LA SOCIETE CAROLINGIENNE
719 à 924
La société carolingienne
L'empire de Charlemagne nous renvoie aux périodes les plus obscures de notre Histoire, entre les invasions barbares (Ve et VIe siècles), qui ont mis fin à l'empire romain, et l'An Mil, qui a vu les populations européennes se constituer en États.
L'époque carolingienne s'étend sur deux siècles, les VIIIe et IXe. Elle est marquée par l'éclatement de l'empire romain en trois blocs antagonistes : l'empire arabo-musulman, l'empire byzantin, enfin, l'empire d'Occident ou empire carolingien.
Au début du VIIIe siècle, une famille d'origine franque, descendante d'un évêque de Metz, Arnoul, et d'un fameux guerrier, Pépin de Herstal, va rénover l'ancien royaume franc de Clovis, qui s'étendait des Pyrénées à la Rhénanie.
Sous la conduite de son plus illustre rejeton, Charlemagne, elle va jeter aux orties ce qui restait en Occident de l'héritage romain et, sans en avoir conscience, elle va engendrer dans la douleur un monde nouveau, tourné vers la mer du Nord, appuyé sur l'Église de Rome et dirigé par une noblesse guerrière unie par un vigoureux réseau de liens familiaux et vassaliques.
L'Antiquité s'est prolongée dans le monde occidental (l'Europe et les rives de la Méditerranée) jusqu'au VIIe siècle. Sous Clovis et les premiers rois mérovingiens de sa descendance, la Gaule vit encore à l'heure romaine.
Les villes conservent toute leur importance, quoique l'insécurité et les invasions les aient considérablement amoindries.
- Dans ces villes résident les détenteurs du pouvoir civil et religieux, comtes et évêques.
- Dans ces villes se concentrent aussi l'artisanat, le commerce et ce qui reste d'activité intellectuelle. Grâce à elles se maintiennent des courants d'échanges entre l'Orient et l'Occident, via la mer Méditerranée.
Tout change au cours du VIIe siècle (après l'an 600). De la lointaine péninsule arabe surgissent des cavaliers exaltés par une nouvelle foi, l'islam.
- En Orient, Héraclius transforme l'empire romain d'Orient en empire byzantin, grec et non plus latin.
- En Occident, au fil des successions et des partages à la mode franque, l'ancien royaume de Clovis se partage entre trois«royaumes» rivaux, la Neustrie (bassin parisien), l'Austrasie (bassin du Rhin et de la Meuse) et la Burgondie ou Bourgogne (bassin rhôdanien), sans compter les régions périphériques plus ou moins autonomes: Aquitaine, Provence et pays d'Outre-Rhin.
Selon la thèse célèbre de l'historien Henri Pirenne, l'antagonisme entre les religions chrétienne et musulmane, à partir du VIIe siècle, aurait rendu très périlleuse la navigation en Méditerranée et limité les échanges commerciaux (*). Il serait à l'origine de la scission du monde méditerranéen en trois blocs :
– un monde arabo-musulman étendu des Pyrénées au coeur de l'Asie,
– un monde byzantin encore plein de vitalité, en Asie mineure et dans la péninsule balkanique, étendant son influence au monde slave,
– un monde carolingien recentré sur les les régions situées entre Rhin et Meuse, en liaison étroite avec l'Italie.
Dans les faits, le changement a sans doute d'autres causes, en particulier démographiques, voire climatiques.
Après l'essouflement de l'économie urbaine en Occident, au temps des Mérovingiens, un redressement démographique s'amorce au début du VIIIe siècle, peut-être favorisé par un léger réchauffement climatique. Il touche l'ancien«Regnum Francorum» ou royaume franc, un peu plus tard en Italie et en Aquitaine.
Les populations se relèvent lentement des violentes épidémies de peste qui les ont frappées au temps des premiers Mérovingiens. La production agricole se redresse et de nouveaux courants d'échanges s'établissent dans la mer du Nord et la Baltique, vers l'empire byzantin et les pays slaves. Ces courants n'ont rien à voir avec le tropisme méditerranéen de l'Antiquité.
La croissance de la population rurale et le regain des échanges entraînent la montée en puissance des propriétaire fonciers.
Ceux-ci, généralement des chefs barbares dotés de terres par le roi, renoncent au système antique des latifundia, autrement dit des grandes exploitations gérées en direct avec des masses d'esclaves. Ils préfèrent installer (ou «chaser») les anciens esclaves sur une portion de leurs terres et les laisser libres de l'exploiter à leur guise en échange de redevances en nature (céréales...) ou en argent ainsi que de services sur le domaine que conserve le maître en propre (la «réserve»).
