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EUROPE:L'AVENIR DE L'EURO LIVRE AUX JUGES ALLEMANDS

L'avenir de l'euro livré aux juges allemands

LE MONDE GEO ET POLITIQUE

  Mis à jour le 12.09.2012 à 07h59

Pour les plaignants, les députés n'avaient pas le droit d'approuver le Mécanisme européen de stabilité, qui pourrait, selon eux, conduire à une responsabilité illimitée des Etats actionnaires, notamment l'Allemagne, le premier d'entre eux.

 

Les dirigeants européens et les grands argentiers de la planète auront, mercredi 12 septembre, les yeux rivés sur une ville où la plupart d'entre eux n'ont jamais mis les pieds. Située dans le Bade-Wurtemberg, Karlsruhe n'est même pas une capitale régionale. Pourtant, la présence de la Cour constitutionnelle allemande lui vaut régulièrement la "une" des journaux tant cette institution joue un rôle fondamental dans la vie politique et sociale du pays. Une conséquence directe du choix des Alliés qui, après la seconde guerre mondiale, étaient soucieux d'établir un contrepoids supplémentaire face au pouvoir exécutif.

Le 12 septembre, les huit juges de la Cour rendront leur avis provisoire sur toute une série de plaintes déposées après l'approbation par le Parlement, le 29 juin, des projets de loi instaurant le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le pacte budgétaire. L'avis définitif n'interviendra que bien plus tard, mais la décision de la Cour en donnera un avant-goût. Les plaignants ont déjà gagné une première manche.

 

En raison de leurs recours, le MES, qui devait entrer en vigueur le 1erjuillet, a d'ores et déjà plusieurs mois de retard.

 

Fait inhabituel, la Cour, saisie en urgence, a décidé de recevoir les plaignants le 10 juillet. Elle s'est, de façon tout aussi exceptionnelle, accordé deux mois de réflexion pour étudier ces plaintes, prenant le risque de retarder la mise en route du MES. Sans doute parce que les questions posées sont complexes et importantes, mais aussi parce que les plaignants représentent un échantillon significatif de la société allemande. On y trouve notamment un parlementaire, Peter Gauweiler (CSU), opposé à l'euro depuis la première heure ; une association dénommée Plus de démocratie, qui a rassemblé 37 000 signatures et qui est soutenue, entre autres, par le parti Pirates et la puissante Association des contribuables ; une ancienne ministre de la justice sociale-démocrate, Herta Däubler-Gmelin ; et le parti de la gauche radicale Die Linke.

 

 

Pour les plaignants, les députés n'avaient pas le droit d'approuver le Mécanisme européen de stabilité, qui pourrait, selon eux, conduire à une responsabilité illimitée des Etats actionnaires, notamment l'Allemagne, le premier d'entre eux. En effet, le MES est autorisé à emprunter auprès d'"autres institutions" une formulation qui laisse penser qu'il pourrait être doté d'un statut bancaire et emprunter auprès de la Banque centrale européenne. Les plaignants estiment aussi que le Bundestag n'a pas suffisamment son mot à dire sur les prises de décision du MES.

Concernant le pacte budgétaire - qui contient la fameuse règle d'or d'équilibre des comptes publics -, les plaignants s'inquiètent qu'aucune limite temporelle n'ait été fixée et qu'il soit juridiquement irréversible.

 

Comme une partie de la gauche française, Die Linke estime, en outre, que ces textes contreviennent aux droits du Parlement, notamment parce que la Commission européenne doit agréer les budgets. Par ailleurs, ces traités internationaux rendraient, dans les faits, impossible un changement de politique, notamment sur le plan social. Une plainte estime aussi que, avec ces mécanismes, l'Union européenne devient un véritable Etat fédéral remettant en cause la souveraineté de l'Allemagne. Certains plaignants jugent que seul le peuple a le droit d'autoriser un transfert de compétences du Bundestag à une institution européenne.

