Nous publions cet extrait de l’ouvrage « Kabila et la révolution congolaise. Panafricanisme ou néocolonialisme ? » (Édition & Po 2002) de Ludo Martens pour que ceux des Occidentaux qui entretiennent encore le doute sur la balkanisation se rendent compte qu’il existe bel et bien un projet de balkanisation de la RDC.

En ce mois de juillet 1999, l’existence même du Congo est en jeu. Ce sont les Américains qui ont lancé leurs alliés, l’Ouganda et le Rwanda, dans une guerre destructive contre le Congo. Le but était d’affaiblir encore plus un Etat qui, à la fin de Mobutu, n’existait presque plus. La moitié du territoire congolais est maintenant sous le contrôle du Rwanda et de l’Ouganda, les territoires occupés sont divisés entre les rebelles de Bemba, ceux dirigés par Ilunga et ceux qui suivent Wamba.

La somatisation se met en place. Cela n’arrive pas par hasard. C’est le résultat d’une politique conçue par Washington. A ce propos, un texte crucial a été discuté dans une commission du Sénat américain. Ce texte que nous publions plus loin, dit en essence ceci.

Il n’y a plus d’Etat au Congo, il y a un vide du pouvoir. C’est normal que le Rwanda et l’Ouganda y interviennent militairement. Quant à l’Etat n’existe plus, les principes de l’indépendance et de la souveraineté ne s’appliquent plus. Kabila doit discuter avec toutes les oppositions pour remettre l’Etat sur pied ou pour décider de la division du pays.

Les Etats-Unis pourraient intervenir militairement pour retracer les frontières de l’Afrique et créer de nouvelles entités politiques. Mais ce serait très coûteux. Il vaut mieux laisser les guerres civiles africaines se développer et permettre que le Rwanda et l’Ouganda interviennent militairement au Congo. Ainsi, les Africains eux-mêmes diviseront le Congo et l’Afrique centrale atteindra ainsi une nouvelle stabilité.

Voici textuellement la déclaration capitale de Mme Marina Ottaway, co-directrice du projet « Démocratie et Etat de Droit ». Il s’agit d’un témoignage devant la sous-commission de l’Afrique du Sénat américain, le 8 juin 1999. « Aussi longtemps que le vide du pouvoir continue au Congo, d’autres pays vont continuer à intervenir directement pour soutenir des insurrections armées et sauvegarder leurs propres intérêts. (…) la clé, c’est la restauration d’un Etat au Congo.

Cela n’arrivera pas avant que Kabila ne négocie avec les rebelles, les partis politiques et la Société civile pour réaliser un accord qui doit déterminer comment on pourra éventuellement remettre le Congo sur pied ou comment, si nécessaire, il peut être divisé, (…) les Etats-Unis et d’autres non Africains sont placés devant un choix important lorsqu’ils doivent traiter des conflits en Afrique centrale, notamment s’il faut intervenir massivement ou ne pas intervenir du tout. (…) beaucoup d’Etats qui ont émergé da la période coloniale ont cessé d’exister en fait, et les règles de l’OUA ne peuvent être appliquées à des Etats qui n’existent plus.

Toute solution imposée par des non Africains exigera une présence étrangère massive pour être appliquée. Les intentions peuvent être louables, mais des interventions pour une partition du territoire africain et pour la création de nouvelles entités politiques et institutions, placeraient les Etats-Unis et d’autres puissances étrangères dans un rôle colonial. Ce qui n’est pas une décision à prendre à la légère. L’alternative, que je crois êtres plus appropriée pour le moment, est de laisser les pays africains trouver leurs propres solutions.

Inévitablement, cela comprendra une continuation des combats internes et entre Etats et probablement la division de certains pays avant d’arriver à une nouvelle stabilité. Ce n’est pas une perspective réjouissante, mais il n’y a pas d’alternatives réalistes ».

Ce texte mérite d’être disséqué. D’abord, le lecteur remarque que les Américains peuvent « décréter » de façon arbitraire que dans tel ou tel pays, il « n’existe plus d’Etat » et qu’il y a « un vide du pouvoir ». Et l’avoir « décrété » suffit pour justifier les agressions de pays voisins ou les insurrections que les Américains provoquent. Si les Américains « décrètent » que l’Etat congolais n’existe plus, les règles de l’OUA ne sont plus d’application !

Les Congolais savent que l’Etat avait pratiquement été liquidé par Mobutu. Or, Kabila avait commencé à remettre l’Etat sur pied. C’est le progrès dans cette reconstruction qui a incité les Américains à « casser » le gouvernement nationaliste par la guerre, avant que le Congo ne devienne trop fort.

Marina Ottaway estime que le Dialogue inter congolais que les Américains veulent patronner, peut discuter deux options valables : remettre l’Etat congolais sur pied ou le diviser. Ainsi, la division du Congo est désormais une option sérieuse et envisageable pour les Américains.

Les Américains évaluent la possibilité d’intervenir militairement et massivement au Congo « pour une nouvelle partition du territoire africain et pour la création de nouveaux Etats » ! Mais ils avouent que cela pourrait leur coûter cher, puisqu’ils verront probablement toute l’Afrique se dresser contre eux.

Heureusement, Washington a une « alternative réaliste » qui peut également conduire à la division du Congo. Cette alternative est « plus appropriée » … du moins « pour le moment » ! L’alternative, c’est de laisser les armées ougandaise et rwandaise continuer leur guerre contre le Congo jusqu’à ce que le pays soit complètement épuisé et exsangue. Le pays se laissera alors diviser par manque de forces. Les Congolais seront tellement meurtris et abattus, qu’ils se résigneront à la partition de leur pays. Ainsi s’installera une « nouvelle stabilité » basée sur l’épuisement du peuple congolais.

Les champions américains des « droits de l’Homme » envisagent donc sans état d’âme, d’interminables guerre, des villageois massacrés, des enfants décédés par malnutrition, des hommes et des femmes fauchées par la misère et la maladie … pour installer leur domination sur le Congo, les « Démocrates » américains sont prêts à marcher sur des montagnes de cadavres africains…

Ce document ahurissant n’est pas un cas exceptionnel. Il se situe dans toute une série de textes et d’études américains qui vont dans le même sens. Nous en citerons un autre qui provient de l’armée américaine et qui date du temps de Mobutu, du 5 juin 1996.

L’auteur, Steven Metz, est professeur à l’U.S. Army War College. Il a enseigné à l’Académie de l’état major de l’armée américaine. Il publie une étude approfondie de la situation du Zaïre en 1996 pour évaluer les types d’interventions qui peuvent être demandés à l’armée américaine.

Dans le texte, Reform, conflict and security in Zaïre (5 juin 1996), il écrit à propos de la division éventuelle du Congo, ceci : « Certains observateurs estiment que le Zaïre n’existe plus longtemps en tant que nation – le Kivu a dirigé l’essentiel de son économie vers l’Est de l’Afrique ; le Kasaï Oriental refuse d’accepter la monnaie nationale ; le Shaba a été décrit comme une extension virtuelle de l’Afrique du Sud. La possibilité existe qu’une telle désintégration de fait, se transforme en sécession formelle. (…) les Etats-Unis n’auraient pratiquement pas d’autre choix que d’accepter tous les Etats nouveaux qui émergeraient du Zaïre, ils pourraient offrir du soutien diplomatique pour réduire au minimum la violence qui accompagnerait cette désintégration nationale et ils devraient ouvrir des canaux de communication avec les nouveaux Etats ».

LUDO MARTENS



Le Potentiel