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RDC:Que cache-t-on derrière l'installation précipitée des nouvelles provinces?

Que cache l'installation précipitée des nouvelles provinces en RDC?

 

Depuis le début de la Troisième République, le Congo-Kinshasa est dirigé par une seule famille politique, qui se souvient soudainement vers la fin de ses deux mandats ininterrompus que la Constitution du 18 février 2006 avait prévu de démembrer le pays en 26 provinces.


Par décret du Premier ministre, six commissions viennent à peine d’être constituées, chacune composée de 18 personnes qui vont sillonner les six provinces à démembrer (Bandundu, Équateur, Katanga, Kasaï-Occidental, Kasaï- Oriental et Province orientale) pour faire leur rapport, sans débat, aux Assemblées provinciales concernées qui vont procéder aux élections de gouverneurs provisoires.

«Les travaux de ces commissions, chargées de l’installation de nouvelles provinces de la RDC, ont été lancés samedi 18 avril à Kinshasa. Les membres de ces commissions, nommés lundi dernier par un décret du Premier ministre, ont été présentés au public ce dimanche lors d’une cérémonie présidée par Évariste Boshab, vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur et Sécurité. Ils sont au total quatre-vingt-dix membres qui forment six commissions d’installation de nouvelles provinces », a rapporté Radio Okapi le 19 avril 2015.

Il nous a donc paru utile de nous demander sur quelle base juridique et avec quels moyens financiers ces provinces vont être installées d’ici le 30 juin 2015.


Base juridique  Comme s’il n’y avait pas de juristes au gouvernement, il est unilatéralement décidé et annoncé au public que les Gouverneurs des nouvelles provinces seront élus par les anciennes Assemblées provinciales.

« D’après le secrétaire général du gouvernement, c’est à partir du 30 juin que les nouvelles provinces devront effectivement entrer en fonction avec de nouveaux gouverneurs qui seront élus par les actuels députés provinciaux arrivés fin mandat », selon Radio Okapi.

 

Même si cela est provisoire comme on a pris l’habitude de le faire au pays des improvisations, aucun juriste sérieux et bien formé ne peut s’abstenir de se demander d’où les Assemblées provinciales actuelles tireront leur légitimité pour élire les nouveaux Gouverneurs des provinces dans lesquelles leurs députés eux-mêmes n’avaient jamais été élus.

Les juristes du gouvernement ont certainement oublié le principe général de Droit, hérité de l’Empire romain et enseigné dans toutes les facultés de Droit du Congo, selon lequel « Nemo plus juris alium transfere potest quam ipse habet », qui signifie « Nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même».

Qui ignore en effet que les élections provinciales n’ont pas été organisées en 2011, que toutes les Assemblées provinciales sont juridiquement et constitutionnellement hors mandat et qu’à ce titre, il est inacceptable d’aller d’irrégularité en régularité, d’autant plus que même dans le chapitre consacré aux dispositions transitoires, la Constitution ne prévoit pas pareille situation?

Au sujet de l’Assemblée provinciale, l’article 197 dit ceci aux alinéas 3 et 4 : «Ses membres sont appelés députés provinciaux. Ils sont élus au suffrage universel direct et secret ou cooptés pour un mandat de cinq ans renouvelable ».

Pour bien illustrer notre réflexion, prenons l’exemple d’une  province à démembrer : le Katanga. Quand bien même il y aurait eu élections provinciales en 2011,  les députés issus de ces élections ne l’auraient été que pour la province du Katanga dans ses limites actuelles et non pour le Nord-Katanga, le Haut-Lomami, le Tanganyika et le Lualaba en même temps.

 

Sinon, on tombe dans l’hypothèse d’extension de mandat non prévue nulle part dans la Constitution.

 

A quel titre et en vertu de quoi ces anciens élus, aujourd’hui dépourvus de mandat, sont-ils appelés à revenir élire des Gouverneurs des provinces qui n’ont jamais été juridiquement et administrativement les leurs?

Concrètement dans cet exemple, c’est comme si l’on demandait aux anciens élus du Tanganika de participer, aux côtés de leurs anciens collègues, à l’élection des Gouverneurs du Haut-Lomami, du Nord-Katanga et de Lualaba, qui ne sont pas leurs provinces et inversement.

 

Quelle confusion? Et après, de quels élus seront alors composées les futures Assemblées provinciales ridiculement qualifiées de provisoires  lorsqu’on sait que certains originaires de Likasi, Kolwezi, Kalemie ou Kamina… avaient été élus non pas dans ces villes mais à Lubumbashi, ville de leur résidence et futur chef-lieu de la province du Nord-Katanga?

