Lettre ouverte d’Honoré NGBANDA NZAMBO au Président YOWERI KAGUTA MUSEVENI
Ma réaction à votre lettre du 11 janvier 2013 au Secrétaire Général de l’ONU
Excellence Monsieur le Président,
Depuis notre dernière rencontre du 20 février 1997 à 10 heures à l’hôtel Cape Sun à Cape Town en Afrique du Sud, malgré les liens d’amitié qui nous liaient, je me suis abstenu de tout contact direct ou indirect avec vous jusqu’à ce jour pour des raisons que vous connaissez bien. Mais si je me suis résolu de m’adresser directement à vous à travers cette lettre ouverte, c’est pour deux raisons majeures. Premièrement, parce que je réalise que vous venez de passer à la phase décisive du projet de balkanisation de la République Démocratique du Congo, et votre lettre du 11 Janvier 2013 au Secrétaire général de l’ONU lui distille à cette fin des messages sibyllins qui ne m’ont pas échappés et que je me fais le devoir de les décrypter ici. Deuxièmement, si j’ai choisi la forme d’une lettre ouverte, c’est parce que je voudrais saisir cette opportunité pour alerter et prendre en même temps à témoins, l’opinion nationale congolaise ainsi que la communauté internationale au sujet de votre approche et de vos objectifs secrets qui risquent de plonger toute notre région des Grands Lacs dans une longue crise dont personne ne peut prédire l’issue aujourd’hui.
Monsieur le Président,
Lorsque le Maréchal MOBUTU avait accepté en 1985 de vous soutenir, avec le concours du Président ARAP MOI du Kenya, dans votre combat pour le rétablissement de la paix, la sécurité et la stabilité qui manquaient cruellement en Ouganda, il ne vous avait rien exigé en retour, ni pour son intérêt personnel, ni pour celui de la République du Zaïre. Par contre, aujourd’hui, votre démarche politique envers la République Démocratique du Congo, cache très mal des visées secrètes égoïstes et inavouables.
Vos thèses et vos propositions pour résoudre une crise que vous avez vous-même créée en République Démocratique du Congo depuis 1996 ne visent qu’à promouvoir les intérêts propres à votre pays, et à ceux de vos alliés en Afrique et dans le monde.Depuis le début de cette guerre que le Rwanda et l’Ouganda mènent contre le peuple congolais depuis douze ans, vous prenez toujours comme prétexte, la défense d’une certaine communauté qui change d’identité, d’appellation et de nombre au gré du temps et des circonstances.
Il vous souviendra, Monsieur le Président, qu’un mois à pein après le déclenchement de la guerre contre le Zaïre, à l’issue de la séance de travail que j’ai eue avec vous-même et le vice-président Paul KAGAME le 4 novembre 1996 dans vos bureaux à Kampala, vous aviez reconnu, grâce aux preuves que je vous avais présentées, être les initiateurs et les organisateurs de cette guerre, alors que pour vous camoufler, vous l’aviez baptisée dès le premier jour de « Révolte des Banyamulenge».
Un mois plus tard, juste avant notre rencontre, ayant constaté que ce mensonge ne tenait pas la route, vous aviez sorti alors Laurent Désiré KABILA de sa ferme située dans la banlieue de Kampala pour le parachuter, le 30 octobre 1996, à la tête de «la lutte de libération du Congo contre la dictature de Mobutu», deuxième version officielle de cette agression. Vous-vous rappellerez alors qu’à l’issue de cette rencontre à trois qui avait durée 3heures et 20 minutes, ayant reconnu devant moi être les auteurs de cette agression, vous et le vice-président KAGAME m’aviez remis à l’intention du président MOBUTU, de son gouvernement et de l’Union Européenne, un document intitulé «Proposition du Rwanda et de l’Ouganda pour la Paix. (Suggestions au Président MOBUTU) ».
Je vous rappelle que sur les 12 « suggestions » qui étaient en fait les ultimatums des puissances extérieures qui vous soutenaient, vous aviez écrit au point 5 : «Que le gouvernement du Zaïre restitue la nationalité aux ayants-droit (les Banyamulenge) conformément au droit international en la matière» (c’est moi qui souligne).
Curieusement, je constate aujourd’hui que dans votre lettre au Secrétaire général de l’ONU, le vocable «Banyamulenge» a disparu, et vous l’avez remplacé par un nouveau vocable de «Banyarwanda» que vous qualifiez de «groupe ethnique congolais» pour lequel vous réclamez encore et toujours «le droit de citoyenneté».
