KISWAHILI UN JOYAU LINGUISTIQUE
LE KISWAHILI, UN JOYAU LINGUISTIQUE
Le kiswahili, un joyau linguistique
Retour sur les origines et la diffusion de la langue swahilie, qui gagne du terrain en Afrique de l'Est et dans les Grands Lacs.
Des mots ou des expressions popularisés par des films et des livres. Du roman La ferme africaine de Karen Blixen, qui donna le film Out of Africa, au dessin animé de Disney Le Roi lion, tout le monde connait au moins un mot de kiswahili. Hakuna matata («il n’y a pas de problème»), pole pole («doucement»), rafiki («ami») ou safari («voyage») arrivent certainement en tête.
Mais le kiswahili, largement parlé en Afrique de l’Est et des Grands lacs, relève de toute autre chose. Son importance ne se dément pas: il s’agit, selon l’université américaine de Stanford, de la langue la plus parlée en Afrique après l’arabe, mais la première d’origine continentale. Quant au nombre de locuteurs, le doute persiste car aucune étude n’existe sur le sujet même si des estimations de la Banque mondiale, datant de 2005, évaluent ce nombre compris entre 120 et 150 millions de personnes à travers le monde.
Du fait de la diaspora et des enseignements proposés, le kiswahili est parlé sur les cinq continents. Les plus prestigieuses universités américaines ont ainsi leur propre département de kiswahili au sein de leur faculté de langues. Selon l’université de Virginie, plus d’une centaine d’universités l’ont inclus dans leur programme sur la planète. Les radios internationales, avec dernièrement RFI, diffusent les informations en kiswahili en Afrique de l’Est.
Si la Tanzanie, avec Zanzibar, est l’Etat swahiliphone par excellence, la langue est largement parlée et comprise au Kenya. Les Comores, l’Ouganda, leRwanda, le Burundi, et l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) comptent également des milliers de locuteurs. L’usage de la langue est aussi courant dans le Nord du Mozambique, du Malawi et de la Zambie.
Une langue façonnée depuis des siècles
Le kiswahili est une langue façonnée depuis des siècles par les influences touchant la côte orientale du continent, où elle est apparue aux alentours du Xe siècle. On y retrouve ainsi le poids de l’arabe dans les chiffres.
L’origine du mot swahili vient d’ailleurs de l’arabe sahil qui signifie «côte, littoral».
Le kiswahili serait né de la rencontre entre les peuples bantous du littoral et les marchands arabes et persans sillonnant l’océan Indien et habitant les îles.
Sa diffusion dans l’intérieur du continent remonte à moins de deux siècles. Elle se fit au cours du XIXe siècle par les caravanes arabes, envoyées pour capturer des esclaves à l’intérieur du Tanganyika (ancien nom de la Tanzanie continentale). Les caravanes atteignaient le sud de l’Ouganda peu avant 1850, et l’Est de l’actuelle RDC entre 1870 et 1884, participant ainsi à la diffusion de la langue swahilie. Les Arabes vendaient les esclaves capturés une fois de retour sur la côte, et surtout à Zanzibar, le centre de ce commerce, où le sultan d’Oman avait transféré sa capitale.
C’est à cette époque que les missionnaires occidentaux, débarqués vers la fin du XIXe siècle, réalisent les premiers ouvrages en kiswahili en alphabet latin. S’il existait une écriture, elle était en caractères arabes. C’est un religieux français, à la veille de 1900, qui réalisa le premier lexique franco-swahili. En 1928, une conférence entre les pays de l’Est du continent donna naissance au véritable premier dictionnaire anglais-kiswahili. Et normalisa par la même occasion la langue car il existait plusieurs formes de kiswahili.
«Kiswa-English»
La Tanzanie de Julius Nyerere saisit la première, en 1967, l’intérêt d’instaurer le kiswahili comme langue nationale. En fédérant une nation autour d’une langue commune, Nyerere évitait ainsi le piège ethnique. Aujourd’hui, l’enseignement public en école primaire est exclusivement en kiswahili. Les médias tout comme les hommes politiques tanzaniens s’expriment dans cette langue, même si tous maîtrisent l’anglais. Au Kenya, toute la population ne parle pas le kiswahili. Le luo ou le kikuyu, par exemple, dominent encore largement dans leur bassin respectif.
Le kiswahili a historiquement emprunté à une langue étrangère puis façonné un mot qu’il n’avait pas dans son propre vocabulaire. Si ce fut le cas avec l’arabe, le persan et le portugais, c’est de plus en plus courant avec l’anglais. Ainsi, ordinateur (computer en anglais), se dit kompyuta en kiswahili. Les exemples sont nombreux. On retient la version phonétique anglaise pour l’écrire en kiswahili.
La littérature swahilie a fleuri, et fleurit encore. Les plus grands classiques occidentaux ont été traduits, à l’image d’un Julius Nyerere qui à la fin de sa vie avait mis à la portée des Tanzaniens de nombreuses œuvres de Shakespeare en kiswahili.
Enfin, une nouvelle pratique a vu le jour, celle du «Kiswa-English». Particulièrement visible parmi les étudiants qui mélangent kiswahili et anglais à tour de bras, un mot après l’autre, cette langue nouvelle génération a le don d’irriter les défenseurs du kiswahili.
«C’est pour nous montrer qu’ils sont éduqués, et qu’ils connaissent l’anglais», disent les détracteurs.
Et le pire, c’est que même les politiciens s’y mettent, se coupant ainsi de leur audience la plus large. Le phénomène est surtout visible au Kenya et en Tanzanie, où le kiswahili est de moins en moins utilisé au sein des classes aisées. Il faut y voir les conséquences de la percée des écoles primaires et secondaires privées, où l’enseignement n’est qu’en anglais. Le reste de la population –l’écrasante majorité en fait– étant confinée au kiswahili.
Arnaud Bébien
SLATEAFRIQUE
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1520 autres membres