 

On risque par conséquent de se retrouver avec des exécutifs provinciaux sans organes délibérants ou avec des organes délibérants  sur ou sous-représentés.

Tout en exprimant notre profonde inquiétude sur la formation de la jeunesse dont il a la charge en tant que professeur de Droit constitutionnel à l’Unikin, nous mettons au défi le ministre de l’Intérieur de prouver à l’opinion et à la communauté scientifique que ses sentiments ont force de loi.

Pour ceux qui auraient déjà reçu des promesses et des garanties d’être désignés gouverneurs ou ministres provinciaux et qui multiplient des réunions ethniques et tribales pour mieux se positionner loin du souverain primaire, ils doivent être sûrs que la nation les tiendra pour complices des actes de nature à exposer le pays aux troubles et à la balkanisation.

A leur intention, voici ce que dit la Constitution au Titre III relatif aux dispositions transitoires :

Article 222 (al.1er) : « Les institutions politiques de la transitions restent en fonction jusqu’à l’installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exercent leurs attributions conformément à la Constitution de la Transition ».

 

Nous trouvant déjà loin au-delà de la transition, l’unique solution crédible et juridiquement défendable d’installer les institutions provinciales, c’est d’attendre la tenue des élections selon le calendrier élaboré par la CENI.

 

Installation des nouvelles provinces, avec quels moyens financiers?

 

Une œuvre aussi grandiose que l’installation des nouvelles provinces exige non seulement des études de faisabilité approfondies dans tous les secteurs mais également des moyens financiers énormes à prévoir dans un budget pluriannuel que ne saurait pas réunir, à brève échéance, le Congo-Kinshasa, que certains ministres se complaisent à qualifier d’État souverain.

 

Pour preuve, l’unique Palais de justice inauguré en décembre dernier(2014), pour abriter les services de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation, de la Haute Cour militaire et du Conseil d’État, a été entièrement financé par l’Union Européenne.

Depuis 2006, année de lancement constitutionnel de la Troisième République et de la décentralisation, l’Assemblée provinciale de la ville-province de Kinshasa est toujours locataire dans les installations du Collège Boboto de la commune de Gombe.

N’est-ce pas une folie que de vouloir installer, d’ici un mois, toutes les 26 provinces avec leurs entités territoriales devant faire fonctionner les services de l’État?

Y a-t-il un pacte, impossible à dénoncer, qui rendrait aveugles et sourds cette minorité de dirigeants pour qu’ils ignorent toutes les observations pertinentes des intellectuels, de la société civile et de la classe politique, toutes tendances confondues?

Ne valent-elles pas la peine, toutes ces voix des compatriotes qui proposent que la question du découpage territorial soit approfondie dans toutes ses facettes pour éviter que la décentralisation non réfléchie, non budgétisée et non planifiée ne replonge le pays dans le chaos?

-Décentralisation non réfléchie :      Dans un pays en proie à l’insécurité non encore maîtrisée sur une bonne partie de son territoire national et où la cohésion nationale est encore très fragile, la décentralisation administrative telle que prévue signifie tout simplement la décentralisation des conflits entre communautés tribales et ethniques au sein des nouvelles provinces.

Même le futur Kasaï Oriental, la plus petite des 26 provinces, bien que mono ethnique(une partie des Baluba entre eux), n’est pas à l’abri de ce genre de conflits qui ne manqueront pas d’opposer les Bakua…contre les Bakua.., les Bena… contre les Bena…au sujet de la direction de la province, de la représentation dans les organes de celle-ci ou de la répartition des ressources provinciales entre les entités territoriales décentralisées.

A fortiori dans les provinces où cohabitent plusieurs communautés, dont les politiciens résidant à Kinshasa ne rêvent que des postes de Gouverneur et de ministre provincial?

Ce serait aussi favoriser l’éclosion ou la démultiplication des partis politiques à caractère tribal et ethnique. Aucune province n’est donc épargnée, y compris le Katanga actuel dont Kyungu wa Kumwanza pressent déjà les dangers du démembrement : « Le président national de l’UNAFEC a mis en garde contre le tribalisme voulant que les non originaires n’aient plus rien à dire. Il s’est insurgé en faux  face au  pouvoir de sang, il a lancé l’appel à la paix, en plaidant pour que le couteau ne soit pas enfoncé dans la plaie. « Mobutu avait fait de nous des Shabiens, nous étions Shabiens, n’est-ce pas  aujourd’hui on n’est Katangais ? », s’est-il interrogé.