Ce système permet de dégager quelques surplus qui vont alimenter les marchés locaux. Il assure aussi à l'aristocratie guerrière qui possède la terre des ressources pour entretenir ses fidèles et ses proches. Ainsi se développent de puissants réseaux de solidarités familiales qui contrebalancent la déliquescence du pouvoir royal.
La christianisation des campagnes de la Gaule du nord et des pays rhénans contribue au renforcement du pouvoir de l'aristocratie. Ces campagnes n'avaient sous les premiers Mérovingiens qu'un vernis chrétien et restaient attachées à leurs traditions païennes. Dès le VIIe siècle, elles sont parcourues par des missionnaires souvent venus des îles britanniques ou encore d'Aquitaine.
Les aristocrates les soutiennent en construisant des églises où ils se retrouvent aux côtés de leurs dépendants et en multipliant les fondations de monastères. Dans ces monastères généralement éloignés des villes tend à se concentrer l'essentiel de la vie intellectuelle.
Parmi les familles aristocratiques du «Regnum Francorum» se détache celle de Pépin de Herstal. Ses membres se feront connaître sous le nom de Pippinides et plus tard de Carolingiens.
Tout commence en 635, sous le règne du roi Dagobert, dernier des grands rois mérovingiens... Cette année-là, Pépin de Landen, grand propriétaire foncier d'Austrasie, marie sa fille Begga à Anségise, fils de son ami, l'influent et riche évêque de Metz, Saint Arnoul. C'est le début d'une irrésistible ascension familiale.
Le fils d'Anségise et Begga, Pépin de Herstal (Herstal est une localité proche de Liège), devient maire du palais (Premier ministre en quelque sorte) du roi mérovingien d'Austrasie, lequel ne démérite pas de sa réputation de «roi fainéant». En 687, par sa victoire de Tertry, près de Péronne, sur les Neustriens, il refait l'unité des trois royaumes francs (Neustrie, Austrasie et Bourgogne).
Son fils bâtard Charles Martel poursuit son oeuvre en qualité de maire du palais. Une nouvelle victoire sur les Neustriens à Néry, en 719, consolide l'unité des trois royaumes francs. Un peu plus tard, Charles Martel soumet le duché de Thuringe, l'Aquitaine, l'Alémanie et la Bavière. Ces anciennes excroissances du Regnum Francorum s'étaient au fil des décennies émancipées. Les voilà de retour dans la famille.
En dépit de ses succès et de sa puissance, Charles Martel néglige de prendre le titre de roi. Il laisse ce soin à son fils Pépin II le Bref. «Il vaut mieux appeler roi celui qui a plutôt que celui qui n'a pas le pouvoir», dit en substance le pape Zacharie, condamnant définitivement la dynastie mérovingienne issue de Clovis.
Pépin meurt en 768 et partage son immense domaine entre ses deux fils à la mode germanique. Fort heureusement, la mort du cadet permet au survivant de devenir seul roi en 771. Pendant son long règne, jusqu'à sa mort en 814, Charles que la postérité connaît sous le nom de Charlemagne (déformation du latin Carolus Magnus, Charles le Grand), va poursuivre la politique guerrière de ses prédécesseurs dans une suite incessante de guerres, en premier lieu contre les fils de Carloman et leurs partisans, en second lieu contre les Saxons païens de Germanie, les musulmans d'Espagne et les Lombards qui menacent le pape.
Les succès militaires des Francs ne doivent rien au hasard. Ces guerriers, fantassins ou cavaliers, bien protégés par des cuirasses de fer, témoignent d'une discipline au combat qui impressionne leurs assaillants, tels les Arabes d'Abd el-Rahmann.
Les Francs ont emprunté à leurs ennemis Avars l'étrier. Cet équipement nouveau donne aux guerriers à cheval une plus grande stabilité et leur permet de frapper leur adversaire avec la lance à l'horizontale. Sous les Pippinides, c'est à ces guerriers à cheval ou «chevaliers» que revient peu à peu la prépondérance dans les combats.
C'en est pour longtemps fini des légions de fantassins à la romaine. Les Pippinides restaurent le service militaire à l'antique. Tout homme libre y est astreint. Charlemagne imposera de lourdes amendes à quiconque s'y refusera... Les convocations se font habituellement en mars et les hommes sont libérés en septembre. Heureusement, une petite partie seulement des conscrits sont appelés.
