoi je livre ce témoignage » déclare l’ancien agent de la DMI. « A ce moment, plusieurs militaires dont les parents des personnes assassinées ce soir-là, voulaient manifester, mais ils ont du se résigner et regagner leurs camps après que le général Kagame les ait menacés de tous les liquider ».
Le 1er octobre 2010, les massacres des réfugiés hutus en République démocratique du Congo entre 1996 et 2002 ont donné lieu à un rapport d’enquête du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme connu sous le nom de Mapping Report. Selon ce rapport, ces massacres pourraient, si prouvés devant un tribunal compétent, être qualifiés de génocide.
Jean Mitari
Jambonews.net