C’est une très grande décision de justice qu’a rendue la Haute Cour de Londres ce vendredi, jugeant recevable la plainte de trois patriotes Kényans âgés de plus de 70 et 80 ans qui ont été torturés pendant l’ère coloniale britannique, dans les années 1950. Une grande victoire pour les trois plaignants, et au-delà, d’immenses perspectives qui s’ouvrent pour les peuples, par le respect du droit.
Le mouvement Mau Mau
Les faits datent des années 1952 à 1960, dans ce qui était le Kenya colonisé par les British. Les premiers feux du mouvement d’indépendance ont été ceux de Mau Mau, des patriotes avant-gardistes, qualifiés de terroristes criminels selon la propagande habituelle (encore très couramment utilisée de nos jours).
L’occupant étant armé (et comment…), la résistance Mau Mau s’est armée. Radicalement non-violent, je dois bien admettre, avec toute la pratique du droit international, que la présence d’un occupant armé légitime la résistance armée. C’est le prix de la paix, et le fautif est l’occupant,… qui doit juste déguerpir chez lui et payer pour les dommages occasionnés.
La répression britannique a été sauvage et on estime qu’au moins 10.000 résistants Mau Mau ont été tués, dont 1090 pendus. La Commission kenyane pour les droits de l’homme a déclaré que 90.000 Kenyans avaient été exécutés, torturés ou mutilés lors de la répression, et 160.000 détenus dans des conditions épouvantables.
Chez les colons britanniques, le chiffre est connu : 32 morts.
Le Kenya est devenu indépendant en 1962, miné par les divisions internes qu’avait cultivées les British, et malgré son rôle dans l’indépendance, le mouvement Mau-Mau est resté illégal jusqu’en 2003, date à laquelle l’actuel président Mwai Kibaki a levé l’interdiction. Désormais, trône au centre de Nairobi une statue d’un des principaux dirigeants Mau-Mau, Dedan Kimathi, qui avait été arrêté en octobre 1956 et pendu l’année suivante. Il a été réhabilité cinquante ans plus tard, et est aujourd’hui considéré comme un héros de l’indépendance.
L’action en justice des trois Kenyans
C’est dans ce contexte que prend place l’action en justice engagée par quatre Kenyans torturés au cours de la révolte des Mau Mau, en 2009. L’un d’eux est décédé depuis. Les trois Kényans, une femme et deux hommes âgés de 60 à 70 ans – Jane Muthoni Mara, Paulo Muoka Nzili et Wambugu Wa Nyingi – affirment avoir été torturés et victimes d’abus sexuels alors qu’ils étaient en détention dans un camp britannique. Deux d’entre eux ont été castrés par leurs gardes, et la femme a été violée.
Les autorités britanniques n’ont pas trop contesté les tortures, trop évidentes, mais elles ont plaidé d’une part la prescription, et d’autre part la responsabilité du Kenya indépendant, au nom de la continuité de l’Etat. Ben voyons… En partant, ils gardent sur place leurs services secrets et le contrôle de l’économie, mais la responsabilité, c’est pour eux.
La Haute Cour, sous la signature du juge Richard McCombe a estimé
« qu’un procès équitable restait possible » en raison de la présence de preuves pertinentes :
« J’estime que la base de documents disponibles est tout à fait substantielle et de nature à dégager un tableau très complet de ce qui se passait dans les cercles gouvernementaux et politiques à Londres et au Kenya durant la loi d’urgence ».
Le gouvernement, foncièrement épris de justice, a annoncé sa décision de faire appel.
Dans le cadre du procès, le Foreign Office a été obligé de rendre public toutes ses archives se rapportant à cette époque coloniale. Avec 300 cartons de documents qui étaient restés confidentiels.
L’ordre plutôt que la justice ? Ce genre de système d’Etat mafieux, qui peut tenir longtemps et fait des ravages, perd toujours. C’est une leçon millénaire que les crapules d’Etat n’arrivent pas à imprimer. Heureusement, il reste des patriotes, des lois, des juges et le goût de la liberté.
Source: lesactualitesdudroit
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