Les guerres rapportent beaucoup de richesses aux Pippinides et à leurs fidèles. Ces derniers sont récompensés par une part du butin et surtout par des terres, qu'ils pourront à la fin de l'époque carolingienne transmettre à leurs héritiers. D'où l'émergence d'une noblesse héréditaire.
Les Carolingiens, dès Charles Martel, rassemblent aussi leurs fidèles par des liens de vassalité d'homme à homme. Eux-mêmes multiplient les vassaux royaux qui leur font directement allégeance et leur confèrent des «bénéfices» (terres ou revenus) en contrepartie des services qu'ils sont amenés à rendre. En 792, Charlemagne impose à tous les hommes libres un serment de fidélité
Dans leur irrésistible ascension, les Pippinides bénéficient de l'appui du pape, évêque de Rome, qui ne peut plus compter sur la protection de l'empereur byzantin, trop occupé par ailleurs à guerroyer contre les musulmans.
Les Pippinides eux-mêmes ne ménagent pas leur soutien à la papauté et, dès le règne de Pépin le Bref, organisent de nombreux conciles pour réformer les institutions ecclésiastiques. Les évêques jouent un rôle déterminant dans la société carolingienne car ils conseillent le souverain.
C'est ainsi qu'émerge chez certains clercs, tel le moine anglais Alcuin, l'idée de restaurer un empire romain en Occident. Charlemagne se laisse convaincre et il est couronné par le pape Léon III à Rome en l'an 800.
À la différence de l'ancien empire romain, où les sujets se reconnaissaient par la soumission à une même loi, ce qui fait l'unité du nouvel empire d'Occident est l'appartenance commune à la chrétienté occidentale, dirigée par le pape.
La diversité ethnique de l'empire n'est pas remise en cause et chaque groupe ou peuple conserve ses lois propres. A noter aussi que l'empire reste dominé par les Francs. On qualifie même le peuple franc d'«élu de Dieu», sans connotation raciste, sa supériorité militaire étant le fruit de sa piété.
Cette miniature montre Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne béni par la main de Dieu, avec à ses pieds la personnification des principales provinces de son royaume. Elle est extraite du Codex aureus ou Évangile de saint Emmeran de Rastibonne (Bibliothèque de Munich).
Avec Charlemagne, pour la première fois au Moyen Âge, la culture est mise au service du pouvoir, à la faveur de ce que le médiéviste Jean-Jacques Ampère (fils du physicien André Ampère) a appelé la «renaissance carolingienne» (1839).
Bien qu'illettré et de langue germanique, l'empereur s'inquiète de la disparition du latin dans l'empire d'Occident en lequel il veut voir une prolongation de l'ancien empire romain ! Il fait donc venir des lettrés de tous horizons.
Le plus important est un moine d'Angleterre, le savant Alcuin. Il impose la création d'une école par diocèse et par monastère. Il lance des programmes de copie des manuscrits antiques. Il réintroduit l'usage du latin à l'abbaye de Saint-Martin de Tours, où les moines ne savaient même plus lire le texte latin de la Bible, la Vulgate, dans la traduction de saint Jérôme du Ve siècle.
Les moines d'Irlande, qui ont pieusement conservé la pratique du latin à l'abri des invasions et des troubles, apportent leur concours à Alcuin dans les différentes abbayes du continent.
C'est ainsi que le latin revient en force chez les clercs de l'Église et des cours princières. Son usage va à nouveau s'épanouir dans tous les milieux cultivés d'Occident... jusqu'à l'aube du XVIIIe siècle (le grand savant Isaac Newton, qui mourut en 1727, publiera ainsi ses premiers ouvrages en latin et les derniers en anglais).
On retrouve les traces de la renaissance du latin dans les langues modernes avec des mots à deux racines. Par exemple,eau est une déformation populaire ancienne du latin aqua tandis qu'aquatique est une création savante tardive de la renaissance carolingienne, plus proche de la racine latine.
Au VIIIe siècle, les copistes du monastère de Corbie, en Picardie, inventent aussi une écriture cursive qui leur permet de travailler plus vite qu'avec l'écriture en capitale héritée des Romains. Cette écriture, dont dérivent nos minuscules actuelles, est dite «caroline» en l'honneur de Charlemagne. Les serments de Strasbourg (842) en offrent un bon exemple.
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