Mais en réalité, ce que vous visez, c’est l’autodétermination des ressortissants tutsis rwandais, ougandais et burundais sur le territoire congolais, pour parvenir à la fin, à la formation d’un «tutsi land»!
Monsieur le Président,
Dois-je vous rappelez que dans tous les pays du monde, y compris en République Démocratique du Congo comme en Ouganda, tous les groupes sociaux à caractères ethniques sont répertoriés et identifiés selon une nomenclature officielle de l’administration de l’Etat?
Quel est donc ce pays où les entités ethniques changent de dénomination et de nombre au gré du vent ? Quel est finalement le groupe pour lequel vous réclamez la nationalité, est-ce les «Banyamulenge» ou les «Banyarwanda» ? Où ce groupe est-il répertorié dans les archives officielles de la RDC telles que nous léguées par la colonisation belge?
Je ne dis pas que la RDC ne peut pas accorder la nationalité aux différents étrangers ou groupes d’étrangers qui ont choisi d’immigrer en RDC pour diverses raisons humanitaires ou autres. Mais faut-il que cela se fasse selon les normes prévues par les lois congolaises.
Mais au vu du droit international que vous évoquez dans votre lettre, la nature du problème que vous posez est totalement interne en République Démocratique du Congo et elle relève de sa souveraineté nationale. Ce problème n’autorise donc nullement l’Ouganda et le Rwanda à lever leurs armées pour envahir toute la RDC jusqu’à Kinshasa ! La nature de ce problème disais-je, autorise encore moins les armées du Rwanda et de l’Ouganda à se livrer aux massacres et aux viols des populations congolaises qu’elles chassent massivement de leurs terres pour donner celles-ci à leurs populations. Elle ne les autorise pas non plus à organiser le pillage systématique des richesses de la RDC au point de se battre sur le territoire congolais pour contrôler le trafic des matières précieuses (l’or et le diamant) comme ce fut le cas de l’affrontement scandaleux entre vos troupes ougandaises et celles de Paul KAGAME à Kisangani en 2002!
Monsieur le Président,
Dans votre lettre, vous évoquez comme deuxième préoccupation des problèmes « qui doivent faire partie du cadre de travail si nous voulons solutionner à long terme le problème de la RDC». Et vous définissez ce problème au point 2 comme étant celui «des forces négatives qui continuent à utiliser le territoire de la RDC comme un refuge pour déstabiliser ses voisins ».
Voilà ce que j’ai qualifié plus haut de langage sibyllin. Je trouve en effet que cet argument n’est qu’un prétexte fallacieux qui cache plutôt des visées secrètes et inavouables. En effet, si ces forces négatives constituaient réellement, selon vous, des préoccupations sécuritaires majeures au point de justifier l’agression du Zaïre en 1996 par vos armées, comment alors expliquer que vous n’ayez pas pu éradiquer ces fameuses «forces négatives» opérant toutes le long de la frontière de la RDC avec vos pays respectives, alors que vos armées ont envahi et occupé durant plusieurs années la RDC jusqu’à Kinshasa située à 2000 Km de la frontière avec vos «territoires menacés»?
Je vous rappelle, Monsieur le Président, que les troupes ougandaises commandées par des généraux très proches de vous, ont encadré les troupes du MLC de Jean Pierre BEMBA. Et pendant plus de deux ans, vos hommes ont contrôlé toute l’étendue du territoire congolais faisant frontière avec l’Ouganda. Pourtant, durant tout leur séjour sur le sol congolais , les a plus vus s’occuper du trafic des richesses de la RDC plutôt que de l’éradication de ces fameuses «forces négatives»! Les différents rapports des experts de l’ONU ont répertoriés les noms des officiers ougandais très proches de vous, et qui se sont livrés allégrement aux pillages des ressources congolaises.
Puis-je aussi vous rappeler, Monsieur le Président, que le lundi 19 décembre 2005, la Cour internationale de justice condamnait votre gouvernement parce qu’elle estimait que « l’Ouganda avait violé la souveraineté de la République Démocratique du Congo (RDC) et était responsable de violations des droits de l’homme commises dans ce pays lors de la guerre de 1998-2003. Le tribunal juge en outre l’Ouganda responsable d’actes de pillage en RDC car il n’a pas fait en sorte que ses soldats respectent les ressources naturelles de ce pays » (cfr. Article de l’AFP et Reuters du 19 décembre 2005). Dès lors, quel crédit doit-on accorder à votre « médiation » et à vos recommandations au Secrétaire général de l’ONU ?