Et de renchérir: « nous sommes Katangais et allons le demeurer », il a exhorté les uns comme les autres à l’amour, pour honorer la mémoire des ancêtres qui ont payé de leur vie, pour la défense du Katanga. 

-Décentralisation non planifiée et non budgétisée :   La décision d’installer à tout prix et dans la précipitation les nouvelles provinces prouve à suffisance l’amateurisme et l’improvisation de ceux qui dirigent le Congo-Kinshasa par défi et par orgueil, sans songer un seul instant aux conséquences que pourraient entraîner leurs actes sur la survie de la nation.

Dans une étude récente, consacrée à la justice dans la perspective de la décentralisation, nous avons démontré que rien que pour ce secteur, il faudrait plusieurs années, en tout cas des générations entières, pour que les Cours et tribunaux soient installées dans toutes les provinces.

En effet, la décentralisation ne se limite pas seulement à l’élection des gouverneurs et des députés provinciaux ou à la nomination des ministres provinciaux. La province ne peut exister et prospérer que si tous les services y sont installés, avec un personnel qualifié en nombre suffisant et bien rémunéré pour éviter que les administrés qu’on veut rapprocher de l’administration en payent les frais.

Or, de l’aveu même de ceux qui ont eu à diriger le gouvernement et le parlement, de surcroit membres de la Majorité présidentielle, ce ne serait pas une bonne idée de procéder à la décentralisation qui ne serait ni planifiée ni encore budgétisée.

Tout en affirmant l’inexistence au budget 2015 des opérations liées au découpage territoriale, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito est pessimiste quant à la viabilité des nouvelles provinces et des entités territoriales décentralisées (ETD) :

 

« La réflexion porte sur la situation financière des desdites provinces et ETD pour la période qui couvre le second semestre de l’exercice 2015 et l’exercice 2016, après leur mise en place. Après leur mise en place, les nouvelles provinces ainsi que l’ensemble des ETD, au niveau actuel de leur potentiel et de la rétrocession leur versée par le Gouvernement central, seraient-elles capables de couvrir leurs dépenses de rémunération du personnel politique et administratif?».

 

A l’issue de son atelier tenu du 14 au 21 mars 2015, qui a regroupé plusieurs intervenants provenant de diverses couches sociales, l’Institut de recherche en droits humains (IRDH) abonde dans le même sens en relevant également l’improvisation de la part du gouvernement :

 

« Le processus de démembrement surgit sans aucun document de planification ni discours d’orientation. Aucun compte rendu du gouvernement ne pouvait laisser penser qu’il y aurait le démembrement des provinces en 2015 ».

A en croire certaines personnalités tant de la majorité au pouvoir que de l’opposition et de la société civile, ce dossier serait une affaire d’une poignée d’individus décidés de replonger le pays dans le chaos au cas où ils ne parvenaient pas à se maintenir au pouvoir au-delà de 2016.

 

Conclusion

 

Le Congo-Kinshasa n’est pas le premier pays à décentraliser et n’est pas non plus à sa première expérience de décentralisation, la dernière étant celle de 1982 initiée par le Professeur Vundwawe, alors Commissaire d’État à l’Administration du territoire et aujourd’hui membre de la Cour constitutionnelle.

La dimension continentale du pays milite d’ailleurs en faveur du développement partant de la base et qui accorde aux entités décentralisées une plus grande autonomie administrative et financière.

Pour cela, les autorités de la Troisième République devraient s’inspirer non seulement de toutes ces expériences passées mais aussi des modèles de décentralisation qui ont réussi hors de nos frontières et des réalités politiques et socioéconomiques actuelles pour  comprendre qu’il ne sert à rien de se précipiter à démembrer le pays.

A moins d’avoir un agenda caché (ce qui paraît être le cas), personne et aucun État ne viendront condamner les Congolais de vouloir d’abord mûrir leur projet de décentralisation avant de le mettre en application.

Cela étant, tous les Congolais (peu importe leur sensibilité politique) sont invités à user des droits que leur accorde l’article 64 de la Constitution pour dénoncer et mettre en échec cette dérive totalitaire d’une poignée d’individus :

« Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’État. Elle est punie conformément à la loi ».

 

 

Le Potentiel

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25/04/2015
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