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MON POINT DE VUE SUR LE LIVRE DE CHARLES ONANA;CÔTE D'IVOIRE:LE COUP D'ETAT...

Mon point de vue sur le livre de Charles ONANA, Côte d'Ivoire: le coup d'État.

par Patrick Mbeko, mardi 3 avril 2012, 09:41 ·
 
Patrick Mbeko

Pour répondre aux questions qui m’ont été posées sur le livre d’ONANA sur la Côte d’Ivoire, je dirais simplement que l’enquête est bonne mais le livre me paraît très partial. À le lire, on a l’impression d’avoir affaire à un saint (Laurent Gbagbo) d’un côté et du diable (Alassane Ouattara) de l’autre. Sur la 4è de couverture, ONANA affirme que le président « Laurent Gbagbo n’est ni corrompu ni criminel ». Sur quels éléments s’appuient-ils pour affirmer cela? Je ne saurai le dire. Seulement, l’enquête menée par le journaliste Pierre Péan (La Républiques des mallettes) montre bien que Gbagbo faisait partie, dans une moindre mesure bien sûr, du système françafricain; il a, comme d’autres chefs d’État africains, financé les campagnes présidentielles françaises. Il est toutefois vrai, comme l’affirme ONANA,  que M. Gbagbo était différent de ses prédécesseurs. Il n’était pas aussi complaisant qu’eux. Il a su garder une certaine dignité. Quant à l’affaire des soldats tués à Bouaké, l’enquête d’ONANA montre clairement que les autorités françaises ont occulté la vérité. J’en étais arrivé à la même conclusion dans mon premier article sur la Côte d’Ivoire écrit dans les premiers jours de la crise. Mais à la différence d’ONANA, j’avais exploré une piste que peu de journalistes ont regardée : il s’agit de l’implication israélienne dans cette affaire. J’écrivais ceci : « Dans cette affaire, il semble que la France, la Côte d’Ivoire et l’État d’Israël eurent trouvé un compromis pour taire la vérité. D’autant plus que les réactions des autorités ivoiriennes après la riposte française avaient été molles, voire complaisantes. Le ministre appelant les “frères français” à la retenue. » En fait, peu de personnes savent par exemple que le président Gbagbo avait fait appel aux Israéliens après le refus de la France d’intervenir (contre la rébellion déclenchée en 2002 par Soro et ses amis) comme le préconisent les Accords de défense entre les deux pays en cas d’agression contre la CI. Les avions qui ont tué les soldats français étaient commandés par des pilotes biélorusses d’origine israélienne. Depuis 2003, des instructeurs israéliens participaient à la formation de certaines unités de l’armée ivoirienne. Le CECOS (les forces spéciales ivoiriennes) qui ont repoussé vaillamment les voyous venus du Nord et reconvertis en Forces républicaines (FRCI), ont été formés par les Israéliens. Après l’incident de Bouaké, les autorités françaises feront preuve d’une malhonnêteté indescriptible : au moment où elles accusaient le président Gbagbo d’en être le responsable premier, l’ambassadeur de France en Israël protestait vivement auprès des autorités israéliennes sur ce qui venait de se passer.

La fusillade à l’Hôtel Ivoire que Charles ONANA attribue aux forces françaises est en réalité le fait des mêmes mercenaires israéliens opérant en Côte d’Ivoire. Il y avait un centre d’écoute électronique ivoirien, au 21ème étage de l’Hôtel Ivoire géré jours et nuits par un groupe de 46 Israéliens. Ce centre surveillait les faits et gestes la Force Licorne. Ce sont ces gens-là qui vont tirer sur la foule pour diriger la colère de celle-ci contre les Français. Juste après l’événement, ces Israéliens seront exfiltrés via l’Italie.

 

La piste principale que le livre d’ONANA n’aborde pas, c’est celle de la guerre franco-américano-israélienne en Côte d’Ivoire. Il n’est pas juste de prétendre que les Américains et les Français ont toujours détesté le président Gbagbo depuis son arrivée au pouvoir en 2002, dans des conditions, rappelons-le, « calamiteuses » comme il le reconnaitra lui-même. En fait, la crise ivoirienne de 2002 a été une occasion pour les Américains et les Israéliens de s’introduire dans une des chasses gardées précieuses de la France. Rappelons qu’à l’époque les USA et la France étaient à couteaux tirés après le refus de la France de se joindre à la coalition des bandits qui a envahi l’Irak. Chirac et Bush étaient en guerre. Et la Côte d’Ivoire fera les frais de cette guerre.

Les groupes chrétiens américains liés au Pentagone et à la CIA ont été très présents en Côte d’Ivoire. Le propre pasteur du président Gbagbo, le Pasteur Koré Moïse, un ancien basketteur et ingénieur en communication, était très proche de ces groupes évangélistes. C’est lui qui allait acheter des armes pour le compte du gouvernement Gbagbo. C’est sans oublier que la présidence ivoirienne avait accordé des contrats pétroliers avantageux aux compagnies américaines proches de Dick Cheney.