La vérité, Monsieur le Président, est que les « forces négatives » constituent plutôt pour vous un fonds de commerce et un prétexte pour la réalisation du plan secret de la balkanisation de la RDC. Car votre démarche et celle du Président Paul KAGAME visent à arracher au peuple congolais une partie de son territoire qui fait frontière avec vos pays. Et pour cela, vous vous servez de la problématique des émigrés tutsi rwandais en RDC pour accomplir progressivement le projet d’annexion de la partie Est de la RDC à vos pays. Pour cela, une catégorie d’émigrés tutsis rwandais est instrumentalisée par vos deux gouvernements.
Devrais-je vous rappeler, Monsieur le Président, que le mouvement des émigrés rwandais en RDC est un fait historique et sociologique qui n’a jamais posé des problèmes depuis avant les années 1950 ? Devrais-je rappeler à votre mémoire que beaucoup de Congolais d’origine rwandaise ont occupé des postes de responsabilité en RDC depuis avant l’indépendance sans susciter une quelconque tension au sein du peuple congolais ? Alors, je vous invite à vous poser la question de savoir d’où et pourquoi est née la tension actuelle. Le peuple congolais a accueilli durant des décennies plus d’un million de réfugiés angolais sur son territoire dont près de la moitié dans la capitale congolaise, et cela n’a jamais créé une quelconque tension. Notre peuple vit en paix et en promiscuité avec six autres pays voisins dont les familles vivent de part et d’autre des frontières et se marient sans que cela pose un quelconque problème de citoyenneté ou d’origine.
N’avez-vous pas constaté, Monsieur le Président, que parmi les neufs pays voisins de la RDC, les six dont les peuples vivent en promiscuité avec le peuple congolais sans que cela pose problème ont tous comme dénominateur commun l’absence de l’ethnie tutsie chez eux?
Et qu’à contrario, seuls les trois pays voisins à l’Est de la RDC (le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi) qui comptent cette ethnie tutsie en leurs seins, sont à l’origine des problèmes conflictuels avec le peuple congolais? Comment expliquez-vous que plus de 200 ethnies que compte la RDC ne soient pas en guerre les unes contre les autres, et que seule l’énigmatique communauté des « Banyamulenge » ou «Banyarwanda», c’est selon, dresse contre elle toutes les ethnies de la RDC? Voilà la vraie problématique que nous devons creuser, si nous voulons la paix réelle dans notre sous-région d’Afrique.
Pour le reste, Monsieur le Président, vous savez que je sais les liens très étroits qui vous unissent au M23. Vous savez que je sais quelles sont les alliances secrètes dans la région de Grands lacs en faveur du M23. Vous savez enfin que je sais que vous connaissez les vrais initiateurs du M23 et leurs réels objectifs en RDC. Vous savez bien comment est né le M23, et pourquoi.
Vous savez que les prétendues négociations que préside l’Ouganda ne sont qu’une odieuse mise-en-scène destinée à aider le Rwanda et l’Ouganda à avancer dans leur projet conjoint d’obtenir la cession d’une partie riche du territoire congolais en faveur des peuples rwandais et ougandais.
Votre lettre au Secrétaire général de l’ONU ne vise qu’à déblayer le terrain pour poser ce jalon-là ! Voilà pourquoi je vous écris cette lettre ouverte pour dénoncer haut et fort cette manœuvre sordide. Jamais le peuple congolais ne laissera tomber un mètre carré de son territoire. Parler d’«une ethnie minoritaire» en RDC est une aberration, car la force du peuple congolais réside justement dans le fait que la grande majorité d’ethnies (plus de 200) est justement minoritaire! Chez nous en RDC, nous parlons plutôt de « petites et grandes ethnies» en fonction de leur nombre et de l’étendue de leur territoire. Mais cette notion exclue toute idée d’opposition entre ces ethnies! C’est cela qui fait qu’il n’y a pas de conflit ethnique en RDC. Par contre, il y a plus d’une centaine d’ethnies en RDC dont le nombre est inférieur aux «Banyarwanda» (pour reprendre votre expression) qui sont pourtant mieux représentés au sein des institutions de la RDC, plus que certaines grandes ethnies.