 

 

Que peut faire la Cour ? Elle peut bien entendu valider les textes de loi adoptés par les deux tiers des parlementaires, et permettre au président de la République de les signer tels quels.

 

Ce "happy end" pour le gouvernement et les responsables européens n'est pourtant pas l'hypothèse la plus plausible.

 

Tant le choix deconvoquer les plaignants que le délai de deux mois qu'elle s'est donné semblentindiquer que la Cour considère ce sujet comme extrêmement important. Néanmoins, l'une des particularités de la procédure orale est de prendre en compte non seulement le fond de l'affaire mais aussi les conséquences de la décision. Or, tant Angela Merkel que le ministre des finances, Wolfgang Schäuble, ont indiqué que la mise en oeuvre du MES était absolument nécessaire.

 

 

A l'inverse, l'autre possibilité serait que les juges suivent les plaignants et déclarent ces textes incompatibles avec la Constitution. Ce serait évidemment un tremblement de terre politique en Allemagne et en Europe. Le Mécanisme européen de stabilité ne peut entrer en vigueur qu'après ratification par les Etats représentant 90 % de son capital. L'Allemagne (comme la France, l'Italie et l'Espagne) ayant plus de 10 % du capital, son accord est indispensable. Cette hypothèse n'est pourtant pas totalement exclue. Selon certains politologues, cette crainte pourrait expliquer que depuis quelques mois des responsables politiques de gauche comme de droite se déclarent favorables à l'organisation d'un référendum sur l'Europe, histoire de crever l'abcès et de préparer par avance l'opinion à ce qui ressemblerait fort à une crise constitutionnelle.

Mais, comme le faisait remarquer récemment le juriste Mattias Kumm dans laFrankfurter Allgemeine Zeitung, il ne sera pas évident pour la Cour de démontrer que ces textes menacent la démocratie allemande alors qu'ils ont été approuvés dans les autres démocraties européennes quasiment sans coup férir. Par ailleurs, qui peut vraiment croire que le MES et le pacte budgétaire auront plus d'impact sur la vie des Allemands que le traité de Maastricht ou la réunification allemande, qui, en leur temps, n'ont pas nécessité de changement de Constitution ? C'est pourquoi l'hypothèse d'un rejet pur et simple ne semble pas non plus la plus probable.

Reste une solution intermédiaire : une approbation sous condition. C'est-à-dire en bordant les possibilités d'emprunt du MES ou en renforçant les droits du Parlement allemand. Ce serait dans la droite ligne des décisions de la Cour de Karlsruhe en matière européenne.

 

Depuis son jugement sur le traité de Lisbonne, la Cour n'a de cesse qu'elle accompagne le processus d'intégration européenne tout en émettant une réserve de taille : l'Union européenne n'étant qu'un regroupement d'Etats et non une véritable confédération, elle n'apparaît pas suffisamment démocratique aux juges de Karlsruhe pour que lui soient transférés des pouvoirs importants.

 

 "Les gens veulent une Europe forte, mais ils veulent une Europe dont ils peuvent influencer les décisions et le développement et dont ils comprennent le fonctionnement",

 

 résume Andreas Vosskuhle, président du tribunal, dans Die Zeit.


Certains contestent cette logique et soupçonnent même les juges de Karlsruhe de défendre leur pré carré face à la Cour de justice européenne. Mais la jurisprudence de Karlsruhe est constante et devrait amener un jour ou l'autre les juges à mettre un terme au processus d'intégration dans le cadre législatif actuel. Même si elle inscrit sa démarche dans une autre logique - pas de solidarité sans contrôle -, c'est sans doute également pour cette raison qu'Angela Merkel insiste tant auprès de ses partenaires européens pour relancer l'intégration politique au sein de l'Union européenne.

 

 

Frédéric Lemaître

(correspondant à Berlin)

Lemonde.fr



12/09/2012
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