Les communautés évangéliques américaines− très influentes sous Bush− ont influencé la politique de Washington en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas un hasard si on a vu certains milieux américains soutenir le camp Gbagbo durant les violentes manifestations de 2004 que nous avons décrites plus haut. Un lobbyiste américain a même déclaré : « (…) Les Américains et Africains-Américains, ont adhéré au combat et ont décidé de créer un comité de soutien aux idéaux démocratiques des Ivoiriens…Nous avons décidé de combattre la politique honteuse, cruelle et moyenâgeuse de la France en Afrique. Et croyez-moi, aux États-Unis, il y a des millions de personnes qui pensent comme nous et qui sont prêtes à nous soutenir (…) ». « Il y a aujourd’hui un congrès bipartite composé de Républicains et de Démocrates qui se sont mis ensemble pour la Côte d’Ivoire » déclarait Mme Rosa Whitaker, présidente du Whitaker Group, un cabinet de consultants très influent à Washington, spécialisé dans la promotion de la « coopération économique » entre les États Africains et les États-Unis. Ce cabinet regroupe de nombreux experts en industrie, commerce, développement économique, investissements et en affaires gouvernementales.

En réalité, le président Gbagbo n’a pas réalisé la mutation des relations entre la France et les USA suite à l’arrivée de Sarkozy (un homme proche de l’establishment US, un « ennemi » de Chirac et un allié de Ouattara) à la tête de la République française et d’Obama à la Maison Blanche. Désormais la France allait marcher main dans la main avec l’allié américain. Ce que le président Gbagbo et plusieurs autres dirigeants africains n’ont pas compris. Ce n’étaient plus les rivalités franco-américaines comme au Rwanda, au Soudan et même en Côte d’Ivoire.

 

Dans cette enquête, la partie que je récuse fortement est l’analyse que fait ONANA sur les élections. M. ONANA présente la Commission nationale électorale comme une institution pourrie et le Conseil constitutionnel comme crédible. Or les deux organes n’étaient pas impartiaux. De plus, en citant les textes ivoiriens, ONANA omet de dire que  l’article 64 du Code électoral ivoirien précise que « dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections. Le scrutin a lieu au plus tard quarante-cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel » − or ce n’est pas ce qu’a fait le Conseil constitutionnel qui a validé la victoire de M. Gbagbo. 

 

Dans les faits, aucun des deux candidats ne pouvaient se prévaloir d’une quelconque victoire tant qu’il n’y avait pas de nouvelles élections. Cela a d’ailleurs été soutenu par l’Angola – principal soutien africain de Laurent Gbagbo –, qui dans un document diplomatique très sensible (‘N.V.N01/MP.ANG/SUI/201’ daté du 17 janvier 2011) note : « Aux termes de la loi, le Conseil constitutionnel devrait recommander la réalisation d’élection dans un délai de 45 jours, mais il n’a pas agi ainsi et a proclamé les résultats donnant la victoire à l’autre candidat. Compte tenu de ces faits, il est difficile à l’Angola d’accepter qu’il y ait un président élu en Côte d’Ivoire ». Si donc l’Angola considère encore Laurent Gbagbo comme président de la Côte d’Ivoire, ce n’est pas sur la base des récentes élections, mais sur la base des élections de 2000. « Ce qui pose problème en Côte d’Ivoire, c’est que les Ivoiriens mettent entre parenthèses leur Constitution avant de régler leurs problèmes » regrettait le juriste Luc Marius Ibriga.

Si l’on suit la logique de Charles ONANA, les Congolais devraient accepter les résultats calamiteux proclamés par la Cour suprême sur « l’élection » de Joseph Kabila simplement parce que la Cour, qui de surcroît est sous contrôle du pouvoir, est la seule institution de l’État habilitée à proclamer les résultats des élections. 

 

Bref. Malgré tout, ce n’était pas une raison pour la France et les USA d’imposer aux Ivoiriens un « homme du système ». Ce n’était pas une raison de bombarder ce pays, de tuer des pauvres Ivoiriens, et surtout d’humilier le président Gbagbo et sa famille. Ouattara a prouvé qu’il est aussi cancre que tous ces « garçons de course » soutenus par les Occidentaux. Je suis d’accord avec ONANA sur la partialité de cette chose nommée « communauté internationale » dans la crise ivoirienne. Je crois que le plus important pour ce peuple est d’arriver à se pardonner. Et cela, je crois, ne se fera pas avec Ouattara. Un fou au service des impérialistes. 

 

Bref, l’enquête de Charles ONANA apporte un certain éclairage sur la compréhension de la crise ivoirienne, mais elle ne dit pas tout. Cela peut se comprendre dans la mesure où l’enquête a été faite en un laps de temps très court et aborde un seul pan de la problématique : la crise post-électorale. Un livre à lire.

 

Patrick MBEKO

Activiste et Analyste-politique

 



04/04/2012
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