Monsieur le Président,
Je suis l’homme que vous avez connu et appelé «frère». Et je suis resté le même : sincèrement africain, profondément patriote, résolument attaché aux valeurs de paix, de liberté, de justice et de dignité! Je vous ai accueilli à Kinshasa en 1986 au nom de ces valeurs. Je ne vous ai jamais rien demandé en retour.
Regardons au bien-être des générations présentes et futures de nos peuples respectifs et de ceux de l’Afrique dans son ensemble. Nous ne construirons pas l’Afrique en cherchant la domination d’une ethnie sur une autre, ni d’un peuple sur un autre, en recourant à la ruse et à la force. La République Démocratique du Congo, mon pays, est aujourd’hui malade. Elle est malade d’une partie importante de son élite et de sa classe politique que vous manipulez à souhait. Mais elle a aussi une jeunesse qui observe, qui souffre, qui pleure certes, mais qui a compris ce dont notre peuple est victime et se relève sur les cendres de ses victimes. Ne créons donc pas aujourd’hui les conditions de drames futures pour nos enfants. Ne plantons pas les germes de la violence et de l’humiliation, car ils produiront demain les fruits du rejet et de la vengeance. Vous êtes un visionnaire, alors regardons plus loin et plantons dès aujourd’hui les germes de paix, de justice et de concorde pour des générations à venir.
Paris, le 21 Janvier 2013
Honoré NGBANDA NZAMBO KO ATUMBA
Président National de l’APARECO
Ci-dessous en annexe :
La lettre de Yoweri Kaguta Museveni au Secrétaire Général de l’ONU
Traduction française de la lettre de Yoweri Kaguta Museveni
au Secrétaire Général de l’ONU
(Lettre traduite par l’APARECO)
Kampala, le 11 Janvier 2013
Excellence,
Je vous envoie des salutations chaleureuses du Gouvernement et du peuple de l'Uganda, et vous souhaite une heureuse et prospère année 2013, comme nous nous battons pour gérer quelques problèmes liés aux grands défis qui affectent nos peuples.
Je voudrais vous remercier pour votre intérêt personnel continu et l'engagement sur les problèmes africains, et davantage sur la question de trouver une paix et sécurité durables dans la Région des Grands Lacs.
Je vous écris par rapport au Cadre de travail proposé pour la paix et la sécurité pour la RDC et la Région des Grands Lacs que vous m'avez envoyé en Décembre 2012. Je salue et je suis d'accord avec les propositions que vous m'avez faites dans ce Cadre de travail, concernant les principes d'engagement et d'obligations qui doivent etre suivis par le Gouvernement de la RDC, la Région des Grands Lacs et la Communauté internationale.
Néanmoins, il y a trois problèmes critiques, que je crois, qui doivent faire partie du Cadre de travail si nous voulons solutionner le problème de la RDC a long terme.
1. Les droits de citoyenneté pour certains groupes ethniques congolais doivent etre respectés et garantis. Faire autrement voudrait dire que ces groupes vont continuer de manière intermittente a se battre pour la reconnaissance de leurs droits comme citoyens de la RDC. Durant le temps de Mobutu, quelques groupes Tutsi étaient déclarés non-Congolais. Le Gouvernement actuel (Président Joseph Kabila) n'a pas répété la posture du Président Mobutu sur la non-Congolité des Banyarwanda. Toutefois, les Banyarwanda Congolais se plaignent pour les campagnes de haine qui sont tolérés par le Gouvernement. Ceci doit être discuté et résolu.
2.La question des forces négatives qui continuent à utiliser le territoire de la RDC comme un refuge pour déstabiliser ses voisins, et
3.L'usage déséquilibré et l'application des institutions du système de la justice internationale et les dispositions, particulièrement la Cour pénale internationale et le régime des sanctions des Nations Unies. Bien que combattre l'impunité soit idéal et acceptable, la recherche de la paix devrait précéder la justice, et devrait s'appliquer de manière égale a toutes les parties.
Dans le Cadre de travail proposé, en conséquence, les problèmes relevés aux points (1) et (2) ci-dessus doivent être inclus comme obligations de la RDC, et le point (3) devrait s'ajouter aux obligations de la Communauté internationale.
Veuillez accepter, Excellence, les assurances de ma très haute considération.
S/é Yoweri Kaguta Museveni
Président.